Le vieux khmer est la langue parlée d’un peuple appelé, selon des sources épigraphiques, khmer habitant dans un pays appelé, toujours selon des sources épigraphiques, kambujadeśa « pays des Kambuja ». Couvrant une période du VIe au XIVe siècle, il est l’ancêtre du khmer moyen (du XVe au milieu du XVIIIe siècle) ainsi que du khmer moderne (du milieu XVIIIe siècle à aujourd’hui). La période ancienne se divise en deux, à savoir : la période préangkorienne (VIe au VIIIe siècle) et la période angkorienne (IXe au XIVe siècle).
Le khmer appartient à la grande famille austro-asiatique ; avec le môn, il constitue les langues principales de la branche dite « môn-khmère ». L’écriture khmère dérive des formes de l’écriture telles que celles connues dans les empires Cālukya et Pallava (Inde du Sud). À l’époque préangkorienne, cette écriture ne se distinguait pas de celles utilisées dans les inscriptions sud-indiennes et les inscriptions des États sanskritisés de l’Asie du Sud-Est. Vers la fin du IXe siècle, sous le règne de Yaśovarman précisément, une nouvelle écriture du type siddhamātṛkā a été introduite dans les compositions épigraphiques sanskrites. Elle a coexisté un certain temps avec l’écriture habituelle des Khmers appelée kambujākṣara « l’écriture des Kambujas » . Cette nouvelle écriture n’a pas semblé survivre au-delà du règne de Yaśovarman. Nous recensons dix inscriptions en nouvelle écriture pure et dix-sept en deux écritures.
Les mots ne sont pas séparés dans la phrase. Sur le plan morphologique, le khmer ne connaît ni conjugaison ni système de déclinaison. Autrement dit, les noms et les verbes ne changent pas de forme selon leurs différentes fonctions dans les phrases. Dans certains cas, un terme à une seule forme peut fonctionner à la fois comme nom et comme verbe. Prenons un exemple du vieux khmer, paṅgaṃ « joindre les mains ; mains jointes et portées à la tête pour saluer, vénérer ». Le khmer est une langue dissyllabique à tendance monosyllabique. En composition, les mots se juxtaposent en suivant l’ordre : déterminé + déterminant. Donc, l’ordre des mots dans une phrase décide le sens de la phrase. Par ailleurs, le khmer possède un nombre considérable de préfixes et d’infixes tout en étant dépourvu de suffixes. Les préfixes sont divisés en deux groupes principaux, à savoir : 1. des préfixes à consonne simple et 2. des préfixes à double consonne (pouvant inclire une voyelle atone entre les deux consonnes). Prenons l’exemple du mot veṅ « long » qui donne un dérivé avec un préfixe à consonne simple, s-veṅ « parcourir un long chemin, rechercher » et un autre dérivé avec un préfixe à double consonne, kaṃ-veṅ « rempart, grande enceinte ». Quant aux infixes, catégorie qui n’existe pas en sanskrit, ils sont moins nombreux ; pour ne citer que les plus connus : -aṃn- et –m-. Du verbe cāṃ « garder», par exemple, vient le substantif chmāṃ « gardien ». Le redoublement joue un rôle important dans la formation de vocabulaire et de mode.
Le vieux khmer comprend des verbes, des noms, des adverbes, des prépositions et des conjonctions. Les cinq groupes peuvent se diviser en plusieurs sous-groupes. La phrase khmère simple peut être schématisé par : Sujet + verbe + objet.
Certains énoncés sont complexes et à subordination. Ainsi, à titre d’exemple, ge cer ’ājñā ge dau naraka (gens-transgresser-ordre gensaller-enfer) « Celui qui transgresse l’ordre ira en enfer ». La langue khmère entra en contact dès les premiers siècles de notre ère avec de nombreuses langues – le sanskrit et le prākrit pour ne citer que les plus dynamiques . La famille môn-khmère et la famille indo aryenne – à laquelle appartient la langue sanskrite – sont très différentes. Le sanskrit « (langue) raffinée » est la langue qui est décrite dans la grammaire de Pāṇini. Il est comparable à la langue védique qui est l’ancêtre des dialectes connus sous le nom de prākrit « vulgaire ». La langue sanskrite est particulièrement riche en morphologie. Il s’agit d’une langue à flexion ou les noms et les verbes se déclinent et se conjuguent. Un verbe peut avoir une centaine de formes en différents temps et modes. La composition nominale du sanskrit est la plus développée parmi les langues indo-européennes. Des composés longs et complexes non seulement sont en usage courant, mais aussi occupent une place importante dans les analyses d’expression. Cette composition nominale constitue donc un élément important de la syntaxe. Les grammairiens groupent les composés sanskrits en quatre catégories différentes, à savoir : dvandva (co-ordinatif ; par exemple dāsadāsī « serviteurs hommes et femmes »), tatpuruṣa (déterminatif ; par exemple devadāsa « serviteur du dieu »), karmadhāraya (descriptif ; par exemple kālasarpa « serpent noir », ou padmalocana « yeux comme des lotus ») et bahuvrīhi (possessif ; par exemple caturbhuja « celui qui a quatre bras »). En revanche, l’arrangement syntaxique de la phrase sanskrite semble libre (en comparaison avec celui du grec ou du latin) du fait que sa littérature consiste, en ce qui concerne les écrits épigraphiques du pays khmer, en vers . L’ordre normal d’une phrase sanskrite est le suivant : sujet + objet + verbe. Prenons par exemple, bālako bhojanam karoti « l’enfant prend le repas ».
Par contact avec le sanskrit, la langue khmère a emprunté un grand nombre de termes au sanskrit. En revanche, la structure syntaxique du khmer n’est guère touchée. Les emprunts sanskrits, quelle que soit leur nature une fois entrés en khmer, se comportent comme des mots khmers. À ce propos, Pou et Vogel (1995 : 35) constatent que : Les mots sanskrits sont utilisés comme le seraient les mots khmers : les noms sanskrits apparaissent sans la marque de genre, sans désinences casuelles, les adjectifs ne sont ni déclinés, ni accordés… Fait tout à fait caractéristique – impossible en sanskrit –, les noms sanskrits sont employés comme verbes.
Toutefois, la majorité des emprunts en vieux khmer n’est pas concernée par le système de dérivation. Parmi plus de 1500 mots emprunts au sanskrit et aux prākrits, moins de dix mots ont probablement reçu des infixes et des préfixes. Prenons l’exemple de s-m-ev- « serviteur du roi » du verbe sanskrit sev- « servir » et s-p-it- « fait de verser » du verbe d’origine prākrite sit « verser » .
Comme nous l’avons mentionné, le khmer est une langue dissyllabique à tendance monosyllabique. Des emprunts polysyllabiques aux langues indo-aryennes : sanskrit, prākrit et pāli, sont souvent khmérisés par amuïssement et usure syllabique. Sur le plan sémantique, le vieux khmer s’est approprié certains emprunts. Autrement dit, ils ont pris des connotations locales. Un exemple comme le terme gola illustre bien ce point ; il signifie en sanskrit « globe, boule » alors que dans l’épigraphie cambodgienne, il désigne « une borne » (Bhattacharya 1991 : 19).
Les inscriptions n’attestent pas uniquement des emprunts lexicaux. Le vieux khmer a emprunté un grand nombre de représentations ou de concepts sanskritiques ; l’emploi du mot khmer vraḥ « être ou objet sacré » devant les noms d’ouvrages comme le Dharmaśāstra « code des lois », par exemple, a été probablement influencé par l’emploi du mot sanskrit śrī « fortune, prospérité ». Dans la thèse, nous utilisons le terme « sanskritique » en opposition au terme « sanskrit ». Par « sanskritique », nous entendons : « qui relève de la civilisation typique des textes ou des expressions sanskrites. ».
D’ailleurs, étant donné que les inscriptions du Cambodge ancien ont été rédigées par des gens pour lesquels le sanskrit n’était pas la langue maternelle, il y avait des calques dans les parties sanskrites comme dans celles rédigées en khmer. Ces calques se sont produits de la langue khmère vers le sanskrit et le pāli, tandis que d’autres ont été créés du sanskrit vers le khmer.
Le corpus des inscriptions du Cambodge ancien consiste en plus de 1300 inscriptions et s’étend sur une période d’environ neuf siècles (du VIe siècle au XIVe siècle) et sur un territoire qui comprend le Cambodge actuel, une partie de la Thaïlande, une partie du Vietnam et une partie du Laos. Les inscriptions sont divisées en trois grandes catégories en fonction des langues, à savoir : les textes khmers, les textes sanskrits et les textes à double langue (pour le détail de distribution des inscriptions, voir les cartes ci-dessus). Parmi les trois, ceux en sanskrit sont les mieux connus des chercheurs, en particulier des sanskritistes, pour leur qualité poétique ainsi que pour les messages historiques qu’ils contiennent.
Au Cambodge, à en juger par ce qui a survécu, qui est – pour la période la plus ancienne – sans dates explicites, la pratique du sanskrit commença aux alentours du Ve siècle apr. J.-C. et s’arrêta au XIVe siècle. La première inscription sanskrite portant une date (520 śaka, équivalent à 598 apr. J.-C.) est l’inscription de Robang Romãs (K. 151), alias Īśānapura, et la dernière de la série est la grande inscription d’Angkor Vat du XIVe siècle, connue aussi sous le nom d’inscription de Kapilapura, dans les environs d’Angkor Vat. Les compositions métriques préangkoriennes sont typiquement courtes. Certaines d’entre elles contiennent seulement une stance et ne s’attachent qu’à mentionner la fondation.
Introduction |