Les alcaloïdes de l’opium
Le premier alcaloïde de l’opium découvert fut la morphine et représente donc le premier alcaloïde végétal mis au jour. Sa découverte est attribuée au jeune pharmacien allemand Friedrich Sertürner en 1805. En 1819, il est fait pour la première fois mention de l’utilisation de la morphine par les hôpitaux de Paris, sous forme d’une solution d’acétate de morphine.
En 1822, la parution de son formulaire fait connaitre la morphine à l’ensemble du monde médical. En 1831, un procédé est mis au point afin de permettre la synthèse de chlorhydrate de morphine, permettant ainsi de faire baisser les prix de production de la morphine.
En 1832 est découvert la codéine par Robiquet. La morphine fut ainsi le premier médicament puissant et inaugura l’ère moderne de la pharmacologie et de la médecine.
En 1855, le Dr Wood réalisera les premières injections sous dermiques de morphine. L’apparition de la forme injectable révolutionne la prise en charge de la douleur ainsi que de la chirurgie, particulièrement lors des guerres et donc sur les champs de batailles, en permettant aux patients de mieux tolérer les douleurs. C’est dans ce contexte d’utilisation en médecine militaire qu’apparut ce que l’on appelle alors la « maladie du soldat » puis morphinisme ou morphinomanie.
Pendant la guerre de 1870, la morphine est délivrée sans retenue aux blessés, de plus elle est également administrée aux soldats montant aux fronts pour leur donner du courage. Les premières descriptions de morphinomanie datent de 1871.
En 1877, la notion de toxicomanie est introduite par le Dr Levinstein et le pharmacologue Louis Lewin. A la fin du 19e siècle, la morphine est l’un des médicaments les plus répandu, dû à son efficacité et à sa popularité. En effet, de nombreux notables de la fin du 19e et du début du 20e siècle sont morphinomanes, on peut citer notamment Baudelaire, Hermann Göring, Alphonse Daudet, Jules Vernes.
En 1874, Alder Wright découvre la diacétylmorphine, aussi appelée héroïne. Elle suscite beaucoup d’espoir, permettant un remplacement de la morphine et de son pouvoir addictogène. Outre son usage antalgique, elle est aussi utilisée comme sirop antitussif.
En 1952, un procédé de synthèse chimique de la morphine est mis au point, permettant la synthèse de nouveaux composés possédant une structure proche comme le dextrorphane. En 1973, les récepteurs opioïdes endogènes sont découverts.
Pharmacocinétique des opioïdes
La pharmacocinétique des opioïdes diffère entre chaque molécule, en lien avec les différences structurales et par conséquent physico-chimiques.
Cependant, la majorité des opioïdes vont présenter un effet de premier passage hépatique important avec une biodisponibilité généralement faible et très variable lors d’une administration par voie orale. La voie parentérale permet une résorption bonne et rapide. Ils présentent une forte métabolisation hépatique, et une élimination principalement rénale. Ceci aura pour conséquence une adaptation posologique chez les patients insuffisants hépatiques et rénaux, ainsi que chez les personnes âgées, du fait d’une baisse de la clairance rénale.
Dans l’organisme, la codéine, la pholcodine, la codéthyline et l’héroïne sont transformées en morphine. On prendra ici pour exemple la pharmacocinétique de la morphine, qui est l’opioïde de référence. Absorption : L’effet de premier passage hépatique est supérieur à 50 %. La biodisponibilité des formes orales par rapport à celles administrées par voie sous-cutanée est de 50 %. La biodisponibilité des formes orales par rapport à celles administrées par voie intraveineuse est de 30%.
Distribution : Après absorption, la morphine est liée à 30 % aux protéines plasmatiques. Elle présente une diffusion rapide dans les différents organes et passe la barrière hémato-encéphalique (BHE) et hémato-placentaire.
Métabolisme : La morphine est métabolisée de façon importante en dérivés glucuronoconjugués (morphine-3-glucuronide à environ 60% et morphine-6-glucuronide à environ 5-10%) qui subissent un cycle entéro-hépatique. Le 6-glucuronide est un métabolite environ 50 fois plus actif que la substance mère. La morphine est également déméthylée par les cytochromes P450 3A4 et 2C8, en un autre métabolite actif, la normorphine qui sera par la suite conjuguée.
Élimination : L’élimination des dérivés glucuronoconjugués se fait essentiellement par voie urinaire, à la fois par filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire. Sa demi-vie d’élimination plasmatique varie de 1.5 à 6h. L’élimination fécale est faible (< 10 %).
Les MSO présentent des demi-vies assez longues, afin de limiter la réapparition des phénomènes de craving et de diminuer la fréquence de consommation des opioïdes.
Consommation d’opioïdes illicites
Concernant la consommation des opioïdes illicites, il va être intéressant de prendre en compte les données des autres pays européens car l’espace européen inclut une libre circulation des biens. En Europe, les opioïdes illicites sont majoritairement représentés par l’héroïne, même si l’émergence de nouveaux opioïdes de synthèse, la plupart dérivés du fentanyl ont fait leur apparition ces dernières années dans les consommations européennes et donc françaises.
Depuis 2009, 49 nouveaux opioïdes de synthèse ont été détectés sur le marché européen des drogues et 11 de ces substances ont été signalées pour la première fois en 2018. Ce total comprend 34 dérivés du fentanyl, dont six ont été signalés pour la première fois en 2018. Bien que de nombreux nouveaux opioïdes (en particulier ceux de la famille du fentanyl) ne soient encore guère présents sur le marché européen des drogues, ils affichent une forte teneur en principe actif et constituent une grave menace pour la santé individuelle comme pour la santé publique en général.
En France, la majorité de l’héroïne distribuée provient des Pays-Bas et de la Belgique qui sont les principaux pays de stockage en Europe. Cela engendre un gradient croissant Nord-Sud en termes de tarif, et décroissant concernant la pureté de l’héroïne. Cela engendre une forte disparité en termes de consommation d’héroïne, entre les différentes régions et villes françaises. Le prix moyen de l’héroïne en France est de 40€ le gramme pour l’héroïne brune, forme la plus consommée en France.
Les modes de consommation de l’héroïne sont variés. Elle peut être injectée par voie intraveineuse, inhalée, snifée voir mangée. La voie intraveineuse reste majoritaire pour l’héroïne. Ce mode de consommation présente de hauts risques sanitaires. En revanche, chez les jeunes générations de consommateurs, la tendance s’oriente vers une consommation inhalée de l’héroïne. Cela est dû à l’image du « junkie » s’injectant l’héroïne, et aux campagnes de prévention sur l’usage intraveineux menées par les associations.
L’héroïne s’inscrit majoritairement dans une polyconsommation de drogues . Par exemple, chez les usagers se présentant en CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la réduction des Risques chez les Usagers de drogues), seulement un cinquième des usagers d’héroïne en consomment quotidiennement.
Les risques liés aux modes de consommation, ainsi que l’image de personnes marginalisées la consommant, induisent une vision négative de l’héroïne par rapport aux autres drogues. En France, 9 personnes sur 10 pensent que l’héroïne est une drogue dangereuse et 87% des français estiment que les héroïnomanes sont dangereux pour leur entourage, ce qui contribue à majorer un peu plus la marginalisation des usagers de drogues, mais aussi des patients anciens usagers de drogues, traités par un MSO.
Cependant une majorité des français sont pour une aide à la réduction des risques liés à l’usage de drogues, par une diffusion de l’information sur les risques liés à l’usage de drogues, et sur les méthodes de consommation permettant une réduction des risques. Ainsi, 58% des français sont favorables à l’ouverture des salles de consommation à moindre risques (communément appelées salles de shoot).
Décès liés à la consommation d’antalgique opioïde
Lors des 10 dernières années, il a été observé une augmentation des cas d’intoxications et des décès liés à l’utilisation des antalgiques opioïdes. Cette problématique touche principalement des patients consommant initialement un antalgique opioïde pour soulager une douleur, et développant une dépendance primaire à leur traitement.
Le nombre d’hospitalisations lié à la consommation d’antalgiques opioïdes sur prescription a augmenté sur la période 2000-2017, passant de 15 à 40 hospitalisations par millions d’habitants et par an.
On peut aussi relier le nombre d’intoxication au taux de notification d’intoxication aux antalgiques, auprès de la banque nationale de pharmacovigilance, a augmenté, passant de 44/10000 à 87/10000 entre 2005 et 2016.
Le nombre de décès lié à la consommation d’opioïdes a augmenté de 1,3 à 3,2 décès pour un million d’habitants, entre 2000 et 2015, avec au moins 4 décès par semaine. Les décès liés à la consommation d’un opioïde interviennent majoritairement chez des hommes présentant une pathologie psychiatrique préexistante et ayant dans plus de la moitié des cas des antécédents de troubles d’usages de la substance. L’âge médian des décès liés à un antalgique est de 37,4 ans. Il faut faire la distinction entre les décès liés directement à l’effet toxique des opioïdes des décès indirects, dus à une interaction avec un autre médicament ou produit. Dans la grande majorité des cas, le décès survient sans qu’il n’y ait de preuve d’une tentative volontaire d’intoxication par le patient. Les tentatives d’autolyse ne représentent qu’un quart des décès directs liés aux opioïdes.
Mécanismes de la dépendance aux opiacés
Facteurs neurobiologiques : Un centre de la récompense a été identifié dans le cerveau, ouvrant la voie à une meilleure compréhension de la dépendance. La dépendance était alors définie comme une pathologie, engendrant une recherche compulsive d’une récompense. Anatomiquement, ce centre est le système méso-cortico-limbique, comprenant l’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens, l’amygdale, et l’hippocampe. Alors que les voies finales communes sont les voies dopaminergiques, ces centres sont aussi traversés par des systèmes opioïdergiques.
Cette hypothèse, assimilant la dépendance à une recherche de récompense, n’est toutefois pas universellement acceptée.
Les opioïdes endogènes sont des médiateurs importants de la dépendance à une drogue. Les opioïdes exogènes produisent une dépendance directe par un effet sur le récepteur opioïde dans le nucleus accumbens, et indirectement en diminuant l’inhibition Gabaergique de la dopamine. Les opioïdes exogènes sont hautement addictifs, mais ils ne produisent pas systématiquement de dépendance, surtout s’ils sont pris dans des conditions attentivement contrôlées pour le traitement de douleur. Lorsqu’un médicament addictif est pris pour la première fois, cela produit une euphorie par l’intermédiaire d’une poussée de dopamine dans les voies mésolimbiques. Les opioïdes sont capables de produire un effet euphorique spectaculaire, particulièrement lorsqu’ils sont injectés. Les individus hautement susceptibles peuvent succomber immédiatement à l’addiction, particulièrement lorsque l’effet euphorique est intense. Les autres ne développent pas d’addictions ou seulement après une durée de traitement longue ; certains n’expérimentent même pas d’euphorie, d’autres encore n’aiment simplement pas l’effet euphorisant. Il existe des preuves pré-cliniques et des preuves cliniques provenant de l’utilisation des opioïdes pour la douleur cancéreuse que dans ces conditions, l’effet euphorisant des opioïdes est réellement émoussé. Facteurs pharmacologiques : Les opioïdes sont responsables de l’apparition d’une tolérance (le besoin de prendre plus de médicament pour obtenir le même effet) après une utilisation prolongée et continue. Les caractéristiques pharmacocinétiques (demi-vie, biodisponibilité, taux de passage de la barrière hémato-encéphalique) et pharmacologiques, ainsi que la voie d’administration vont influencer l’apparition plus ou moins rapidement de cette tolérance. Une tolérance non satisfaite par l’augmentation de la dose se manifestera par un manque.
La tolérance possède des origines psychologiques (associatives) aussi bien que pharmacologiques (non-associatives), le changement d’humeur ou de situation peuvent produire un état de manque. Ce qui est observé avec la prise continue de médicament est que la tolérance et la dépendance déterminent ensemble le besoin en médicament et deviennent des forces motrices importantes pour les comportements de toxicomanie . Il est possible que la dépendance survienne sans l’apparition d’une tolérance à l’opioïde, cependant cela est assez rare.
Plus le médicament est lipophile, plus il atteint et traverse rapidement la barrière hémato-encéphalique, plus la poussée euphorique est forte.
Par exemple, dans le cas de l’héroïne, qui est très lipophile, on observe un fort pouvoir euphorisant dû à un passage rapide et important de la BHE.
L’oxycodone, quant à elle, présenterait un pouvoir euphorisant supérieur à celui de la morphine. Sa prise entrainerait un augmentation de la dopamine supérieure à celle consécutive à une dose équianalgésique de morphine.
La prescription et la délivrance d’antalgiques opioïdes de palier II ne présenterait pas de bénéfice sur la dépendance par rapport à celle d’un antalgique de palier III, à dose analgésique équivalente. La prescription d’antalgiques de palier II, à des posologies élevées, serait même contre-productive du fait d’une mauvaise tolérance et d’une moindre efficacité qu’à leurs posologies moyennes. Facteurs liés au patient : Certains critères ont été définis comme des facteurs de risque de développer une dépendance aux opiacés.
L’âge : patient jeune (18-25 ans); Le sexe : masculin; Présence ou antécédent de pathologie psychiatrique; Antécédents de dépendance, de mésusage et/ou d’abus à une SPA; Antécédents familiaux de dépendance, de mésusage et/ou d’abus à une SPA; Tabagisme actifs; Alcoolisme; Une prescription d’opioïdes faibles supérieure à 1 DDJ antérieure à une prescription d’opioïdes forts; Une situation socio-économique précaire et instable.
Table des matières
I- Introduction générale
1- Historique
1.1- L’Opium : histoire et pratiques
1.2- Les alcaloïdes de l’opium
1.3- Histoire de la prise en charge des toxicomanies en France
2- Rappels pharmacologiques sur les opiacés
2.1- Pharmacodynamie des opioïdes
2.2- Pharmacocinétique des opioïdes
3- Législations pharmaceutiques
4- Epidémiologie
4.1- Consommation d’opioïdes illicites
4.2- Consommation d’opioïdes licites
4.2.1- Consommation d’opioïdes antalgiques
4.2.2- Décès liés à la consommation d’antalgique opioïde
4.2.3- Abus et mésusage des antalgiques opioïdes
4.3- Les traitements de substitution aux opiacés
4.3.1- Estimation de la population de patients sous MSO
4.3.2- Le mésusage des MSO
4.3.3- Conséquence du mésusage des MSO
4.3.4- L’impact des MSO sur la santé publique
II- La dépendance aux opiacés
1- Définition de la dépendance
2- La dépendance aux opiacés
2.1- Description de la dépendance
2.2 Mécanismes de la dépendance aux opiacés
2.2- Syndrome de sevrage
3- Profils des usagers dépendants
3.1- Héroïne
3.2- Usage abusifs des opioïdes
3.3- Patients sous prescription d’opioïdes antalgiques au long cours
3.4- Patients dépendants aux opioïdes nécessitant un traitement antalgique
3.5- Patients sous TSO
III- Prise en charge de la dépendance
1- Les objectifs de la prise en charge de la dépendance
2- La prise en charge globale de la dépendance
3- Les traitements de substitution
3.1- La méthadone
3.2- la BHD
3.3- Suboxone® : association BHD + Naloxone
3.4- Le sulfate de morphine
3.5- Traitements en attente de mise sur le marché
4- La prévention
4.1- Les moyens de prévention
4.1.1- La prévention de la dépendance, du mésusage
4.1.2- Prévention des comorbidités
4.2- Le rôle du pharmacien lors de ses interventions
4.2.1- La délivrance du traitement par le pharmacien
4.2.2- Le suivi des patients
4.2.3- Les outils à la disposition du pharmacien
a- l’analyse du dossier pharmaceutique
b- L’entretien pharmaceutique
c- Le bilan de médication
d- L’entretien motivationnel
e- Questionnaire de dépistage
f- les missions futures du pharmacien
Conclusion
Bibliographie
Annexes