Rôle des éducatrices de l’enfance
Les EDE ont plusieurs rôles face aux situations de maltraitance. Pour cela : « (elles disposent) de nombreuses ressources pour détecter les signes de maltraitance infantile » . Elles ont la possibilité d’observer les enfants tout au long de la journée et dans différents contextes. Un lien privilégié avec les parents et les enfants peut se créer. De plus : « (elles jouent aussi) un rôle préventif essentiel, d’une part, en apportant un soutien à la parentalité au travers de conseils éducatifs et, d’autre part, en participant à l’éducation des jeunes enfants non scolarisés pour la plupart » .
Je vais parler, ci-dessous, des étapes du processus que les EDE mettent ou doivent mettre en place lors d’une suspicion de maltraitance.
➤ Observations
Tout d’abord, l’EDE effectue des observations de l’enfant et de sa famille. L’observation peut se faire de manière directe et indirecte. L’observation directe se fait sur les comportements des enfants et des parents et l’observation indirecte constitue le fait d’analyser la situation observée et les échanges avec les professionnels. Comme j’ai pu le découvrir lors des journées thématiques de deuxième année sur la maltraitance, en cas de suspicion il est bien d’utiliser un tableau de bord ou une grille afin de noter les faits, les ressentis et les hypothèses. Nous avons reçu un document intitulé, Dépasser la maltraitance : éclairages et pistes d’action , dans lequel un exemple de carnet de bord à utiliser en cas de suspicion de maltraitance est présenté. Dans ce carnet de bord, il est écrit que les éducatrices de l’enfance doivent noter la date et l’heure à laquelle elles observent les faits ou/et des propos exacts de l’enfant et des parents, leurs ressentis personnels ainsi que leurs pensées et hypothèses.
Dans les observations, il est important que l’éducatrice de l’enfance note et donne des informations très précises sur la situation de l’enfant. Il faut utiliser les mêmes mots que l’enfant a employés et relever des faits objectifs. Tout ce qui est dit par l’enfant et les parents doit être mis entre guillemets. A mon avis, cette façon de procéder est appropriée car cela empêche les EDE de mélanger les faits, les ressentis et les hypothèses lors de la transmission des informations au supérieur hiérarchique et lors du signalement. Lorsque j’ai effectué mes entretiens, j’ai demandé aux personnes interrogées si elles disposaient de grilles d’observations et toutes m’ont répondu qu’elles n’en avaient pas. Le directeur de crèche, M. Paillard, m’a répondu que les éducatrices de l’enfance de son institution effectuent des observations narratives en cas de suspicion de maltraitance.
➤ Ne pas rester seule
Lorsqu’une EDE est dans une démarche d’observation, il est important qu’elle ne reste jamais seule. Cette information est également ressortie lors de mes entretiens. Le travail en équipe est très important. Il faut transmettre ses observations à ses collègues ainsi qu’à la direction car une maltraitance n’est pas forcément définie de la même manière par toutes les personnes. Il est écrit dans le livre Dimensions de la maltraitance, que : « Face à la violence, il est bien difficile de réagir seul. La première démarche est donc de sortir de l’isolement, de partager les informations et les inquiétudes. Il est même très utile de suivre des formations dans cette matière ou de se faire superviser. Enfin, il apparaît que personne, ou alors difficilement, n’est capable d’affronter toutes les situations avec compétence, efficacité et sang-froid. » On voit bien dans ce texte, qu’une EDE ayant des soupçons de maltraitance, doit en parler à l’équipe éducative et à la direction. Je suis d’accord avec cela, car si la personne reste seule, elle va avoir de la difficulté à contrôler ses émotions alors que si elle en parle, elle pourra aussi partager ses émotions et ses ressentis avec les autres éducatrices de l’enfance. Dans le livre Evaluer en protection de l’enfance : théorie et méthode, il est dit que lors de situations de maltraitance infantile, il est parfois bien que le professionnel prenne du recul face à cette situation. « Ses émotions sont amplifiées par la pesanteur des événements. Plus l’enfant est maltraité et plus il est difficile d’apprécier le danger. Le poids des émotions devenant insupportable, le professionnel a besoin de se délester (Molénat, 1998) » . Cela résume bien la démarche que l’EDE entreprend lorsqu’elle remarque des signes de maltraitance chez un enfant.
➤ Faire et ne pas faire
Trois questions sont essentielles à se poser afin de bien définir la maltraitance. Ces trois questions sont : « Qu’avez-vous observé ?, Qu’est-ce qui vous a été rapporté ? et Qu’en pensez-vous ? » . Après avoir répondu à ces questions, nous pouvons déjà mieux définir la maltraitance de l’enfant. Lors de mon entretien avec le pédiatre Thomas Gherke, il est ressorti que l’EDE ne doit pas prendre la place des enquêteurs. Elle doit seulement transcrire les faits sans poser de questions détaillées à l’enfant. L’avocat de l’auteur de la maltraitance peut utiliser contre la victime les différentes versions de l’enfant s’il a raconté plusieurs fois sa situation, mais de manière différente. Ainsi, le fait d’avoir des versions différentes peut amener un préjudice pour celui-ci lorsque l’affaire est traitée pénalement.
Cette information est également ressortie dans le livre Enfants maltraités : intervention sociale. Il est écrit que : « En cas de confidence d’un enfant, il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable de « faire une enquête » dont nous n’avons d’ailleurs légalement pas la compétence ».
➤ Colloques
Une fois les observations commencées, l’EDE en parle lors d’un colloque. La décision de continuer les observations pour avoir d’autres informations ou de convoquer les parents pour un entretien est prise avec la collaboration des collègues et de la direction. C’est seulement ensuite que l’éducatrice de l’enfance référente de l’enfant peut convoquer les parents pour un entretien.
➤ Entretien avec les parents
Lors de cet entretien, l’EDE leur transmet ses observations. Nous avons vu en cours de Théorie et pratique du travail social sur la maltraitance qu’une éducatrice de l’enfance ne devrait jamais aller seule aux entretiens. Au contraire, elle devrait être accompagnée du directeur ou d’une collègue. Il est aussi important que l’EDE se mette à la place des parents et fasse attention à la façon dont elle leur annonce leur suspicion. Lors des trois entretiens que j’ai menés, les professionnels m’ont dit qu’ils utilisent des termes simples que les parents puissent comprendre. Il est aussi ressorti qu’il est important de ne pas les faire culpabiliser, de les laisser donner leurs explications et que l’EDE montre son inquiétude face à cette situation. Pour ne pas porter de jugement sur la famille, il est bien de leur expliquer que nous faisons cela dans le but de protéger l’enfant, non pour leur faire du mal et qu’il ne s’agit pas forcément de leur retirer leur enfant, mais de les aider. L’EDE peut aussi donner aux parents des conseils ainsi que d’autres stratégies dans l’éducation de leur enfant. Des entretiens avec la personne référente de l’enfant peuvent leur être proposés au sein de la structure. Il est également possible de contacter l’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO). Cette démarche se déroule si l’enfant n’est pas en danger réel. Sinon il faut procéder à un signalement. Lorsque les parents contactent l’AEMO, un éducateur social vient à la maison aider les parents. Il les conseille sur leur rôle par rapport à l’éducation de leur enfant. Il est également attentif au fait que cette situation disparaisse .
Faire un entretien avec les parents n’est pas toujours évident car il faut arriver à transmettre ses observations sans porter de jugement sur la famille, les accuser ou moraliser. Comme me l’a dit le pédiatre Thomas Gherke lors de l’entretien, il faut leur expliquer que nous sommes là pour les aider. Je trouve important de venir en aide à ces familles qui sont dans une détresse importante pour qu’elles arrivent à avoir une relation stable avec leur enfant. Les familles ne sont souvent pas responsables d’en arriver à maltraiter leur enfant, mais la situation dans laquelle elles se trouvent en est généralement la cause. Par contre, il est vrai que si l’enfant est en danger réel, il est mieux de le retirer de sa famille. C’est pour être protégé que l’enfant est parfois retiré de la famille avec laquelle il vit. Cela permet aux parents de casser une dynamique négative en ouvrant la porte au changement pour reconstruire, si possible, une nouvelle relation, plus saine. C’est pour cela qu’il est important de dire aux parents que la séparation est une aide plutôt qu’une sanction.
Ce n’est pas toujours facile de se dire que ces parents sont dans une situation de détresse et qu’ils ne font pas toujours exprès d’infliger cela à leur enfant. Avant de commencer ce travail, j’avais plutôt un regard négatif sur ces familles, mais au cours des lectures, des entretiens et de la rédaction, ma vision sur ces familles a changé et j’ai envie que d’autres personnes aussi puissent changer cette vision afin de pouvoir venir en aide à ces familles et non les juger.
➤ L’évaluation
« L’évaluation de l’enfance en danger ne s’applique pas seulement à la souffrance de l’enfant. Elle doit tout autant prendre en compte son bien-être » . Il est difficile d’évaluer si l’enfant subit réellement une maltraitance ou non. Cela peut être pénible pour l’équipe éducative devant se prononcer et les émotions peuvent être très lourdes à supporter. Il est important de se demander si l’enfant peut rentrer en sécurité à la maison ou s’il est en danger. A ce moment-là, il faut établir les ressources à mettre en place et déterminer s’il faut procéder à un signalement. Les professionnelles peuvent aussi ressentir de la crainte dans le processus d’évaluation d’un enfant maltraité, ce qui peut les amener à fermer les yeux sur certaines situations de peur : « d’étiqueter, contrôler, juger (et) classifier (ces familles) » . L’évaluation se fait par rapport aux observations, aux signes que présente l’enfant et aux explications et comportements des parents.
1. Introduction |