LE RÔLE DE MODÈLE DE L’ENSEIGNANT À L’ÉCOLEEN PRÉSENCE DES ÉLÈVES
Le devoir de l’enseignant de respecter les valeurs de la société québécoise en présence des enfants est évident. Ainsi, si la rectitude politique est présentement de mise dans notre société, cela devrait se refléter dans le comportement du corps professoral. Dire d’une personne qu’elle est grosse a pu être vu positivement lorsque cela était signe de prospérité, mais il est clair que ce qualificatif est souvent mal reçu de nos jours. Son utilisation par un enseignant à l’endroit d’un ou d’une élève risquerait donc d’être perçu comme un manque de respect, une forme de rejet et possiblement comme un motif de reproche de la part d’une commission scolaire. Lorsque des remarques ou des propos désobligeants sont tenus devant les enfants, dans la classe ou à l’école, le lien avec l’emploi et le manquement au devoir de l’enseignant est évident. Ce ne sont toutefois pas là les seules situations susceptibles de mettre en cause le rôle de l’enseignant dans la société
HORS LA PRÉSENCE DES ÉLÈVES
Le comportement d’un enseignant lorsqu’il est à l’école, mais hors de la présence des élèves, peut également justifier l’imposition de mesures disciplinaires, s’il est fautif. CainLamarre Casgrain Wells, Société en nom collectif L’affaire Conseil de l’éducation de Toronto28 nous donne un bon exemple de ce typede manquement. Rappelons-les faits à l’origine de cette décision. Des lettres de menace et d’insultes ont été écrites par un enseignant déçu de se voir continuellement refuser une promotion. Après avoir porté plainte pour racisme auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, l’enseignant a expédié de telles lettres à des représentants de l’employeur. Les élèves n’ont jamais été mis en cause ni même informés de la teneur, voire même de l’existence de cette correspondance. Ces lettres contenaient des manifestations d’agressivité et des menaces qui ne se sont par contre jamais concrétisées. Les experts consultés par les parties s’entendaient pour dire que cet VII enseignant n’était pas susceptible de commettre des actes de violence et qu’il ne souffrait d’aucun désordre psychologique. Néanmoins, les lettres qu’il a rédigées et l’agressivité dont elles font preuve ont été considérées comme des manquements graves au rôle que doivent assumer les enseignants. Que cette agressivité ne se soit pas manifestée devant des élèves n’a rien changé à l’affaire et l’enseignant s’est vu refuser le droit de réintégrer son emploi. La Cour suprême écrit : « Du fait de leur situation de confiance, les enseignants doivent prêcher par l’exemple et par leur enseignement, et ils donnent l’exemple autant par leur conduite en dehors des salles de cours que par leur prestation dans celles-ci. En conséquence, toute mauvaise conduite en dehors des heures normales d’enseignement peut constituer le fondement de procédures disciplinaires. CainLamarre Casgrain Wells, Société en nom collectif Tout comme dans l’arrêt Ross précité, c’est donc l’inaptitude de l’enseignant ayanttenu des propos agressifs ou racistes à remplir son rôle de « modèle » qui a étédéterminante dans le choix de la mesure disciplinaire à imposer.Les tribunaux se sont demandé si l’on pouvait prendre exemple sur un adulteraciste ou agressif au point de menacer de mort les gens qui le contrarient. Dans lesdeux cas, la réponse négative des tribunaux s’est traduite par la perte d’emploi desenseignants pour des propos qu’ils avaient tenus hors la présence d’élèves.
LE RÔLE DE MODÈLE DE L’ENSEIGNANT À L’EXTÉRIEUR DE L’ÉCOLEEN PRÉSENCE DES ÉLÈVES
Les exemples ci-dessus mentionnés permettent de comprendre facilement que lecomportement fautif adopté par un enseignant en présence d’élèves, même àl’extérieur de l’école, pourra faire l’objet de mesures disciplinaires.L’enseignant, la fin de semaine, est encore un enseignant. Il en va de même pendantles vacances estivales, lorsqu’il quitte l’école le soir, etc.Selon la Cour suprême, l’enseignant «n’est pas en mesure de (…) « choisir lechapeau qu’il portera et dans quelle occasion (…) » ce chapeau d’enseignant, il nel’enlève donc pas nécessairement à la de l’école et, pour certains, il continueà le porter même après les heures de travail »30La décision Audet de la Cour suprême illustre de façon convaincante ce principe. Unjeune enseignant de 22 ans était accusé d’avoir abusé de l’autorité que son statut luioctroi en posant des gestes à caractère sexuel à l’endroit d’une élève pendant lesvacances estivales et donc en dehors du contexte scolaire. CainLamarre Casgrain Wells, Société en nom collectif VIII Selon la Cour, l’enseignant devait, même à ce moment, garder à l’esprit le rôle de modèle qu’il est appelé à jouer auprès des jeunes et éviter d’abuser de la position d’autorité dont il jouit auprès de ceux-ci.
HORS LA PRÉSENCE DES ÉLÈVES
L’enseignant qui adopte un comportement ne cadrant pas avec les valeurs qu’il doitpromouvoir alors qu’il n’est ni dans le contexte scolaire ni en présence des élèvespeut aussi se voir imposer des mesures disciplinaires. Dans ce cas, la publicité faiteautour des gestes posés par l’enseignant aura un impact déterminant.En effet, si les élèves ne sont pas directement témoins d’un comportement fautif,l’enseignant n’aura donné de mauvais exemple que si les gestes posés ont étépublicisés, que ce soit par la voie des médias ou simplement par le bouche à oreille.L’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses de l’enseignement de Port neuf CEQ c. Commission scolaire de Port-neuf 31 en est un exemple.L’enseignant, trouvé coupable de fabrication de matériel pornographique et degrossière indécence, n’avait posé les gestes reprochés que chez lui et uniquement enprésence d’adultes consentants, sans qu’il n’y ait aucune participation d’enfants, àquelque titre que ce soit. CainLamarre Casgrain Wells, Société en nom collectif Devant ces faits, l’arbitre écrit : « […] la preuve atteste qu’aucun enfant n’était concernéet que l’employeur le savait. En un tel contexte,l’employeur se devait de convaincre le tribunal que lanature et la gravité des accusations criminelles ontentraîné une publicité qui risquait de causer un dommageimportant à sa réputation d’institution d’enseignement, déminer sa crédibilité, s’il ne relevait pas le plaignant deses fonctions. Car en tant qu’institution d’enseignements spécialisés aux niveaux préscolaire et primaire,l’employeur a la responsabilité sociale de s’assurer quetout enseignant présente certaines garanties morales et ildoit, lors d’accusations criminelles, même s’il saitqu’aucun enfant n’est impliqué, évaluer néanmoins ce quia été porté à la connaissance du public. »La publicité faite autour de cette affaire a, en l’espèce, conduit au maintien ducongédiement de l’enseignant impliqué dans la commission de ces actes criminels.Il est vrai que la présence ou l’absence de publicité autour d’une situationimpliquant un enseignant n’est pas nécessairement contrôlée par celui-ci. Considérerce facteur pour déterminer si un congédiement doit ou non être maintenu peut doncsembler arbitraire. En effet, les mêmes gestes posés par un enseignant pourraient,dans un cas, ne pas faire l’objet de publicité, ne pas ternir l’image de l’employeur niremettre en question le rôle de modèle IX qu’il joue et, donc, ne pas justifier uncongédiement. Dans un autre cas, le même comportement d’un enseignant ayant faitl’objet d’une vaste publicité pourrait, simplement à cause de cette diffusion dontl’enseignant n’est nullement responsable, justifier un congédiement. CainLamarre Casgrain Wells,Société en nom collectif Néanmoins, la considération de cet élément par les tribunaux trouve sa justificationdans le devoir de l’employeur de préserver son image et ainsi, la confiance de lasociété dans le système d’éducation.