Le rôle de l’État et des politiques publiques
Rappelons qu’en Uruguay l’État est présent par l’intermédiaire de deux institutions, aux rôles clairement définis : d’un côté, le Ministère de l’Élevage, de l’Agriculture et de la Pêche, responsable de l’innocuité au sein des abattoirs, de la traçabilité du bétail jusqu’aux abattoirs et du contrôle de la santé animale sur le territoire national. De l’autre, l’Institut national des viandes s’occupe de la qualité des produits vendus aussi bien sur le marché intérieur qu’extérieur, de la promotion du pays à l’étranger et du contrôle de la traçabilité au sein des abattoirs, ainsi que de la moyenne des bêtes jusqu’à la découpe. Le point de départ ayant marqué une inflexion du secteur provient de la volonté de l’Uruguay, d’éradiquer la fièvre aphteuse afin d’avoir accès à de nouveaux marchés et d’améliorer le prix de sa viande. Même s’il est vrai que l’Uruguay cherchait déjà à pénétrer sur des marchés à forte valeur ajoutée (quota Hilton), son accès était restreint à d’autres marchés consommateurs de viande qui présentaient un important intérêt commercial. L’Uruguay a ainsi décidé d’éradiquer la fièvre aphteuse sans vaccination, objectif qui a été atteint au début des années 2000 et lui a ouvert la porte à de nouveaux marchés (surtout les USA et, plus tard, le Mexique, la Corée du Sud et le Japon).
Depuis le début de cette étape de contrôle de la fièvre aphteuse, le but était d’obtenir ce statut sanitaire à partir d’une position de risque, car les efforts de contrôle devaient être coordonnés au niveau des régions. Malheureusement, le retour de la maladie lors de deux épisodes épidémiques a rendu nécessaire un réexamen de la stratégie de combat de la maladie. Le cas de la fièvre aphteuse est peut-être le premier problème qui a montré les difficultés du pays en termes de dessein stratégique à long terme pour ce qui est des questions sanitaires, en tant que vision stratégique de la chaîne de production. L’Uruguay, avec sa volonté d’éviter les vaccinations, s’expose à toute une série de risques qui ne sont pas totalement évalués et qui ont eu des conséquences catastrophiques sur l’économie nationale, du fait des épidémies. Le processus par l’intermédiaire duquel l’État décide des stratégies et met en marche les plans est l’aspect qui attire le plus l’attention. Il n’existe pas de registre de l’existence d’une analyse des bénéfices et des coûts associés à la perte du statut sanitaire du pays en cas d’épidémie animale. Cette norme de conduite de la part des politiques publiques est récurrente lors des différents événements qui ont lieu a posteriori, non seulement par rapport au statut sanitaire mais aussi sous d’autres aspects, qui, comme nous le verrons par la suite, maintient une structure de décision et de représentation des acteurs à l’identique.
L’épisode qui a marqué le retour de la fièvre aphteuse dans le pays a été le point de départ de l’actuel plan de traçabilité individuelle, qui a remplacé celui de traçabilité de groupe implanté dans les années 1970. Naturellement, les critères de décision et d’action sont différents selon les cas. En effet, une décision d’éradication d’une maladie (qui normalement n’entraîne pas d’oppositions) est différente d’une décision de mise en place d’un système de traçabilité ou de promotion de l’image du pays. Les campagnes d’éradication des maladies (brucellose bovine, tuberculose bovine) et/ou la prévention d’autres maladies comme l’encéphalopathie spongiforme bovine, semblent, d’un point de vue technique, ne pas poser de problèmes de la part du secteur dans son ensemble et être bien venues pour tous les acteurs de la chaîne. Face à l’amélioration de la capacité de pénétration sur le marché international, le secteur a commencé à présenter de meilleurs indicateurs, alors qu’il ne comptait pas encore sur l’appui et les aptitudes de l’agriculture. Tout cela a permis la mise en place d’un processus de croissance, qui a davantage touché l’engraissement que la reproduction.
Pendant une bonne partie des années 1990 et au début des années 2000, d’autres efforts ont été accomplis en matière de politiques publiques, qui ont cherché à renforcer la croissance du secteur : cela va de plans incitant les associations d’éleveurs à passer par une intégration qui a permis d’atteindre de nouveaux marchés, à des incitations aux investissements d’améliorations, qui n’ont pas vraiment d’impact sur l’ensemble de la chaîne. Néanmoins, ces plans sont symptomatiques des problèmes qu’ils veulent résoudre. Parmi ceux-ci, figurent la relation entre les producteurs et l’industrie, la meilleure manière d’obtenir plus de valeur ajoutée aux produits et l’amélioration de la répartition de cette valeur ajoutée. La relation de base des éleveurs avec l’industrie passe par le marché, où la signalisation de la qualité et la spécificité des produits déterminent la valeur de la marchandise. La réclamation des éleveurs provient du fait qu’ils voudraient mieux connaître ce qui se passe lors de l’abattage, en termes de rendement du bétail, et qu’ils voudraient également mieux comprendre le système d’affaires, car ils soupçonnent l’industrie d’obtenir des marges de bénéfices très importantes, ainsi qu’une bonne position sur le marché intérieur et extérieur. Cette vision, selon laquelle les abattoirs engrangent la plupart des bénéfices de production, entraîne l’impression chez les producteurs et au sein de l’industrie que l’échec de l’augmentation de la valeur du produit exporté est causé par une industrie incapable de saisir ces opportunités alors que les éleveurs, eux, sont capables de le faire.
Cela représente une menace stratégique pour l’industrie, qui s’oppose farouchement au développement de ce type d’initiatives émanant du Ministère de l’Élevage, de l’Agriculture et de la Pêche. L’échec des plans d’intégration de la production et de l’industrie, sous le contrôle des éleveurs, démontre bien ce type de difficultés. Nous pouvons ainsi citer les deux principaux échecs (dans l’ordre) de gestion des éleveurs : les abattoirs PUL (Producteurs Unis Compagnie Limitée) et la Coopérative centrale des viandes. Nous devons nous demander pourquoi, face à ces preuves empiriques, qui démontrent que les éleveurs ne sont pas meilleurs que les industriels en ce qui concerne l’abattage et la mise en vente sur le marché extérieur, le diagnostic selon lequel ils sont à la source de la valeur du produit, et sont plus capables de placer stratégiquement le produit à l’étranger, perdure. Pour ce qui est du contrôle d’innocuité, il n’existe pas d’observations concluantes quant au rôle de l’État à ce niveau. Les acteurs ont insisté sur l’assurance avec laquelle le pays s’occupe de son statut sanitaire, mais la vision de la façon dont le pays gère son agenda sanitaire montre les difficultés relationnelles des différents acteurs, sur des aspects de base. De plus, l’Uruguay a des difficultés à s’adapter aux changements réglementaires, comme dans le cas de l’étiquetage destiné aux États-Unis ou de la procédure de définition des lots pour les réclamations. L`un des acteurs a d’ailleurs déclaré : « L’Uruguay est si passif que cela frise la négligence ».