LE RÔLE DE L’ÉTAT DANS LE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DES INVESTISSEMENTS CHINOIS
LE SOCIALISME DE MARCHÉ : LES TRAITS SAILLANTS DU CAPITALISME CHINOIS
La croissance exceptionnelle de l’économie chinoise au cours des années 1990 est souvent présentée comme une conversion accélérée à l’économie de marché, en lien avec la faillite du modèle communiste en URSS au début de cette décennie. Toutefois, nous montrerons dans une première section que les réformes menées en Chine se rattachent à une logique d’expérimentation et d’innovation institutionnelle qui a favorisé l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme de nature hybride. Nous verrons dans une seconde section que ce succès fit l’objet d’une interprétation erronée de la part de la nouvelle économie institutionnelle, rattachée aux politiques prônées par le Consensus de Washington, validant au contraire les travaux de l’économie politique institutionnelle et de l’école de la régulation. Section 1.1.1. La logique des réformes de l’économie chinoise Avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la République populaire de Chine (RPC) assouplit sa doctrine marxiste afin de lancer une série de réformes économiques d’inspiration libérale. Ces dernières font partie des « Quatre modernisations » (industrie et commerce, éducation, organisation militaire et agriculture) défendues par le nouveau gouvernement chinois. Malgré l’incertitude politique et l’isolement international provoqué par la répression brutale des manifestations de la place Tian’anmen en 1989, Deng Xiaoping se charge de relancer les réformes lors de son fameux « Voyage du Sud » en 1992 qui inaugure une accélération sans précédent de la croissance économique et des investissements étrangers au cours de cette décennie. Arrighi affirme que la libéralisation de l’économie chinoise ne suit pas forcément la vague de réformes économiques qui surgit dans de nombreux pays dans les années 1980 car elle présente des caractéristiques idiosyncratiques54, lesquelles peuvent être résumées par les points suivants : Un gradualisme qui s’oppose aux théories de choc proposées par le Consensus de Washington. Le marché représente ici un instrument qui demeure entre les mains du gouvernement et son établissement ne constitue pas un objectif en soi.Une action de l’État destinée à étendre et moderniser la division sociale du travail à travers l’exposition des entreprises étatiques à la concurrence avec une combinaison d’entreprises privées, semi-privées et communales de création récente. Les autorités créent également des zones de traitement des exportations afin de développer de nouvelles industries. Une expansion massive de l’éducation pour contrebalancer les effets négatifs de la division du travail au sein de la population. Une subordination des intérêts capitalistes à l’intérêt national et un encouragement de la concurrence intercapitaliste, laquelle provoque une suraccumulation constante de capital et une pression à la baisse sur le taux de bénéfice. Cette série de réformes contribua à renforcer ce qui constitue selon Arrighi le principal attrait de la Chine aux yeux des investisseurs étrangers : la haute qualité de ses réserves de main d’œuvre bon marché, combinée à la rapide expansion des termes de l’offre et de la demande pour leur mobilisation productive sur le plan domestique. Le facteur décisif de ce succès est également lié à une autre caractéristique smithienne des réformes chinoises : le rôle clé attribué à la formation du marché interne et à l’amélioration des conditions de vie dans les zones rurales. Ainsi, les ECV de propriété publique ont favorisé cette dynamique de différentes manières : Elles ont absorbé l’excédent de main d’œuvre et élevé les revenus dans le milieu rural tout en évitant une augmentation massive de l’émigration vers les zones urbaines. Étant peu régulées, elles ont augmenté la pression compétitive dans tous les domaines. Elles ont représenté pour l’État une source importante de revenus fiscaux, réduisant ainsi la charge fiscale des paysans. En réinvestissant localement les bénéfices et les rentes, elles ont accru le volume du marché interne et créé les conditions pour de nouveaux cycles d’investissement, de création d’emplois et de division du travail.
Le rôle des institutions dans la croissance de la Chine
North définie les institutions comme « les restrictions mises en place afin de structurer l’interaction politique, sociale et économique, comprenant des restrictions informelles – sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes de conduite – et des lois formelles – constitutions, lois et droits de propriété – , lesquelles favorisent les échanges entre les hommes.69 ». L’institutionnalisme va plus loin en postulant que « les préférences, ainsi que les espérances dans le futur et les motivations, ne déterminent pas seulement la nature des institutions, mais elles se voient également limitées et modelées par ces dernières.70 ». Il s’agit donc selon Tejada Canobbio d’un système autopoïétique car les changements au sein des institutions sont le fruit des incitations qu’elles ont elles-mêmes créées. Cette vision évolutive de l’économie, à la différence des conceptions orthodoxes, ne représente pas un processus de stabilisation dont le résultat serait un état statique mais un processus de croissance et de mutations constantes71 . L’institutionnalisme est aujourd’hui divisé en deux courants, la Nouvelle économie institutionnelle (NEI), rattachée à l’école néoclassique, et l’Économie politique institutionnelle (EPI), plus proche des économistes hétérodoxes. L’EPI estime que la définition et le fonctionnement d’un marché sont liés à un ensemble d’institutions complexes formelles et informelles. Cette approche est d’avantage politique et historique que celle de la NEI qui considère les institutions comme une structure d’incitations sous-jacente de la société, déterminant in fine l’allocation des ressources au sein de l’économie72. Tejada Canobbio souligne que, dans cette optique, « La croissance économique se réalise en créant un cadre institutionnel qui encourage les gains de productivité et qui permet le respect des contrats et de l’échange, c’est-à-dire la réduction des coûts de transaction et la définition des droits de propriété » 73 . Cependant, le concept de propriété ne présente pas de définition universellement acceptée et son interprétation peut varier selon l’optique disciplinaire adoptée. Ainsi, North et Demsetz affirment qu’il existe trois types de propriété : la propriété privée qui est rattachée à un individu ; la propriété commune, fondée sur une jouissance illimitée des biens concernés par tous les membres de la société ; et la propriété collective, qui correspond à une communauté ou à un État en fonction de la priorité ou de l’importance donnée à l’usage de ce bien74. Un des principes fondamentaux de la pensée néo-institutionnelle repose donc sur la primauté des intérêts conçus par la propriété de biens naturels ou créés par l’homme en tant que pierre angulaire du modèle économique, ces intérêts suscitant par la suite la naissance d’autres institutions de soutien. Dans cette optique, la nature des droits de propriété au sein d’une société représente le facteur décisif dans la fixation des coûts de transaction. La nature de cet ensemble de droits comprend aussi le contrôle de l’usage de la propriété, son usufruit, son transfert ainsi que l’exclusion d’autres personnes. C’est pourquoi la NEI considère la définition claire des droits de propriété et la gestion des coûts de transaction comme des éléments indissociables du succès économique d’une société, si ce dernier est évalué en termes de taux de croissance du PIB. En effet, l’établissement et le respect des droits de propriété, en réduisant les coûts de transaction, assure un cadre favorable pour les investissements sur le long terme. Ces éléments auraient été centraux dans le développement des économies occidentales selon la théorie de la prospérité. De même, l’absence de ces droits de propriété, ou l’incapacité d’une société à les faire respecter sans un coût trop élevé, serait la principale cause du sous-développement des pays concernés. L’existence de droits formels de propriété demeure néanmoins insuffisante si ces derniers ne garantissent pas des droits explicites de contrôle. Il est donc nécessaire d’établir une distinction claire entre le contrôle des actifs et la propriété de ces derniers.Ces idées furent reprises dans une série de recommandations pour les politiques publiques lancée par l’Institut d’Économie Internationale, suite à une réunion à Washington en novembre 1989 avec les ministres d’économie des pays latino-américains, les représentants des organismes financiers internationaux et le gouvernement des États-Unis. John Williamson codifia aussi la vision du développement défendue à cette occasion comme « un ensemble désirable de réformes de politique économique ». Cette doctrine se constitua d’abord comme une réponse à la crise internationale de la dette qui débuta en 1982, et pris par la suite le nom de Consensus de Washington en insistant sur trois piliers : la libéralisation commerciale, la privatisation des entreprises d’État et la réduction de l’intervention de ce dernier dans l’économie, y compris pour les dépenses en investissements. Des réformes macro-économiques radicales furent mise en œuvre d’après ces recommandations dans la deuxième moitié des années 1980 et au cours des années 1990. Les priorités politiques étaient d’imposer le secteur privé en tant que principal moteur du processus d’investissement, d’éliminer les subventions et d’ouvrir les marchés de biens et de capitaux à la concurrence extérieure (Tableau 1). Toutefois, les résultats contrastés des mesures qui furent mises en œuvre en Amérique latine soulignèrent certaines insuffisances dans la conception de ce programme. En outre, la croissance exceptionnelle des économies asiatiques durant cette décennie relança le débat théorique autour des différents modèles de développement appliqués dans ces pays. Ces expériences conduisirent les promoteurs du Consensus à admettre l’inefficacité des politiques visant l’ouverture des économies sans une transformation institutionnelle antérieure, depuis la bureaucratie jusqu’au marché du travail76 . C’est pourquoi la deuxième vague de réformes inspirées par ce courant à la fin des années 1990 insista sur l’importance des institutions et sur l’idée de bonne gouvernance (Tableau 2).
L’ÉVOLUTION DES FIRMES MULTINATIONALES
Après avoir abordé les particularités du modèle de développement chinois, il est nécessaire de formaliser sur le plan théorique les facteurs institutionnels de la localisation des IDE, à travers l’environnement de ses principaux acteurs, les FMN. Tout d’abord, le concept de compétitivité systémique présenté dans la première section paraît pertinent afin de mettre en valeur à la fois l’importance des institutions du pays d’origine et la complexité des exigences faites aux entreprises. Ensuite, la notion de gouvernance des CGV illustrée dans la seconde section permet d’analyser les modalités de l’insertion internationale des firmes chinoises et leurs implications sur les pays récepteurs d’IDE comme le Mexique. Section 1.2.1. Les enjeux de la compétitivité systémique Ce concept développé par Esser, Hillebrand, Messner et Meyer-Stamer est très utile afin de compléter l’approche analytique, essentiellement macro et microéconomique, des théories traditionnelles concernant les IDE78. Il convient de préciser ici que ce travail correspond d’avantage à l’économie du développement car les auteurs ont une perception holistique du problème de la compétitivité énoncé par Porter. Ce dernier occupa une place centrale dans le débat théorique en économie au cours des années 199079, en inspirant notamment les travaux du Consensus de Washington, lequel se traduisit par des politiques d’ajustement structurel dans de nombreux pays latino-américains. Comme le mentionnent Esser, Hillebrand, Messner et Meyer-Stamer, le concept orthodoxe d’ajustement structurel se concentrait principalement sur le niveau macro et microéconomique. Leur article publié dans la revue de la CEPAL représente donc une réponse hétérodoxe cohérente avec la tradition structuraliste de cette institution. De cette manière, cette approche différencie quatre niveaux analytiques : méta, macro, méso et micro (Figure 1), « le niveau méta étant celui où s’examinent des facteurs comme la capacité d’une société pour l’intégration et la stratégie, alors qu’au niveau méso on étudie la formation d’un environnement capable de promouvoir, compléter et multiplier les efforts au niveau de l’entreprise 80 ». De même, les auteurs essayent de lier des « éléments appartenant à l’économie industrielle, à la théorie de l’innovation et à la sociologie industrielle avec les arguments du récent débat sur la gestion économique développé sur le plan des sciences politiques autour des policy-networks. ».