Le rôle de la reconnaissance UNESCO dans le
processus d’appropriation du PCI
L’appropriation : un processus complexe qui suit des rythmes différents pour chacun L’appropriation est, d’après Jean-Pierre
Le Scouarnec, dépendante d’un processus de transmission . Il est même possible de considérer qu’il y a interdépendance, car l’appropriation est nécessaire à la transmission puis à la valorisation, tout autant qu’elle est conséquence de cette transmission et de cette valorisation. L’appropriation ne se fait pas complètement d’un jour à l’autre avec un label « UNESCO ». C’est un processus lent, qui connaît des rythmes différents selon les protagonistes considérés : services de l’Etat, professionnels du patrimoine ou de la culture, artistes, citoyens, universitaires … Chacun doit prendre conscience, à sa manière, de la part de patrimoine qui lui appartient, la reconnaître puis se l’approprier. De plus, « l’appropriation est à la fois individuelle et collective » .
L’appropriation individuelle
« On n’est pas obligé d’accepter l’héritage, on peut choisir de refuser l’héritage, mais on ne peut pas le dénigrer.»4 Danyèl Waro m’a semblé être un exemple parlant pour illustrer une appropriation atypique et entière du maloya comme patrimoine vivant. Voici le récit de sa rencontre avec le maloya: « Et après je découvre le maloya, dans les meetings du parti communiste, enfin dans la fête de Témoignage, le journal du parti communiste. Parce que justement, c’est le parti communiste qui a relancé Firmin, qui était là déjà avant les années 60, mais après il s’est éteint un peu, il s’est étouffé, il a redémarré disons dans les années 70, en 69, mais plutôt 70, 71, et le PC aussi il a repris la logistique, il a gagné la mairie, il a gagné le conseil général, et voilà. Et moi c’est au Port, à la fête de Témoignage, que je découvre Firmin Viry. Et pour moi c’est un choc, et je découvre ça, et je commence à danser, même si les gens autour de moi ne dansent pas, moi je danse, je suis assez fou, assez…, voilà, j’ai tempérament assez fort pour pas avoir honte si tu veux bien […] Mais après coup quand j’analyse, j’ai construit ma liberté, j’ai construit mon maloya depuis étant petit en fin de compte. »1 Or, il doit exister autant de façons de s’approprier un patrimoine qu’il existe de personnes qui composent la communauté concernée. Par exemple, Firmin Viry, respecte tout à fait la musique de Granmoun Lélé qui mélange le maloya cultuel et le maloya festif, mais ne partage pas son avis : « Mais moi, j’ai dit à Granmoun Lélé, c’est bien tu mélanges la tradition et le cultuel, pour certaines couches sociales, c’est bon, pour certaines couches sociales ce n’est pas bon. »2 Chacun est libre de s’approprier à sa manière et à son rythme ce qu’il a reconnu comme faisant partie de son patrimoine. La diversité des formes de maloya aujourd’hui montre à quel point, rien que chez les artistes, l’appropriation est plurielle : maloya électrique, malogué, raggaloya, maloya-rock, maloya fusion, maloya-jazz… Et ce sans doute parce que « l’appropriation est un processus dynamique qui doit tenir compte de l’apport des nouvelles générations qui peuvent réinterpréter leur patrimoine ».3
L’appropriation collective
Si l’on considère l’échelle nationale, il s’agit plus, pour les professionnels du patrimoine et de la culture, de s’approprier la notion de patrimoine culturel immatériel que de s’approprier un patrimoine vivant en particulier. Or, dans les premières années qui ont suivi l’adoption de la Convention, on peut parler d’indifférence générale pour la signature de la Convention pour le patrimoine culturel immatériel. En effet, la France, malgré l’existence de la Mission du Patrimoine Ethnologique qui pouvait témoigner d’un certain intérêt à l’égard du patrimoine vivant, n’est que le 54ème pays à ratifier la Convention, « non qu’elle soit opposée à sa ratification mais tout simplement qu’aucun zèle n’est mis à le faire, simplement parce qu’elle ne suscite pas un intérêt particulier auprès de l’administration ».4 Cependant, l’indifférence de la France pour l’immatériel n’est pas neuve : alors que l’UNESCO délivrait, dans le début des années 2000, les premiers titre de chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité à certaines pratiques culturelles, la France traînait à déposer des candidatures, et Chérif Khaznadar alors en charge de cette mission affirme : « je prêche dans le désert » Par ailleurs, l’appropriation collective concerne aussi la communauté détentrice du patrimoine, pour qui il s’agit à la fois de s’approprier la notion de patrimoine culturel immatériel mais aussi de s’approprier les éléments qui constituent le sien. A l’échelle de La Réunion, la situation est peut-être pire qu’à l’échelle nationale : « Il y a une espèce de honte chez les réunionnais, de leur passé, ce tous ce que leurs ancêtres ont accompli, de cette force extraordinaire qui a fait ce qu’ils sont ».1 Héritage de ce passé douloureux, le patrimoine culturel immatériel peine à se faire accepter. La société n’est pas vraiment prête, « mais en même temps, la notion de maloya patrimoine de l’humanité est quelque chose qui est entré dans les têtes aujourd’hui à la Réunion, et qui fait qu’il y a malgré tout chez les gens une espèce de fierté, par rapport à ça ». 2 Le projet de MCUR, couplé à l’inscription du maloya, à contribué à interpeller les réunionnais sur leur patrimoine, et le fait que son caractère soit souvent immatériel ne le prive pas pour autant de sa légitimité. Pourtant, l’abandon du projet de MCUR est quelque part synonyme de discrédit de la notion de patrimoine culturel immatériel auprès de la population. En effet, alors que le projet battait son plein, une grande collecte d’objets et de paroles avait été faite auprès des réunionnais, faisant avancer d’un grand pas le processus d’appropriation de ce patrimoine. Après l’abandon du projet, les objets recueillis n’ont pas pu être restitués à leurs propriétaires, qui se demandent bien ce qu’ils ont pu devenir… En revanche, le projet avait pour objectif de faire prendre conscience aux réunionnais de l’importance de leur patrimoine vernaculaire en général. Il reste donc possible que malgré son abandon, la fierté ressentie avec l’inscription du maloya sur la Liste représentative aura un effet boule de neige et fera naitre une fierté pour toute la culture vernaculaire3 . « Une telle inscription, par le fait même qu’elle est la reconnaissance, au plus haut niveau culturel international, d’un élément fondamental de la culture vernaculaire réunionnaise longtemps marginalisé ou méprisé par les instances officielles, aura un effet extrêmement bénéfique sur les pratiques de sauvegarde elles-mêmes. Dans une telle atmosphère, c’est la communauté tout entière qui aura à cœur la sauvegarde, la transmission et la valorisation du maloya et, au delà, des pratiques vernaculaires. ».