Le risque d’inondation n’est pas uniquement une contrainte pour l’aménagement du territoire

La prise en compte progressive de la vulnérabilité dans une attitude davantage préventive

Le tournant s’opère dans les années 1980 avec la fin de la politique des grands travaux issus de la politique rationaliste d’aménagement engagé dans la reconstruction d’après guerre par l’Etat.
L’environnement est davantage pris en compte avec le constat des nouvelles vulnérabilités induites par l’urbanisation et les effets sur les milieux. Il s’ensuit une orientation vers une gestion de l’inondation plus axée sur la prévention avec dans un premier temps la loi de 1982 relative à l’indemnisation des victimes contre les catastrophes naturelles.
Les modalités de répartition de la gestion du risque sont posées : l’Etat garant de l’équité des territoires sur l’espace national définit les grandes orientations qui sont notamment traduites dans les Directives Territoriales d’Aménagement (DTA). Les PER ont été souvent perçus comme des freins imposés par l’Etat (décision top down) aux collectivités dans leur développement car trop éloignés des réalités et des spécificités locales. Cette séparation des rôles et les tensions entre l’Etat et les collectivités et les retards consécutifs dans les on fait parler d’un relatif échec des PER. et l’institution du Plan d’Exposition aux Risques (PER) en 1984. C’est le premier outil de maîtrise de l’urbanisme et il est rapidement transféré aux communes avec les lois de décentralisation qui donnent aux collectivités territoriale la compétence en matière d’urbanisme.
La loi Barnier de 1995 promulgue le Plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) qui fusionne les PER avec les Plans de Surfaces Submersibles (PSS) et les Plans de Zones Sensibles aux Incendies de Forêt (PZSIF) . Elle instaure la mainmise de l’état qui réalise les Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) sur l’urbanisme en zone inondable et laisse aux communes les prérogatives en terme de développement, projet de territoire et zonage (Plan Local d’Urbanisme).
Elle vise à une meilleure information des publics et connaissance des causes des inondations.
Cependant, durant les années 1990, l’aménagement est devenu un facteur d’attractivité et ces nouveaux outils ne permettent pas d’empêcher l’investissement de secteurs inondables comme les berges de fleuves, synonymes de cadre de vie privilégié. Une certaine compétitivité entre les villes a par ailleurs vu leurs fonctions se diversifier et se densifier, augmentant d’autant les enjeux humains et économiques, et de là leur vulnérabilité face au risque.
La loi met également en place une procédure de débat public pour les projets d’aménagement ou d’équipement ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement des territoires (article L.121-8).

Les moyens actuels de gestion du risque d’inondation, partage des rôles et contraintes

Les documents d’urbanisme

Les Directives Territoriales d’Aménagement et de Développement Durable (DTADD) réalisées par l’Etat, sont les documents cadres définissant les grandes orientations du territoire en matière d’aménagement et d’environnement à moyen et long terme et à l’intention des collectivités pour la réalisation de leurs documents d’urbanisme.
Par ailleurs, dans le processus d’élaboration des documents d’urbanisme des communes et la délimitation des zones inondables en particulier, l’Etat transmet aux collectivités le «porter-à connaissance» qui compile textes législatifs, cartographies études géologiques et hydrauliques etc.
Ce document obligatoire a une valeur informative mais n’engage pas la responsabilité de l’Etat. En revanche, il lui permet à travers les directives sur la prévention des risques de garder une mainmise sur les politiques urbaines locales.
 Le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) est l’outil de conception et de mise en oeuvre d’une planification stratégique intercommunale, à l’échelle d’un large bassin de vie ou d’une aire urbaine, dans le cadre d’un projet d’aménagement et de développement durables (PADD).
 Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) /Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) est un document d’urbanisme qui à l’échelle d’une commune ou d’un groupement de communes (EPCI) , établit un projet global d’urbanisme et d’aménagement et fixe en conséquence les règles générales d’utilisation du sol sur le territoire considéré.
Le Document d’Orientations et d’Objectifs (DOO) précise les objectifs relatifs à la prévention des risques et peut élaborer des schémas de secteur dans ce sens. Le SCOT doit être compatible avec les PPRN s’il en existe. Comme les DTADD, les SCOT peuvent empêcher la constructibilité sur les zones soumises au risque.
Il présente:
En l’absence de PPR il définit les mesures de prévention des risques, sinon il doit être compatible avec le PPR existant qui lui est annexé.
 l’existence des risques naturels et explique le chois qui en découle
 les secteurs exposés
 éventuellement des règles particulières au titre des risques présents sur un secteur donné
Risque inondation et aménagement, une association qui ne va pas de soi Issus d’une contradiction première, nous montrerons que le risque d’inondation et l’aménagement peuvent «cohabiter» sur un territoire dans certaines conditions. Au lieu de l’ignorer, l’aménagement devrait en effet l’intégrer afin qu’il devienne comme nous le suggérons un «marqueur» du territoire. En parallèle d’un projet territorialisé, une démarche impliquant les habitants doivent les sensibiliser, non seulement au risque mais à l’histoire des inondations, aux différents savoir faire pour mieux s’en prémunir et appréhender l’après crise. Ainsi nous parlerons de « culture du risque» de «vivre avec» et de «résilience-mitigation», autant de notions qui contribueront également à envisager le risque sous un angle plus positif.

Risque inondation et aménagement, les éléments contradictoires

M. Gralepois pose d’emblée la contradiction entre la protection contre le risque et le développement : « Les contraintes issues du risque innondation entrent en concurrence avec des objectifs urbains tel que le développement économique, le maintien de l’agriculture, la croissance urbaine ». Cette opposition se matérialise par exemple dans le rapport conflictuel entre l’Etat et les collectivités lors de l’élaboration des PPR. Tandis que l’Etat garant de la sécurité collective veut réduire la vulnérabilité, les élus lui reprochent d’utiliser des méthodes inadaptées localement et d’appauvrir le territoire.
Du point de vue de la population, les habitants dénoncent parfois un préjudice lié à la perte de valeurs vénales (valeur foncière, perte d’un bien, coût des travaux nécessaires sur le bâti) qui se rajoute aux traumatismes psychologiques liés à la catastrophe.
Ici la contradiction touche les intérêts-mêmes des habitants. En effet, les enjeux liés à la spéculation foncière des territoires cohabitent avec une demande forte de sécurité qui jouent l’opposition au niveau du classement en zone inondable. L’habitant a peu de marges de manoeuvre notamment dans la prise en charge des mesures de sécurité gérées par l’Etat et adopte une attitude de défiance vis à vis des pouvoirs publics et des experts.
V. November montre comment l’aménagement contraint par le risque adopte des stratégies spatiales selon les secteurs d’activité : «la réponse géographique dominante face aux risques sera l’élaboration de politiques d’espacements entre les activités et les populations, entre usines et habitat ». Si nous regardons maintenant le terme «aménagement», une définition nous en est donnée par P. Merlin. « L’action et la pratique (plutôt que la science, la technique ou l’art) de disposer avec ordre, à travers l’espace d’un pays et dans une vision prospective, les hommes et leurs activités, les équipements et les moyens de communication […] en prenant en compte les contraintes naturelles, humaines et économiques, voire stratégiques. »:
Selon cette définition, le risque d’inondation pourrait se ranger sous le terme «contrainte naturelle». Nous pourrions imaginer aussi que l’agencement des éléments -hommes, activités, équipements…- pourrait résulter « d’une vision prospective et stratégique» d’intégration du risque. Cette notion de contrainte transparaît d’abord comme un projet en soi, puisque comme nous l’avons dit, les aménagements des terres inondables n’avaient pour but dans un premier temps que de retenir les crues et d’effacer en quelque sorte le phénomène. Aussi, dans ce cas la contrainte était également le programme puisque créer un ouvrage technique répondait à une fonction précise : protéger les personnes et les biens. Cette façon de faire s’est maintenue alors que les espaces urbanisés se sont étendus, suivant leur propre logique de développement. L’urbanisation répondait à d’autres enjeux fonctionnels et économiques en parallèle, les structures de protections permettant de s’abstraire de toute contrainte puisque destinées à contenir les débordements. V. November le dit autrement en qualifiant la pensée sur le risque de «pensée essentiellement externalisante» :
« C’est-à-dire qu’elle [la pensée sur le risque] le [le risque] traite comme un objet externe aux espaces qu’il touche. Or le processus de traduction donne à penser que le risque est littéralement ancré dans les espaces. Il s’agit donc, désormais, d’aborder le risque comme un élément participant activement, intrinsèquement, aux transformations territoriales, capable de marquer certains espaces sur le long terme et même d’être lisible dans le paysage. En d’autres mots, il s’agit de se donner les moyens, non pas de réfléchir uniquement en terme de contiguïté des risques, mais également de les saisir dans leurs relations de connexité » 80.

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Le risque d’inondation devrait «marquer le territoire»

Le risque devrait donc marquer le territoire et être au fondement des transformations territoriales. Ainsi, nous passerions du risque inondation comme motif d’un objet technique circonscrit à une localisation stratégique (digue le long d’un fleuve, barrage…), qui vise à protéger un espace plus étendu (zone inondable), à un projet dont l’une des composantes serait ce même risque, qui trouverait sa représentation dans des espaces connectés, faisant partie intégrante du paysage. Ceci nous interroge sur la façon de «marquer» le risque sur le territoire. De quel nature ce fait de «marquer» peut-il être ? Et quel aspect du risque d’inondation pourrait-il révéler ? Jusqu’au XVIIème, le risque faisait partie intégrante des modes de vie. Il était parfois considéré comme une contrepartie 81 aux ressources apportées par le fleuve dont l’emplacement avait déterminé le fondement de la ville. Le cours d’eau fournissait en effet bon nombre de services : transport, échanges, cultures… Le risque d’inondation faisait l’objet d’adaptations, par reculs successifs des zones habitées par rapport au fleuve ou bien par l’installation sur les espaces les plus élevés afin de réduire la vulnérabilité tout en restant à proximité de l’eau 82 Outre «marquer le territoire» nous pouvons ajouter qu’étant qu’intégré au mode de vie et en tant que phénomène spécifique à un territoire (situé géographiquement et selon des processus naturels endogènes), il est constitutif d’une certaine culture du territoire. Dès lors que le risque est en partie éradiqué et que les inondations s’espacent pour devenir des phénomènes abstraits, les mesures de protection ont tendance à effacer le risque. C’est ce qu’observe V. November chez les habitants de Lully pour lesquels l’inondation de 2002 a eu pour conséquence « la remise en question de leur mode d’habiter » car « la mémoire du risque avait été dans ce cas diluée par l’adoption successive de mesures de protection. L’inondation est venue mettre à l’épreuve la manière d’habiter sur ce territoire » . Sous cet angle, le risque marquait le territoire par la fréquence des débordements, par les dommages occasionnés et les réajustements de l’après inondation : recul, reconstruction, ouvrages d’irrigation…
En effet, nous avons aujourd’hui une conscience abstraite du risque à travers des représentations de ses manifestations potentielles tandis que le risque dans sa matérialisation prend une toute autre dimension. C. Kermisch remarque qu’il n’existe pas une définition univoque du risque mais que toutes les définitions ont en commun la notion de potentialité : « … sa [du risque] saisie est complexe étant donné que le risque «n’existe pas», qu’il est toujours potentiel et virtuel : lorsqu’un risque se matérialise, il ne s’agit plus d’un risque, mais d’un sinistre. Le risque n’est donc jamais «actuel» ».

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