Le respect de l’ordre interne aux centres éducatifs fermés

L’élaboration d’un cadre disciplinaire à la dimension éducative

Pendant quelques mois, les adolescents sont privés de leur liberté et se trouvent, en conséquence, obligés de vivre en collectivité dans un espace fermé. La mise en place d’un cadre disciplinaire est indispensable au bon fonctionnement du centre et au relèvement éducatif des mineurs. En tant qu’établissement social et médico-social, la discipline se trouve codifiée au sein des règlements de fonctionnement (A). Définissant l’ensemble des règles de vie au sein du centre, le règlement précise également les sanctions qui pourront être appliquées en cas de nonrespect de ces dernières, prenant quelquefois la forme de sanction éducative. De manière générale, les sanctions sont adaptées aux manquements commis en fonction d’un référentiel établi par l’établissement et permettent également de responsabiliser les mineurs (B).

Le règlement de fonctionnement : socle de la discipline

Le CEF est un lieu de contrainte, hébergeant des mineurs en proie à des difficultés en matière de respect de normes, ce qui constitue d’ailleurs le principal motif de leur placement dans cet établissement 152 . Le quotidien des mineurs placés en CEF bascule du jour au lendemain. Désormais soumis à un cadre strict dans lequel ils ont perdu le contrôle, la 152 GOURMELON Nathalie, BAILLEAU Francis, MILBURN Philippe, BARBIER Kathia, BEDIAR Nadia, « Les établissements privatifs de liberté pour mineurs : entre logiques institutionnelles et pratiques professionnelles.
Une comparaison entre Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), Quartiers Mineurs en maison d’arrêt (QM) et Centres éducatifs fermés (CEF) », p.54. transgression de ces derniers demeure inévitable. Jusqu’alors refusant toute forme d’autorité, les mineurs vont, durant les premiers jours, s’opposer aux règles qui leurs sont prescrites,considérant qu’ils peuvent passer outre. De ce fait, comme nous avons pu le voir précédemment, il est indispensable que le règlement de fonctionnement leur impose des limites et des interdits qui, en cas de violation ou de non-respect, entraineront l’application d’une sanction.
Toutefois, force est de constater que l’instauration d’un ordre intérieur stricte reposant sur un cadre disciplinaire est un sujet complexe. En effet, un équilibre doit être trouvé entre, d’une part, l’obligation de l’établissement à assurer la protection des enfants qui lui sont confiés, et d’autre part, la nécessité de mettre en oeuvre une discipline qui est compatible avec leur âge et le caractère éducatif de la structure. Il est vrai qu’il demeure difficile pour un établissement privatif de liberté, de mettre en place un système de contrainte disciplinaire, qu’il soit physique ou juridique, tout en restant adapté aux jeunes, respectant leur droit et gardant une visée éducative. Pour autant, tel est l’enjeu majeur des CEF.
Selon le Larousse la discipline constitue un ensemble de lois, d’obligations et de règles qui régissent une collectivité et destinées à y faire régner l’ordre153. En vertu du CASF, les centres doivent élaborer des règlements de fonctionnement, définissant « les droits de la personne accueillie et les obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective au sein de l’établissement ou du service »154. Rappelée également par l’article 8 de l’arrêté du 31 mars 2015, la présence d’un règlement de fonctionnement permettra de rassembler l’ensemble des obligations auxquelles sont astreints les mineurs et servira de socle au cadre disciplinaire.
Comme le rappelle Milburn Philippe, contrairement au droit discipline qui guide la vie en en détention, les CEF, tous comme l’ensemble des établissements éducatifs, le règlement de fonctionnement ne « s’appuie pas sur un droit codifié » 155 . En effet, le règlement de fonctionnement est le fruit de multiples réflexions provenant de l’ensemble de l’équipe pédagogique du CEF. Issue d’une réflexion collective, ils doivent cependant prendre appui et respecter les lignes directives établies par le Garde des sceaux. La dernière en date est celle du 4 mai 2015 relatives à l’élaboration du règlement de fonctionnement156. En effet, cette note prévoit des articles à intégrer dans le règlement et à adapter selon la structure. Dès leur arrivée au centre, le règlement de fonctionnement doit être communiqué aux mineurs et faire l’objet d’une signature de leur part. Ils y retrouvent retranscrit l’ensemble des droits dont ils jouissent mais également les diverses obligations auxquels ils sont assujettis. C’est un document qui doit être écrit simplement, de manière à ce qu’il soit compréhensible, dans le fond et dans la forme, par les adolescents. En substance, le règlement doit comporter différentes informations aux titres desquels on retrouve le rappel de la structuration d’une journée type, les modalités d’utilisation des locaux du centre, l’organisation de la scolarité, des activités d’insertion professionnelles, des activités socioculturelles, artistiques et sportives, ainsi que les interdits et l’échelle des sanctions face aux transgressions. Ainsi, outre le rappel de l’ensemble des règles de vie, le règlement de fonctionnement vient préciser que les transgressions aux règles posées seront sanctionnées.
Dans certains établissements, la discipline peut reposer sur ce qu’ils nomment le « permis à points ». Ce système permet d’évaluer quotidiennement le comportement des mineurs. Au début du mois, les mineurs ont un nombre de points attribués, qui est susceptible de diminuer en cas de manquements disciplinaires. L’attitude du mineurs et les points qui ont pu lui être retirés font l’objet d’un bilan hebdomadaire par l’ensemble des éducateurs. La note ainsi obtenue permet de classer la situation du mineur selon 5 niveaux et ce classement a des conséquences directes sur certains éléments de « confort », comme par exemple avoir un peu plus d’argent de poche, bénéficier d’appels téléphoniques supplémentaires à sa famille, voir la possibilité de pouvoir passer un weekend avec elle, l’achat de vêtement etc.

Des sanctions adaptées aux incidents surplombé par une mise en scène éducative

Le placement est constellé de comportement d’indiscipline de la part des mineurs, qui oscillent entre chahuts bruyants et violence sur les biens ou sur les personnes, en passant par les insultes et les menaces157.
Face aux incidents commis par les adolescents, les adultes doivent avoir un positionnement ferme et l’équipe pédagogique doit rester « cohérente et solidaire face aux réponses à apporter »158. Ayant pour vocation à responsabiliser les mineurs et les rendre autonomes, l’application d’une sanction à la suite de transgression revête une dimension particulière au sein des CEF. Communément admis qu’une  transgression, c’est-à-dire la violation d’une règle ou d’un ordre, engendre une réponse appropriée, la sanction est avant tout un outil éducatif. La sanction prononcée dans un CEF doit avoir un but éducatif, permettant l’apprentissage des règles de la vie en société. Elle vise à rappeler la « primauté de la loi et l’importance d’un ordre symbolique structurant »159. Elle est indispensable à la vie en société, puisqu’elle permet de réguler les relations, de maintenir l’ordre public et de favoriser le vivre ensemble.
Ainsi, comme nous avons pu le voir précédemment, le règlement de fonctionnement de chaque établissement doit préciser les sanctions qui pourront être appliquées en fonction des incidents commis. Les transgressions pouvant être commises s’étalent sur un spectre allant du nonrespect des règles de vie, jusqu’à la commission d’infraction pénales. L’équation majeure consiste alors à apporter une réponse adaptée et proportionnée à chaque situation160. Le centre devra donc mettre en place une « gamme de réponses161 » ou un référentiel des sanctions, prenant en compte la gravité du manquement, son éventuelle répétition, la personnalité du mineur et les éléments de contexte.
En cas de constatations de manquements aux règlements, le mineur fera l’objet d’une réponse éducative interne à l’établissement. Comme le souligne la DPJJ, même si l’établissement ne dispose pas d’un pouvoir disciplinaire, il peut toutefois, dans un but éducatif, apporter des mesures d’ordre intérieur.
Selon la note du ministère de la Justice relative à l’élaboration des lignes directrices du règlement de fonctionnement, les réponses éducatives peuvent prendre différentes formes, aux titres desquels on trouve : la réparation d’un bien s’il a fait l’objet d’une dégradation, le nettoyage des locaux, une lettre d’excuse ou autre support de réflexion sur les faits, et un rappel au règlement effectué par le directeur de l’établissement. Quelquefois, certains centres prononcent, au titre des sanctions éducatives, une interdiction de rendre visite à sa famille. Or, il est rappelé fréquemment par le CGLPL et par la DPJJ « qu’aucun cas, un manquement au règlement de fonctionnement par le mineur ne peut conduire à la privation des relations avec sa famille.163 »
Généralement, le manquement au règlement et la réponse éducative qui lui a été apportée sont inscrits dans le dossier du mineur. Il appartient, par la suite, au directeur de l’établissement d’apprécier l’opportunité de porter à la connaissance des représentants légaux et du magistrat référent du mineur164.
De manière indépendante à la réponse éducative prononcée en interne par l’établissement, les comportements susceptibles de revêtir une qualification pénale, qu’ils constituent ou non manquement au règlement, peuvent donner lieu à un dépôt de plainte. Les faits sont immédiatement signalés au magistrat prescripteur, au parquet du lieu de commission des faits, ainsi qu’aux services de police et de gendarmerie. Par la suite, le parquet du lieu de commission des faits ou du lieu d’arrestation du mineur prend attache avec les parquets du lieu de placement ou du lieu de résidence habituelle du mineur pour en apprécier les opportunités.
En dépit du fait que les adolescents aient connaissance, dès leur arrivée, des règles auxquelles ils doivent se soumettre, cela n’empêche pour autant pas les transgressions. Toutefois malgré les diverses possibilités d’actes transgressives, on constate que certaines sont plus récurrentes que d’autres, étant directement liées aux effets du placement.

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Les transgressions récurrentes et leurs gestions

Chartier-Jean Pierre définie la transgression adolescente comme « une quête de limites, un mode exploratoire qui va permettre à l’adolescents de faire l’expérience des limites ».165 Enfermer un mineur au parcours chaotique au sein d’une structure, dans laquelle il va partager le quotidien de jeunes aussi ou parfois encore plus abîmés et ébranlés par la vie, génère, sans grande surprise, des tensions. Les mineurs sont retirés de leur environnement habituel et privés de leur liberté. Ils subissent le placement, et ce dernier est synonyme de violence. Face à des jeunes qui ont grandi dans « l’agir » et dans l’immédiateté, afin d’éviter la moindrefrustration, le placement contraint leur impose et les confronte à ce qu’ils n’ont pas eu ou n’ont jamais reçu, un cadre. Néanmoins désemparés, la transgression des règles constitue pour eux une manière de s’affirmer. Ainsi, se trouvant dans l’impossibilité d’exprimer leurs sentiments et leurs émotions, les fugues (A) et les violences (B) sont le seul moyen de verbaliser leurs frustrations. Toutefois, intrinsèquement liés à l’action éducative, ces comportements appellent une réponse, soit éducative, soit judiciaire.

L’impact des fugues

La fugue en CEF est l’incident par excellence. Elles sont fréquentes et même quotidiennes166. Face à l’impossibilité de supporter le cadre, les contraintes et l’autorités des adultes, les mineurs placés en centre décident de le quitter. Il est vrai que les premiers jours au sein du centre sont difficiles, les contraintes liées au fonctionnement sont rudes et elles ont tendances à générer des frustrations chez les jeunes. Ils tentent alors de les contourner par lebiais de la fugue. Ainsi, les sorties sont « explicitement perçues comme un moyen de contourner une escalade de tension interne ».
Considérée comme anodine et ordinaire dans la vie courante, la fugue au sein des CEF est définie comme un incident selon la circulaire relative aux règles d’organisation, de fonctionnement et de prise en charge des centres éducatifs fermés168. Outre le fait d’être un incident dont le traitement répond à une logique punitive, la fugue occupe une place particulière au sein des CEF. En effet, en l’état actuel des textes, la fugue d’un mineur constitue un manquement aux obligations de son placement et doit faire l’objet, de la part de la direction du centre, d’un rapport au magistrat qui apprécie les suites à donner, et peut décider d’ordonner l’incarcération du mineur. Pour autant, toutes « sorties non-autorisées » ne sont pas toutes sanctionnées par un emprisonnement. S’il en était ainsi, cela provoquerait un va et vient constant de certains adolescents rompant toutes actions éducatives entreprises lors du placement.
Définir la fugue n’est pas quelque chose d’aisée, puisque cette dernière recouvre des réalités et des situations bien différentes, variant selon le contexte dans lequel elles s’inscrivent. Avant tout, il est nécessaire de faire la distinction entre la fugue au sens stricte et les sorties nonautorisées.
Selon Nicolas Sallée, on parlera de véritable fugue lorsque les jeunes sortent pour ne plus revenir ou bien lors que les sorties durent une ou plusieurs journées avant qu’ils ne reviennent au sein de l’établissement. À la différence, les sorties non-autorisées ressemblent davantage à la situation selon laquelle les mineurs partent du centre pour quelques heures pour se balader en ville ou pour « s’acheter à manger, à boire ou à fumer à l’épicerie du coin, située à quelques dizaines de mètres de l’établissement »169. Ainsi, force est de constater que l’usage d’un vocabulaire distinct et incertain met en avant difficulté même de la qualification de cette situation.

L’omniprésence de la violence et la pratique de contention

Le rassemblement de jeune en difficulté ayant connu, au sein de leurs parcours de vie, différente forme de violence, a été a de nombreuses reprises qualifiées de « cocotte-minute »173. Selon Léo Farcy-Callon, l’existence de violences au sein des intuitions est aujourd’hui admise, chacune connaissant leur « lot de domination, d’agressivité ou de montée en tension »174 . Toutefois, force est de constater que certaines structures font face à une violence quotidienne, mais les situations de violence est une réalité de l’intervention éducative, de l’accompagnement contraint individuel et collectif175.

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