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Les axes principaux : de la passion à la monstration

Innovation et numérique

Axe principal du programme Francfort en français, le double thème de l’innovation et du numérique recoupe l’ensemble des activités et des manifestations organisées dans le cadre de l’année de la culture française en Allemagne. On observe dans un premier temps que le livre, théoriquement au centre de la manifestation, représente en fait un tremplin vers d’autres disciplines, qui sont d’autres atouts économiques au service du gouvernement français, lequel a donc tout intérêt à les mettre en avant et en faire la promotion. C’est avec le secteur « innovation » que cette démarche est la plus marquante.
Par exemple, au sein même du Pavillon d’honneur qu’occupe la France du 11 au 15 octobre 2017, un espace d’exposition a été mis en place qui retrace l’évolution du support « livre », du volumen au codex jusqu’à la liseuse numérique. Une superbe réplique de la presse de Gutenberg a été mise en place pour illustrer l’un des temps forts de l’histoire littéraire, au même titre que le numérique, aujourd’hui, révolutionne notre rapport au livre. Cette même présentation côtoie une importante plateforme consacrée à la French Tech48, le collectif officiel des start-up françaises implantées en France et à l’étranger, créé par le Ministère de l’Économie et des Finances en 2013. L’objectif assumé de cette initiative : soutenir tous les entrepreneurs ainsi que l’ensemble de leurs collaborateurs, en un mot tous ceux « qui s’engagent pour la croissance des start-up d’une part et leur rayonnement international d’autre part.». On en revient au même symbole solaire, si fréquent dans les discours diplomatiques, cette notion de « rayonnement » qui évoque l’attrait de la France à l’étranger. Francfort est le lieu privilégié de négociations entre ces nouveaux opérateurs économiques, aux modèles variés mais toujours axés sur le numérique que sont les start-up, et le monde industriel. Le lien avec le livre se fait particulièrement ténu : relégué au rang de prétexte, il ne fait que servir d’arrière-plan à des transactions ouvertement économiques.
Or, dans le cadre d’une foire dédiée au livre, pourquoi l’État choisit-il de mettre entre autre l’accent sur les start-up ? Depuis 2013, le gouvernement s’implique publiquement en faveur de ces jeunes entreprises, génératrices d’emploi et de valeur économique. Deux cents millions d’euros sont consacrés aux start-up prometteuses encore au stade d’embryon, et quinze millions servent à renforcer leur attractivité à l’échelle mondiale49. Le collectif French Tech a vocation à maximiser la visibilité, non seulement des start-up françaises sur la scène internationale, mais également celle des actions publiques : directions des Ministères de l’économie et des finances, des Affaires Etrangères et du Commissariat Général à l’Investissement. Une manière de mettre en valeur l’État-sauveur et ses bienfaits ? Il est par ailleurs singulier de constater qu’à l’inverse des start-up, les antennes culturelles de l’Ambassade de France à l’étranger, représentés par les instituts français, ne bénéficient pas des mêmes soutiens financiers50. Qui, des secteurs culturels et économiques, est le plus prometteur aux yeux du gouvernement qui vise la croissance ? La réponse semble claire.
Si l’innovation semble être le thème principal du programme Francfort en français, c’est aussi le point de vue choisi pour présenter le renouveau de la culture littéraire française, avec un secteur en forte expansion depuis quelques années : de la bande dessinée au roman graphique, les arts graphiques se mettent au service de la littérature. Un succès auquel, une fois de plus, le numérique n’est pas étranger.

La conquête de l’image

L’époque où l’on considérait la bande dessinée comme une sous-culture n’est pas si lointaine51. Du fait du caractère enfantin qu’on a longtemps attribué à l’image, lire une bande dessinée en tant qu’adulte relevait presque du tabou social52. Il en est bien différemment aujourd’hui : genre littéraire à part entière, de plus en plus apprécié et rattaché à la grande famille des arts graphiques, le neuvième art (1964), est un nouveau mode d’expression du réel. En France, les remises de prix se multiplient : le Grand Prix de la ville d’Angoulême, cité emblématique du genre, est le plus ancien (1974) et a vu naître de nombreuses autres récompenses ; le prix du Quai des Bulles de Saint-Malo (1980), le prix Artemisia (2008) et bien d’autres. Tous viennent légitimer l’attrait pour cette association de l’image et du texte, de la littérature et du dessin. De fait, la liste des auteurs francophones s’allongent tout autant et viennent concurrencer férocement la BD belge, jusqu’alors de renommée mondiale.
Protéiforme, la bande dessinée est une importante source de création qui se décline sur nombre de supports. Elle est par exemple un outil privilégié des reportages par l’image : Rébétiko de David Prudhomme (2009) narre la dictature militaire en Grèce dans les années 1930 et ravis les curieux et les férus d’histoire européenne. Culottées, de Pénélope Bagieu (2016-2017) dresse en deux tomes le portrait d’une trentaine de femmes au fort tempérament, aux destins peu communs et surtout, se fait le porte-parole d’une génération féministe en attente de modèles. Les succès de tels ouvrages participent
• « rendre sérieux » le genre auprès du plus grand nombre et notamment des industries du livre. Ils trouvent actuellement tout naturellement leur place auprès des œuvres littéraires remarquées.
De même, ils sont un nouvel outil de médiation : afin de relater le déroulement des cinq journées de la Foire du livre de Francfort, dix-neuf illustrateurs ont été sélectionnés pour publier chacun une à trois planches, selon trois catégories dont le choix est resté libre : « hommage », « reportage » ou
• divers ».53 Le projet, intitulé PING PONG, joue sur la parole : parole de l’illustrateur, parole de journaliste, parole d’actualité temporaire, ici fixée par l’image et donc en passe de devenir pérenne54. Les libraires allemands se montrent particulièrement confiants dans l’avenir de la bande dessinée francophone chez eux : « On a longtemps cherché d’où provenait le succès de la bande dessinée, et depuis deux ou trois ans, il est clair que c’est en France qu’il faut chercher. »55. Les contrats de traduction du français vers l’allemand dans le domaine ont explosé au cours de l’année 2017, ce qui était bien le but fixé par le programme Francfort en français. Aujourd’hui, la littérature par l’image, ou du moins l’image accompagnant, guidant le texte, est largement acceptée. Ceci peut s’expliquer également par l’accès à l’ère du numérique qui soumet à tous, continuellement, un flux massif d’images. En outre, la bande dessinée dispose d’une qualité tout à fait privilégiée, qui est le pouvoir de réunir plusieurs générations autour d’un même ouvrage : enfants, adultes et seniors peuvent partager une même histoire, dont l’interprétation, libérée par l’image et contrairement au texte pur, peut plus facilement se démultiplier. L’album, ouvrage imagé, est d’ailleurs une composante essentielle du marché de littérature jeunesse à l’étranger. La France n’hésite pas à mettre en avant ce savoir-faire et la Foire du livre de Francfort devient la vitrine des grandes mutations du livre, qui n’est plus forcément un objet fait de pages reliées et dépositaire d’un texte, mais une pluralité de supports qui donnent à voir le monde.

Les jeunes générations, le public cible

La multiplication des supports de ce qui formait auparavant le seul livre est particulièrement marquante dans la littérature jeunesse, qui concerne une part très importante du marché de l’édition à l’étranger. D’après les chiffres officiels avancés sur le site du programme Francfort en français, une vente de livre sur quatre provient de l’édition dédiée à la jeunesse, ce qui en fait le deuxième secteur le plus conséquent du point de vue du chiffre d’affaire. En outre, il porte 30% de l’ensemble des cessions de droits réalisées au cours de l’année 2017, en amont de la foire. Ce qui augure un excellent bilan d’ici décembre 2017 – janvier 2018.
Selon Sylvie Vassalo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis présent sur le pavillon français, « la mise en valeur de la littérature de jeunesse dans le programme Francfort en français vient marquer trois particularités de la création et de l’édition de jeunesse française. En premier lieu l’excellence de ses créateurs, ses illustrateurs, ses écrivains dont les œuvres sont reconnues internationalement, en second lieu le poids croissant de l’édition de jeunesse dans l’édition française et en troisième lieu l’attention portée au jeune public, à l’évolution de ses pratiques de lecture. »
Ce dernier point est déterminant dans la politique de sensibilisation / transmission de la manifestation Francfort en français. On comprend que les jeunes générations constituent le public cible de la l’évènement : elles sont le lectorat de demain et leur grande proximité avec les outils du numérique, au cœur de la foire, en font des techniciens naturellement hors pair. Afin de garder leur curiosité éveillée à toute forme de littérature et d’apprentissage, le pavillon français se fait le lieu d’une grande réflexion sur le livre de demain et organise des débats autour des thèmes de l’innovation dans le secteur jeunesse. Livres audio, livres jeux, jeux littéraires, tous les concepts nouveaux émergents ont été passés en revus. Ainsi la « Malle digitale »56, présenté par le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis sur le pavillon, qui expose une nouvelle manière de livrer un récit à travers des dispositifs de réalité augmentée et de réalité virtuelle. L’innovation se retrouve dans le graphisme, le mode de narration et toute la scénographie du stand, comme autant d’invitations à l’imaginaire. L’émerveillement et le jeu sont les outils d’apprentissage de demain.
Francfort en français s’appuie sur une riche programmation déclinée au sein même de la Foire mais également hors les murs, tout au long de l’année, dans les écoles, les bibliothèques municipales et tous les lieux propices à l’enseignement, à la découverte et à l’apprentissage. Leurs partenaires principaux dans cette initiative sont les équipes pédagogiques et les éditeurs scolaires, amenés à collaborer pour établir des projets de promotion de la langue française. Plus de dix mille élèves ont été impliqués dans cette aventure qui a pris la forme de concours, d’ateliers d’écriture collaborative, de débats (cf. annexe 2). Par exemple, l’Institut français de Berlin a organisé, du 5 au 30 septembre 2017, une exposition de l’illustrateur pour enfants Christian Voltz, complétée par des visites guidées en français à l’attention d’élèves de 6 à 12 ans. Plus de trente écoles allemandes des régions de Berlin et du Brandebourg ont participé. L’objectif de cette mission : valoriser l’apprentissage de la langue française à travers une méthode ludique (sortie scolaire, exposition animée et interactive, lecture des ouvrages de Voltz par les médiathéquaires de l’IF Berlin…).
En parallèle, l’édition scolaire devient un segment adapté à l’export éditorial. Mais plus que des contenus (les ouvrages consacrés à l’apprentissage du français font l’objet d’une demande stable), ce sont les dispositifs qui sont recherchés : les méthodes innovantes de l’éducation 2.0. à la française se font connaître sur le marché. Plus que les codes de sa culture et les mystères qu’elle recèle, ce sont ses savoir-faire qui sont mis en lumière.

Conclusion partielle

L’image semble vouloir supplanter le texte, petit à petit. Et de l’image à l’imaginaire, il n’y a qu’une syllabe. Le livre d’aujourd’hui, que présente la France dans le cadre de la 69° édition de la Foire du livre de Francfort, est un roman graphique, un reportage fait de dessins et d’impressions pêle-mêle, des lunettes numériques permettant l’immersion physique, du moins sonore et visuelle, dans l’univers d’un auteur. Le livre d’aujourd’hui est un outil numérique qui permet, tout comme son homologue d’encre et de papier, de s’évader, de s’interroger et d’apprendre, mais sur les supports les plus originaux et de manière résolument plus ludique. Le livre d’aujourd’hui laisse l’impression d’être un curieux prétexte pour légitimer la mise en vitrine de « l’excellence à la française ». Pour cet événement phare du monde éditorial, l’innovation est la clef. Le livre dématérialisé devient un objet truffé de codes modernes, une curiosité qui exploite tous les sens, et non plus la seule vision. Le simple texte disparaît au profit de contenus plus « excitants ». Ce n’est donc plus dans le texte et la qualité de ces derniers que la France de la culture cherche à se présenter au public, mais à travers un réenchantement » de la lecture qui n’est pas sans rappeler un jeu. En exploitant ces ressources high-tech, le gouvernement compte sur la puissance de l’émerveillement. Il est clair que, plus que jamais aujourd’hui, la reconnaissance par l’innovation technologique donne accès à la reconnaissance internationale. La Foire du livre de Francfort devient une foire de l’innovation, le point d’orgue d’une course folle vers la modernité et la palme de la puissance.

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