Le reporting environnemental et social en tant que champ institutionnel émergent et contesté
Le champ du reporting environnemental et social apparaît comme un champ institutionnel « émergent » et difficile à cadrer. S’il est traversé par des conflits et une forte hétérogénéité de pratiques, celles-ci ne peuvent être comprises sans les resituer dans les incertitudes concernant les formes d’expertise en matière de reporting environnemental et social. Face à ces incertitudes, les formes d’entrepreneuriat institutionnel sont ambivalentes, et consistent aussi bien à cadrer ces pratiques qu’à les concevoir. entreprises ne sont pas nouvelles. Dans son histoire de l’audit social aux Etats-Unis, Michel Capron fait remonter l’émergence de telles pratiques à la période entre le New-Deal et la seconde guerre mondiale (Capron, 2000). De même, Owen (2003) et (Guthrie et Parker, 1989) mentionnent la présence d’informations sociales dans les rapports d’entreprise au début du XXème siècle. Dans les milieux académiques, on trouve des références à la notion d’audit social chez Kreps (Kreps, 1940) ou Bowen (1953), auquel Blum fera référence dans son article sur l’audit social dans la Harvard Business Review en 1958. Il y présente les résultat d’une enquête centrée sur l’organisation du travail et les relations des salariés à leur entreprise (Blum, 1958). Les pratiques de comptabilité sociale connaîtront un engouement tout à fait significatif au cours des années 1970, avec leur cortège d’articles académiques et d’études sur la qualité des rapports et les motivations des entreprises à s’engager dans des démarches d’audit social130. Souvent peu quantifiés et relevant majoritairement d’une démarche de relations publiques, ces rapports détaillaient, de manière souvent qualitative, les démarches des entreprises visant à répondre aux controverses sociétales mettant en cause leur comportement.
Tout comme la notion de reporting et de comptabilité sociale, la notion d’audit social est ambiguë et ce champ de pratiques émergentes est précocement traversé par différentes lignes de partage. Ainsi, Kreps (1940) présentait la comptabilité sociale comme un outil de régulation sociale, destiné aux pouvoirs publics, avec pour objectif de créer de nouveaux indicateurs macro sociaux dans le domaine de l’emploi, de la production, des salaires et des relations aux consommateurs. De même, la plupart des modèles comptables élaborés par des universitaires au cours des années 70 prendront le point de vue de la société. Ainsi, Linowes, à l’image des cadres élaborés ultérieurement, propose-t-il un compte d’exploitation socioéconomique (Linowes, 1968, 1973). Par le biais d’une quantification monétaire, il s’agit compte du Committee for Economic Development, qui soulignait quatre motivations principales des entreprises en matière de reporting social : examiner ce que la compagnie fait réellement dans les domaines considérés, estimer ou évaluer la performance dans ces domaines, identifier les programmes sociaux que la compagnie entend poursuivre, faire intégrer dans la réflexion générale des managers un point de vue social. Ces éléments historiques sont particulièrement éclairants sur les évolutions récentes de la GRI que nous détaillerons dans la suite de ce chapitre. Corson, J. J. et G. A. Steiner (1974). ‘Measuring Business’s Social Performance: The Corporate Social Audit’. Washington, Committee for Economic Development.
Par opposition, Bowen (1953) présentera le concept d’audit social comme un outil managérial d’évaluation et de diagnostic interne à l’entreprise, lui permettant d’évaluer et de piloter sa performance environnementale et sociale. Cette approche interne sera reprise par différents chercheurs et prévaut dans les pratiques d’entreprises au cours des années 1970 (Bauer et Fenn, 1972, 1973; Carroll et Beiler, 1975; Blake, Frederick et Myers, 1976). L’approche comptable initiale, fortement modélisée, quantifiée, complexe et monétarisée se trouve par ailleurs en décalage assez net avec des pratiques de communication peu systématiques et majoritairement basées sur des données qualitatives. Ainsi, les modèles comptables initiaux cèderont progressivement le pas à des démarches d’audit social plus qualitatives, plus processuelles, mieux ciblées, et formalisées par des universitaires ancrés dans le champ Business & Society (Preston, 1975; Carroll, 1979), rompus à l’éthique des affaires, la stratégie d’entreprise ou la sociologie politique plutôt qu’aux techniques de comptabilité (Capron, 2000). différentes régulations comme la loi française du bilan social en 1977. Il est cependant à noter que l’approche du bilan social, centrée sur la relation salariale, constitue une approche restrictive des débats beaucoup plus ouverts qui avaient cours à l’époque sur la réforme de l’entreprise.
L’idée de bilan social avait émergé dans le cadre plus large du rapport Sudreau (1975) posant la question de la modernisation de l’entreprise (Verdier, 1976). Le dispositif du bilan social a ainsi été pensé comme un dispositif qui, en mettant à disposition des partenaires sociaux de nouvelles informations, était susceptible de renouveler les termes du dialogue social et les formes de régulations dans l’entreprise (Igalens, 1997). Cependant, du fait des nombreuses imperfections du document (pertinence du choix des indicateurs, du recours à des moyennes, difficulté d’interprétation des informations) ces pratiques n’auront pas l’écho escompté et resteront peu utilisées par les partenaires syndicaux, les salariés et les entreprises (Zardet, 1997). Au niveau international, les pratiques de reporting environnemental et social, encore balbutiantes malgré quelques initiatives réglementaires, disparaîtront durant les années 80 pour ré émerger au milieu des années 90 à travers la publication des premiers rapports environnementaux.