La nécessaire constitutionnalisation d’un nouvel objet du droit constitutionnel : la communication numérique
Des moyens supplémentaires nécessaires, proportionnés et justifiés. Les graves actes terroristes perpétrés en France ont conduit à des modifications législatives concernant les communications numériques et malgré l’opposition de nombreux groupes de citoyens ayant comme objectif la défense des libertés, l’Assemblée nationale française a adopté le 24 juillet 2015 la loi relative au renseignement permettant à l’État de surveiller les communications des présumés terroristes sans l’autorisation préalable d’un magistrat 345 . Selon Henri Oberdorff, la lutte contre le terrorisme justifie, de plus en plus, une surveillance de l’utilisation des outils numériques par de potentiels terroristes. Il souligne le fait que nos démocraties semblent accepter ces surveillances de masse si les atteintes aux libertés sont susceptibles d’augmenter la sécurité. Ainsi, « les sondages réalisés346 auprès des Français après les évènements de janvier 2015 montrent qu’ils considèrent que leur pays est en guerre. Ils approuvent à une large majorité toutes les mesures qu’on leur suggère pour lutter contre l’extrémisme religieux y compris celles qui empièteraient nettement sur les libertés individuelles »347. À la suite de ces nouvelles dispositions visant à lutter contre le terrorisme par la surveillance des communications, on a constaté l’absence de normes constitutionnelles textuelles de référence relatives aux communications numériques (A), mais à l’essor de nouveaux droits intéressant le numérique (B).
L’ absence de normes constitutionnelles de référence relatives aux communications numériques
Des normes de référence constitutionnelles inadaptées au contrôle des lois relatives aux communications numériques. Le statu quo actuel montre l’ancienneté de notre bloc de constitutionnalité par rapport aux réalités modernes du numérique. Ce constat est d’autant plus flagrant que sous couvert de la lutte contre le terrorisme, plusieurs textes répressifs législatifs relatifs aux communications numériques348 ont eu un impact dans des domaines d’activité divers et ont mis en place des dispositifs permettant de recueillir massivement et de façon peu sélective, des données liées aux communications et portant des atteintes à la liberté de communication et au droit à la vie privée. La loi renseignement de 2015 a entamé une large mobilisation de la société civile regroupant associations, professionnels du Web et autorités indépendantes dépositaires de la sauvegarde des libertés individuelles. L’ONG Amnesty International avait mis en garde sur le fait que ces nouveaux dispositifs pourraient inclure pratiquement toutes les communications internet puisqu’une grande partie de nos communications en ligne sont effectuées par des services basés hors du territoire français349 . Selon Nils Muiznieks: « lorsque nous donnons carte blanche aux services de renseignements nous faisons exactement ce que veulent les terroristes : nous dénaturons nos valeurs » 350 . Notons cependant que, a contrario, selon le Conseil constitutionnel, la loi relative au renseignement de 2015 a l’avantage d’avoir attribué aux services de renseignements des moyens modernes et adaptés aux menaces auxquelles on est confrontés tout en respectant les droits individuels et la vie privée,conformément à la décision de conformité constitutionnelle351. Comme l’exposait le Doyen Maurice Hauriou : « Le droit constitutionnel doit ainsi reposer sur une pensée des équilibres. Pour ce faire il doit parvenir à ordonner les trois manifestations de la souveraineté nationale que sont « la souveraineté du statut constitutionnel » (qui parvient à concilier la réalité du pouvoir avec celle des libertés individuelles), la « souveraineté du gouvernement représentatif » (réunissant les pouvoirs exécutifs, législatifs et électif) et la souveraineté des individus ».
Dans cette logique, à l’ère du numérique, le droit à la libre communication numérique pourrait être qualifié comme étant un droit fonctionnel permettant la réalisation d’autres droits, notamment fondamentaux (1). Il est donc nécessaire pour le Conseil constitutionnel de parvenir à dépasser cette nouvelle étape impliquant un élargissement constitutionnel en 348 Ibidem.rapport avec les nouveaux défis liés au numérique avec, par exemple, de nouvelles normes fondamentales numériques de référence dans le bloc de constitutionnalité (2).
L’importance de la qualification de la libre communication numérique comme droit fonctionnel constitutionnel
Actuellement c’est essentiellement à partir des dispositions de la Déclaration de 1789 que le numérique parvient à être analysé par le Conseil constitutionnel, cependant à cause de son importance, le numérique peut être qualifié de droit fonctionnel (a) et par conséquence à titre liminaire on doit le définir, notamment en tant que vocable nouveau dans l’ordre juridique (b).
La qualification fonctionnelle du numérique
La qualification fonctionnelle des droits fondamentaux numériques. Les droits fondamentaux numériques permettent la réalisation de nombreux autres droits fondamentaux : un droit fonctionnel. Cependant on ne défend pas l’idée selon laquelle le droit numérique serait un droit hiérarchiquement doté d’une quelconque supériorité notamment dans la pyramide théorisée par Hans Kelsen. Ce droit est plutôt à prendre en considération tel un droit fonctionnel juridique et social, car il permet la réalisation de nombreux autres droits fondamentaux. Le droit a souvent été un spectateur-participant de l’histoire. Il a souvent évolué pendant ou à court terme de périodes d’évolution sociétales importantes.
Le nouveau défi constitutionnel relatif au numérique
L’évacuation de la question d’un droit constitutionnel transnational
Conformément aux propos du Doyen George Vedel, on pourrait se diriger vers « un droit constitutionnel transnational » outrepassant « l’impérialisme constitutionnaliste »356. Mais est-il nécessaire de franchir les cadres traditionnels préétablis ? Un droit constitutionnel transnational serait une utopie car il nécessiterait de s’affranchir de toute l’histoire de la jurisprudence constitutionnelle et impliquerait la potentielle refonte du système judiciaire et administratif français. Par conséquent le droit constitutionnel doit rester et être par essence un droit national, pouvant cependant continuer à s’inspirer des droits constitutionnels des autres États européens et internationaux. Tout propos tendant vers la volonté d’internationaliser le droit constitutionnel ne serait pas issu de cette thèse qui ne vise pas à bousculer les fondements et traditions constitutionnels historiques. Il s’agit de défendre les avantages de rénover les droits fondamentaux à l’ère du numérique (a) tout en étant conscients de la réticence du juge constitutionnel à utiliser la notion de « fondamentalisation » (b).
Le renouveau des droits fondamentaux à l’ère du numérique
Il est fortement probable que dans le futur, une Charte contenant de nouveaux droits numériques fondamentaux de rang constitutionnel verra le jour parmi les normes de référence du Conseil constitutionnel. Cette évolution permettra d’effectuer une mise à jour des droits fondamentaux constitutionnels du XXIème, notamment par rapport à la non moins efficace et pluriséculaire Déclaration de 1789. Comme l’expose Véronique Champeil- Desplats, la référence aux droits fondamentaux est un outil rhétorique, un moyen privilégié d’affirmer la légitimité de l’action et des décisions du juge constitutionnel français. Elle souligne que : « à défaut de constituer une véritable catégorie juridique, les droits fondamentaux rempliraient dans la jurisprudence du Conseil un rôle purement argumentatif et légitimant. Cette terminologie était en outre plus importante aux yeux du Conseil qu’elle intervenait dans un contexte où il importait de trouver des « concepts transnationaux opératoires »357. La référence aux droits fondamentaux a sans doute été de ces concepts. De très nombreux emprunts terminologiques358 à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, mais aussi à celle de la Cour européenne des droits de l’homme, ont émaillé les décisions du Conseil constitutionnel. Des emprunts terminologiques et conceptuels puisqu’il suffit de croiser la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme pour constater qu’une même volonté d’effectivité des droits anime les institutions. Le Conseil constitutionnel n’a jamais fait état d’une véritable volonté de systématisation. Il semble que les raisons qui ont poussé ce dernier à user du vocabulaire de la « fondamentalité » soient, elles aussi, relativement limitées. Par 357 CHAMPEIL-DESPLATS (V.) In ETOA (S.), « La terminologie des droits fondamentaux dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Les cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux,n°9,
On constate des emprunts terminologiques, car à défaut d’être couramment employée par la Cour européenne des droits de l’homme, l’expression « droits fondamentaux » était en revanche extrêmement présente dans les discours du droit communautaire et le vocabulaire de la Cour de justice de l’Union européenne qui l’utilisaient depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970. exemple, entre la décision du 16 janvier 1982359 et celle sur les entreprises de presse360, les causes de la « fondamentalité » ont évolué. Dans la première décision, le caractère fondamental semble souligner la valeur constitutionnelle de la propriété privée visant à protéger les droits individuels. L’opération de qualification est alors importante dans la mesure où, on pouvait douter à cette époque de la constitutionnalité de ce droit lorsqu’il était confronté au principe de nationalisations. Dans la seconde décision relative aux entreprises de presse, c’est la qualité constitutionnelle, démocratique, relative au respect de l’État de droit, d’un droit qui justifie la « fondamentalité »361.
Le nécessaire essor de la protection du plural isme dans la communication numérique
Le pluralisme des médias est un principe à protéger et à maintenir notamment lorsqu’on constate un renouveau de la liberté d’information dans les communications numériques (1). En effet, pour le Conseil constitutionnel ce principe de pluralisme est une condition nécessaire de l’effectivité de la liberté de communication inscrite à l’article 11 de la Déclaration de 1789 (2).
Le renouveau de la liberté d’inforation avec la communication numérique
Le fil rouge de cette recherche consiste à affirmer que la consécration de certains principes et droits fondamentaux est nécessaire à l’ère du numérique, telle la protection pour les destinataires de l’information par le numérique (a) et de parvenir à protéger le libre accès à l’information (b).Le Conseil constitutionnel a précisé que « le pluralisme des quotidiens d’information politique est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle, qu’en effet, la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents : que l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée à l’article 11 de la Déclaration de 1789, soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché »382. En application de ce principe le Conseil constitutionnel a estimé qu’il est nécessaire que des seuils de concentration maximale protègent efficacement le pluralisme de la presse.