Le renforcement du pouvoir de négociation des fournisseurs de matière première
Contrairement à ce qui s’est passé dans les autres régions viticoles, en Champagne, l’histoire s’est trompée de sens : le négociant est né au XVIIIe siècle alors que le récoltant-manipulant voit le jour dans les années 1920. Le négoce a favorisé la naissance des cultivateurs de raisin, les « vendeurs au kilo ». Jusqu’aux années 20, le circuit était simple et la réglementation inexistante : le cultivateur livrait le raisin au pressoir en échange de quoi il était payé tandis que la vinification, la champagnisation et la commercialisation incombaient au négociant-manipulant. Les RM ont su développer leur capacité commerciale, menaçant directement les négociants, en amont (matière première) et en aval (vente de leur production). Pour une mise en perspective de nos analyses, nous avons commencé notre travail par les exploitations viticoles et les récoltants en France, puis par les AOC et enfin les exploitants242 champenois. L’accent est mis sur les récoltants champenois d’après leur revenu et le détail de leurs faiblesses sous la forme d’une matrice dynamique. Notre recherche vise à saisir les avantages concurrentiels des vignerons qui risquent de pénaliser M dans son développement futur.
Les exploitations viticoles et les récoltants en France, un recul significatif
Le milieu est caractérisé par une grande diversité sociologique et démographique. A l’hétérogénéité des viticulteurs et de leurs familles correspond celle des exploitations : le lien entre famille et exploitation est plus ou moins étroit. Dans de nombreux cas, l’atelier viticole, autrefois pôle central de l’activité familiale, est devenu activité complémentaire pour salariés et retraités. Cette évolution de la viticulture à temps partiel243 ne s’accompagne pas nécessairement d’un sous-emploi professionnel. Sur les 236 900 exploitants dénombrés en 1979244 ayant de la vigne et commercialisant, près des trois-quarts des exploitations245 sont gérés par des viticulteurs à temps plein, pour leur compte ou celui d’un tiers (la gestion par régisseur salarié est fréquente en viticulture). Cette double activité permet aux vignerons de maintenir leur origine rurale tout en se garantissant un revenu suffisant. Parmi les professions extérieures, trois catégories sont dominantes : les ouvriers, les petits commerçants et les cadres.plantée en vignes supérieure à un hectare. A cela s’ajoute la menace de baisse des surfaces viticoles programmée par Bruxelles, la concurrence accrue sur les débouchés du vin, l’augmentation des charges fiscales et sociales. Le nombre de récoltants est donc passé de 820 297 en 1977 à 649 169 en 1984. Depuis, une forte baisse de la production corrélée à celle du nombre de producteurs, plus particulièrement ceux qui déclarent réserver leur vin à la consommation familiale, se confirme. Ce fléchissement concerne aussi la production qui est commercialisée.
Entre 1993 et 1995, 11% des exploitations viticoles ont disparu246, soit un taux deux fois supérieur à celui de l’agriculture française. En 1994, ce chiffre est passé à 340 000 viticulteurs, dont 90 000 seulement travaillaient plus de 1 ha de vigne pour 1300 coopératives et 15 000 entreprises. En 1995, le nombre total d’exploitations viticoles est de 167 000. L’analyse des tableaux confirme ces premiers constats : – importance des vignobles de petite dimension; – hétérogénéité dans la répartition des exploitations et des superficies viticoles : près des 2/3 des exploitations plantées ont moins de 1 ha et ne réunissent que 9% du vignoble français ; à l’opposé, les exploitations ayant plus de 10 ha de vignes ne concernent que 6.3% des effectifs, mais représentent la moitié des superficies. Seules, ces exploitations voient leur effectif et leur vignoble augmenter ; – renforcement de la spécialisation. La majeure partie du vignoble est cultivée par des viticulteurs spécialisés. Enfin, cette population à dominante masculine vieillit (âge moyen des exploitants entre 45 et 50 ans) et le nombre d’exploitants célibataires ne cesse de croître.
terres, les rendements limités et les frais salariaux qui entraînent des coûts de production supérieurs de 20% à ceux de la concurrence étrangère. Confrontés à trois défis majeurs, les viticulteurs se retranchent derrière le système des AOC : 1- la mutation des marchés L’accès au statut des vins fins et aux avantages qu’ils réservent se développe afin d’échapper aux dégradations des revenus ; 2- la dynamique de la technologie Dans un contexte de surproduction et de croissance des coûts, l’impact des économies d’échelle liées à la dimension des exploitations reste faible. 3- la dynamique familiale L’exploitation est la pièce majeure de la dynamique familiale248. Elle est l’outil qui lui fournit un revenu, mais les disponibilités de travail dans l’exploitation varient selon les événements : mariages, naissances, décès, héritages. L’ajustement entre disponibilités et besoins ne se fait pas toujours aisément car l’exploitation constitue aussi un élément de la fortune familiale et son rôle patrimonial est prioritaire. Elle est un réservoir de valeurs, une source de plus-values latente plus qu’un lieu de production. Dans ce contexte, les mécanismes de concentration nécessaires pour répondre aux marchés ne se font pas rapidement, d’autant qu’ils sont freinés par l’intervention étatique. Des formes d’organisation sectorielles anachroniques subsistent ainsi dans un marché viticole mondialisé. L’adaptation liée à la nature du produit, aux techniques, aux relations avec les organismes périphériques, aux revenus extérieurs et aux aléas climatiques ne peut qu’être lente, notamment en Champagne où la population est vieillissante. L’AOC demeure un modèle économique défensif incomplet apportant néanmoins aux récoltants une rente de situation. 1.3 Le récoltant en Champagne, une force concurrentielle hétérogène249 La Champagne compte 19 000 viticulteurs dont 5 060 récoltants-manipulants (RM)250 qui commercialisent leur production pour 35% des expéditions totales de champagne et 10.500 sont membres d’une coopérative.