Le regroupement géoculturel des programmes selon les temporalités
La construction de la conscience temporelle constitue l’un des registres les plus fondamentaux de la cognition humaine. Cette importance se reflète dans la plupart des discours, notamment politiques, pour lesquels la localisation temporelle des entités référentielles contribue de façon essentielle à la structuration de l’ensemble des rapports discursifs. C’est-à-dire à la façon dont peuvent être reliés entre eux différents segments du discours par des relations qui révèlent des articulations argumentatives, informant sur la mise en œuvre de l’intention communicative du locuteur (Asher, Bras, 1Notre objectif dans cette section n’est pas seulement de repérer la différenciation des partis français et chypriotes dans leur manière de construire le temps, mais de mettre également en lumière les enjeux sous-jacents de ces opérations. L’analyse des rapports au temps, des temporalités et de leur construction dans les programmes chypriotes met en avant une autre trace de la stabilité intertextuelle qui les caractérise dans leur ensemble. En effet, dans les trois programmes chypriotes du corpus, nous constatons une même perception du temps. Il s’agit des deux pôles de l’axe du temps : à savoir, l’accompli et l’inaccompli. Il existe deux enjeux « historiques » qui génèrent les structures de la construction des temporalités des programmes chypriotes. Le premier est la résolution du problème chypriote (l’inaccompli). Le deuxième enjeu est l’entrée du pays dans l’UE (l’accompli). Une première analyse conduit à considérer ces deux histoires comme étant parallèles. En revanche, son approfondissement, basé notamment sur l’analyse de la rhétorique et de l’argumentation des discours permet de soutenir que ces deux histoires ne font qu’une. L’histoire accomplie (l’entrée dans l’UE) fait partie de l’histoire inaccomplie (la résolution du problème chypriote). Autrement dit, la grande histoire que les programmes chypriotes racontent est une histoire inaccomplie dont l’aboutissement passe par l’accomplissement de l’histoire européenne de Chypre.
Il s’agit d’un constat qui confirme, par l’analyse de la construction du temps cette fois, la prédominance du « problème chypriote » dans les discours programmatiques des partis chypriotes : (…) Toutes ces années, par la politique active et revendicative de l’Alerte Démocratique et la présence dynamique de nos eurodéputés au sein du Parlement Européen, le PPE s’est avéré être le soutien le plus fidèle et le collaborateur le plus stable des intérêts de Chypre. Il est significatif que la position concernant le problème chypriote constitue une partie indispensable du programme électoral du PPE pour les élections européennes de juin 2009. Une position qui a été validée à l’unanimité au sein de l’Assemblée générale du PPE, avec la présence des milliers de participants et 20 chefs d’Etat ou de gouvernement. Suite à un effort coordonné des représentants de l’Alerte Démocratique, il a été obtenu l’inclusion d’une référence majeure au problème chypriote au sein du sous-chapitre portant sur des enjeux intérieurs de l’Union, reconnaissant ainsi la question chypriote en tant que problème européen (…) [Programme DISI] (…) La résolution du (problème) chypriote a été notre grande priorité et notre but ultime dès le lendemain de l’intervention turque (…) Bénéficier de la participation de Chypre dans l’UE (…) Il est nécessaire de travailler de manière systémique pour que l’U.E s’implique plus activement aux efforts pour la résolution (…) Cette implication devra avoir un caractère d’assistance active et participative de l’UE envers l’ONU qui a la responsabilité principale et la légitimité pour trouver une solution. Parallèlement, le processus d’adhésion de la Turquie doit être mis en valeur afin de créer des conditions qui conduiront à l’abandon de ses positions intransigeantes et pour parvenir à une solution compatible avec les acquis européens (…) [Programme EDEK]
(…) Avec l’adhésion de Chypre en 2004 à l’Union Européenne et notre participation dans le Parlement Européen, nous avons prouvé concrètement que nous sommes une force qui n’accepte pas sans critique tout ce qui provient de Bruxelles (…) Nous sommes une force de revendication pour les droits de Chypre et de son peuple, pour les travailleurs de notre patrie et des Etats européens. En Europe nous sommes combattants et non pas simples applaudisseurs (…) Nous avons revendiqué et nous avons obtenu des décrets du Parlement Européen et du Conseil de l’UE, avec le Président et d’autres forces : la reconnaissance du droit à une Solution par les chypriotes sans interventions et pressions (…) [Programme AKEL] L’Histoire que les programmes chypriotes racontent est une histoire de courte durée ; elle commence seulement à partir du lendemain de l’invasion du tiers de l’île par l’armée turque. Dans cette histoire, qui constitue la base, est incluse une autre histoire, l’histoire européenne de Chypre qui commence à partir de l’entrée du pays dans l’UE en 2004. Pour les partis chypriotes, l’UE commence à « exister » avec l’entrée de Chypre dans l’UE et elle existe parce qu’elle acquiert un sens pour l’histoire du problème chypriote. Plus précisément des traits des discours programmatiques des partis chypriotes, tels que : « nous avons revendiqué et nous avons obtenu un vote du Parlement Européen et du Conseil de l’UE : la reconnaissance du droit à une Solution par les Chypriotes sans interventions et pressions », ou encore, « mettre à profit la participation de Chypre dans l’UE », permettent de soutenir que l’histoire européenne de Chypre est avant tout interprétée par les programmes chypriotes comme une étape de l’histoire du problème chypriote. L’horizon d’attente des partis chypriotes est en quelque sorte lié aux actions de l’UE. C’est la politique de l’UE qui va permettre la résolution du problème chypriote. En d’autres termes l’UE se présente comme entité active permettant l’accomplissement de l’inaccompli.