La genèse du régionalisme
Alexander Tzonis (fig. 8) et Liane Lefaivre (1981), dans leur article The grid and the pathway, définissent le régionalisme comme un mouvement libérateur mettant en avant les particularités locales et individuelles qui s‟opposent à l‟universalisation de la société et de l‟architecture.
Ils mettent cependant en garde des déviances et effets néfastes que le régionalisme peut apporter. D‟un côté le régionalisme permet de se libérer de contraintes trop formelles et de privilégier les caractéristiques locales, provoquant ainsi un sentiment d‟identité et d‟appartenance au sein de la population. Mais de l‟autre côté, ce sentiment d‟appartenance a tendance à séparer les classes sociales et à provoquer un certain « chauvinisme ».
Le Régionalisme Critique, comme on l‟entend aujourd‟hui est le digne successeur des différents mouvements régionalistes qui ont dominé l‟architecture au cours du 18ème siècle, jusqu‟au 20ème siècle. Pour Tzonis et Lefaivre (1981) le régionalisme trouve ses origines au 18ème siècle dans le style artistique « Pittoresque anglais ». Celui-ci tire ses origines des travaux du peintre français Claude Gellée, dit Le Lorrain dans lesquels la nature et la vérité du lieu sont au premier plan dans ses œuvres. Ses tableaux représentent l‟imperfection de la nature, telle qu‟elle est vraiment.
Le régionalisme qui découle de ce mouvement pittoresque sera nommé « le Régionalisme Romantique » par Tzonis lui-même. Ce mouvement réactionnaire veut se détacher des contraintes formelles, autoritaires et universelles imposées depuis la Renaissance par le style Classique dont la volonté est d‟effacer les particularités locales.
Le Régionalisme Romantique rejette ainsi les principes des jardins classiques à la française , jugés trop contrôlés, trop symétriques, ne laissant pas assez de liberté par rapport à la réalité de la nature, pour se concentrer sur le Genius Loci. L‟importance et la prise en considération du lieu et de ses caractéristiques sont les points clés de ce régionalisme. Pour les deux théoriciens (1981), cette première étape du régionalisme met en lumière la montée d‟un certain nationalisme, d‟un individualisme et d‟un rejet de l‟absolutisme du courant Classique puis Néoclassique de l‟époque.
Ensuite, Tzonis et Lefaivre (1981) nous disent que ce Régionalisme Romantique fut suivi par un mouvement conservateur, qu‟ils nomment eux-mêmes « le Régionalisme Historiciste » (fig. 12). Ce mouvement qui est apparu à la fin du 18ème siècle, intensifie encore plus les volontés de nationalisme et d‟individualisme développées par le romantisme.
La recherche d‟identité, le rejet des règles et normes de l‟architecture néoclassique qui forcent une certaine uniformité dans le cadre bâti sont toujours d‟actualité ici. Il ne faut pas oublier qu‟à cette période, la culture universelle et l‟industrialisation sont en pleine expansion depuis la Première Révolution industrielle . En réaction à cette centralisation des idées, l‟Historicisme se satisfait dans les anciennes traditions, avec une certaine nostalgie envers les édifices médiévaux.
Mais comme nous le disent Tzonis et Lefaivre (1996) dans leur article Why Critical Regionalism Today ?, ce Régionalisme Historiciste se perd ensuite dans ses valeurs qui en deviennent des défauts. Ce mouvement emploie des éléments locaux et familiers d‟une autre époque, pour les réinsérer de manière nostalgique dans la nouvelle architecture. Le but étant de provoquer un sentiment familier pour l‟image collective. Mais par cette démarche nostalgique, l‟Historicisme ne fait qu‟imiter les styles passés sans les adapter au contexte et au style de vie de l‟époque.
Ce régionalisme sentimentaliste ne sort pas des sentiers battus, il ne prend pas de risques pour répondre aux besoins sociaux, culturels et historiques. L‟Historicisme représente une réponse « classique », simple, teintée de nostalgie avec un manque réel d‟engagement nouveau. Il ne propose pas vraiment de réelle opposition face au mouvement moderne. Tzonis et Lefaivre mettent le doigt ici sur les effets négatifs d‟un régionalisme trop fade, trop sentimental car facile à vivre, voulant toujours ressembler à quelque chose de passé. Une architecture trop poussée dans cette direction a un effet soporifique sur la conscience. On ne remarque plus le particulier, le lieu nous semble tellement fade, alors que la richesse se trouve partout.
Au 19ème siècle, en pleine période industrielle, le Régionalisme Romantique avec à sa tête l‟américain H. H Richardson espère soutenir le poids de l‟industrie mécanique et vivre en harmonie avec. Mais Comme nous le dit Lewis Mumford (1924) dans son ouvrage Sticks and Stones le mouvement romantique du 19ème siècle en Amérique n‟a pas assumé son rôle social et économique.
Selon Mumford , le Régionalisme Romantique échoua face au bâtiment de bureau, les « building-office ». L‟industrialisation et l‟utilisation de l‟acier comme nouveau matériau permettent ce genre de constructions très grandes et très imposantes, alors que le mouvement romantique et son utilisation de la pierre semblent limités. Pour pouvoir augmenter sa hauteur, les édifices en pierre doivent élargir de plus en plus leur base et donc, perdent une place précieuse en ville.
« The romanticists have never fully faced the social and economic problems that attend their architectural solutions: the result is that they have been dependent upon assistance from the very forces and institutions which, fundamentally, they aim to combat.” (Mumford, 1924: 119)
Et ainsi à la fin du 19ème siècle, des années après la mort de Richardson, les gratte-ciel commencent à faire leur apparition sans aucune limite dans leur hauteur grâce aux progrès technologiques et à l‟industrie de l‟acier.
Les critiques émises ici par Mumford sur le Romantisme en Amérique prouvent le terrain limité de cette architecture à petite échelle, alors que l‟industrialisation, avec le Pont de Brooklyn démontre sa supériorité dans sa rapidité de construction et sa monumentalité. A partir de là, le romantisme ne peut survivre qu‟en acceptant sa place limitée dans le paysage architectural.
Le Régionalisme et son opposition face au Modernisme et au Style International
Nous voici à l‟aube du 20ème siècle, après la Première Guerre mondiale. Comme nous le dit Kenneth Frampton (fig. 17) (1983) dans son article Six Points for an Architecture of Resistance, suite à cette période de destruction et de peur, le Modernisme avec ses progrès technologiques, ses nouveaux matériaux et son industrialisation est attendu par le peuple comme libérateur. A la tête de ce mouvement on peut retrouver par exemple Gropius et l‟école du Bauhaus ou Le Corbusier (fig. 18) avec ses cinq principes de l‟architecture moderne.
Mais cette libération promise par le Modernisme échoua. Cette modernisation apporta son lot d‟insécurité, d‟instabilité économique et sociale. Le peuple souhaite alors un retour à une stabilité psycho-sociale. C‟est à ce moment-là qu‟est apparu nombre de réactions envers cette civilisation universelle et son industrialisation jugée dégradante.
Lewis Mumford (1924) va tenter de sauver la perte d‟authenticité et de qualité humaniste que le Régionalisme Romantique a subie au cours du 19ème siècle. Poussé par des volontés économiques et populaires, ce mouvement romantique est devenu un régionalisme que l‟on peut appeler « économique ». Lefaivre et Tzonis (1996) qualifient même cette mutation néfaste, de Régionalisme Commercial et Totalitaire. Un certain attrait touristique pour le régional en est en partie la cause.
Mumford (1924) nous parle de la volonté de ce mouvement de revenir à l‟artisanat dans les villes et dans l‟architecture, en opposition à l‟industrialisation de la société du mouvement moderne. On a pu notamment voir l‟Art Nouveau émerger, ici l‟Hôtel Van Eetveld de Horta Mais c‟est surtout dans un désir d‟opposition face au Style International en progression, qu‟il juge sans âme, sans intérêt pour le lieu, uniquement guidé par l‟économie et la rentabilité, que Mumford veut réaffirmer ce Régionalisme Romantique. Il précise que sa démarche n‟est pas de simplement vouloir faire un retour en arrière pour retrouver les valeurs de ce mouvement romantique, mais de le réintroduire dans la société de l‟époque tout en conservant ses principes initiaux. (fig. 19), suivit par l‟Art Déco, ici The Building Telegraph building de Williams (fig. 20).
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