Comme l’a exprimé Monsieur Yves-Henri Leleu « toute personne est apte à être titulaire de droits : droits de la personnalité, droits patrimoniaux ou extra-patrimoniaux. Toutefois, l’exercice utile par la personne de ses droits suppose qu’elle soit en possession de ses facultés physiques et/ou mentales » . Par conséquent, il convient de distinguer la titularité de l’exercice des droits par une personne. Les personnes majeures n’étant pas aptes à exercer par elles-mêmes leurs droits sont appelées « personnes vulnérables » et sont protégées par des mesures d’incapacité prévues par le Code civil.
Dans ce contexte, se pose la question des libéralités accomplies et reçues par une personne majeure vulnérable. En effet, tout majeur vulnérable demeure titulaire du droit de disposer à titre gratuit de tout ou partie de ses biens au bénéfice d’une autre personne, ou à l’inverse, de bénéficier de libéralités accomplies à son profit. Cependant, eu égard à leur situation de vulnérabilité, il convient de déterminer dans quelle mesure ces personnes peuvent exercer ces droits.
Lors de l’adoption de la loi du 17 mars 2013 « réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine », une attention toute particulière a été accordée aux libéralités accomplies et reçues par un incapable majeur. En effet, lors de cette réforme, le législateur a instauré un système juridique relatif à la capacité d’une personne majeure vulnérable d’accomplir et de recevoir des donations entre vifs et des legs, tant dans le cadre d’une protection extrajudiciaire que dans celui d’une protection judiciaire.
Subséquemment, la loi du 31 juillet 2017 « modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière » semble avoir enrichi le système juridique relatif aux libéralités eu égard à l’introduction, par cette nouvelle législation, de la faculté de conclure des pactes sur succession future. En effet, cette loi a permis d’ajouter à la liste des libéralités existantes certains pactes successoraux jugés « à titre gratuit ».
Par conséquent, dans le cadre de cet exposé, je présenterai, tout d’abord, le régime des incapacités applicable aux personnes majeures vulnérables, tel qu’établi par la loi du 17 mars 2013 (partie 1). Ensuite j’analyserai le système juridique relatif aux donations entre vifs accomplies et reçues par ces dernières, tant dans le cadre d’une protection extrajudiciaire que judiciaire (partie 2) avant d’effectuer le même examen en matière de testaments et de legs (partie 3). Enfin, j’exposerai les changements apportés au sein du système des libéralités accomplies et reçues par les personnes majeures vulnérables suite à l’insertion de la faculté de conclure des pactes successoraux par la loi du 31 juillet 2017 (point 4).
En premier lieu, il convient de présenter brièvement le régime des incapacités mis en place par la loi du 17 mars 2013 à travers les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité imposés par la réforme des mesures d’incapacité.
Le nouveau système instauré par la loi du 17 mars 2013 intègre la philosophie établie au niveau supranational, à savoir celle de protéger les personnes vulnérables tout en respectant le plus possible leur autonomie. En effet, ces dernières doivent conserver un rôle actif au sein de la société et bénéficier autant que possible de l’exercice de leurs droits au regard de leur capacité résiduelle.
Afin d’atteindre cet équilibre entre autonomie et protection, les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité, tels qu’ils s’imposent en vertu des instruments supranationaux et de la jurisprudence supranationale , constituent les principes directeurs de la réforme. Ainsi, une mesure de protection n’est prononcée que lorsqu’elle se révèle être nécessaire eu égard à l’état de vulnérabilité d’une personne majeure. Ensuite, afin de respecter le principe de proportionnalité, une telle mesure ne doit pas limiter la capacité de la personne à protéger au-delà de ce qui est nécessaire au vu de ses aptitudes et de ses facultés. Par conséquent, il convient de prendre en considération les mesures les plus légères et de renforcer celles-ci si l’état de la personne vulnérable le requiert. De plus, afin de permettre à une personne majeure vulnérable de disposer d’une autonomie la plus étendue possible, les mesures de protection judiciaire sont subsidiaires aux mesures de protection extrajudiciaire en raison du caractère plus souple de ces dernières.
Eu égard à la volonté du législateur de respecter les principes énoncés ci-dessus, une protection en « cascade » a été instaurée par le nouveau système des incapacités. En effet, afin qu’une personne à protéger puisse bénéficier d’un régime « sur mesure » au regard de sa situation particulière , le juge de paix se doit de répondre à plusieurs questions successives :
Premièrement, compte tenu du principe de nécessité, le magistrat cantonal a l’obligation de se demander si la personne à protéger remplit les conditions nécessaires à l’application d’une mesure de protection, à savoir que cette personne doit être majeure et doit être, en raison de son état de santé, totalement ou partiellement hors d’état d’assumer elle-même, comme il se doit, sans assistance ou autre mesure de protection, ne fût-ce que temporairement, la gestion de ses intérêts patrimoniaux ou non patrimoniaux . Afin d’appuyer sa décision, le juge de paix doit se fonder sur un certificat médical circonstancié, ne datant pas de plus de quinze jours, délivré par un médecin agréé ou un psychiatre, qui est joint à la requête de mise sous protection . Ce certificat a pour objet de décrire l’état de santé de la personne à protéger concernée ainsi que l’incidence de cet état de santé sur la bonne gestion de ses intérêts de nature patrimoniale ou autre . Une mesure de protection peut également être prononcée lorsqu’une personne se trouve dans un état de prodigalité si et dans la mesure où la protection de ses intérêts le nécessite .
Deuxièmement, en raison du principe de subsidiarité, lorsqu’une personne se trouve dans une des situations visées par les articles 488/1 ou 488/2 du Code civil, le juge de paix doit déterminer s’il convient de prononcer une mesure de protection extrajudiciaire ou une mesure de protection judiciaire.
A cet égard, une protection dite « extrajudiciaire » est une mesure de protection mise en place par la loi du 17 mars 2013 qui permet à une personne majeure capable d’octroyer à une ou plusieurs personnes déterminées un mandat spécial ou général ayant pour but spécifique d’organiser une protection extrajudiciaire de ses biens ou de sa personne pour le cas où cette dernière deviendrait vulnérable . Ce mandat doit être enregistré dans le registre central tenu par la Fédération royale du notariat belge par le dépôt d’une copie certifiée conforme du contrat au greffe de la justice de paix ou par l’intermédiaire du notaire ayant dressé l’acte portant mandat . Cette protection extrajudiciaire a été instaurée afin de permettre une mesure de protection moins stricte et non judiciaire . « L’interêt de cette mesure réside en ce que l’intéressé conserve sa pleine capacité juridique » . De plus, afin de se conformer au principe selon lequel toute personne vulnérable doit demeurer acteur de la société, le législateur impose au mandataire d’associer autant que possible le mandant à l’exercice de sa mission. A cet effet, ils doivent se concerter, à intervalles réguliers et au moins une fois par an lorsque la personne vulnérable dispose d’une capacité suffisante. A défaut, cette concertation aura lieu entre le mandataire et les personnes désignées par le mandant .
Introduction |