Le régime de sécurité instauré au sein des CEF

L’institution d’une surveillance continue et intensive

Fugaces et volatiles sont les adjectifs caractérisant au mieux les mineurs présents dans lesCEF. Partant de ce constat-là, l’apparition et le développement de dispositifs et de mesures de surveillance s’est peu à peu installé comme une nécessité, voire comme une évidence. La surveillance active la plus immédiate est d’abord assurée par la présence permanente de l’équipe éducative. Les équipes éducatives sont généralement constitués de 24 à 27 personnespour une capacité de 12 jeunes maximums. Le double du nombre d’éducateurs par rapport aux mineurs accueillies met en avant la volonté de l’institution a assuré un encadrement constant.
A ce titre, le cahier des charges de 2008 indiqué l’importance d’assurer une présence éducative par le biais d’un « encadrement des mineurs pendant 24h par jour et 365 jours par an ». Ainsi, cet encadrement est organisé autour d’une surveillance intensive des mineurs tous au long de la journée. En effet, du levé le matin au couché le soir les mineurs sont sans cesse entourés d’éducateurs, que ce soit pour les repas que pour la réalisation des activités186. Outre la journée, il est également prévu une surveillance de nuit187. En général, deux éducateurs sont présents lanuit pour veiller à ce qu’aucun des mineurs ne sortent de leur chambre.
Plus étonnant encore, les communications téléphoniques des mineurs sont également placées sous la surveillance des éducateurs. En effet, le téléphone portable n’étant pas accessible aux pensionnaires, des moments doivent être expressément dédiés aux communications par le règlement. Toutefois, la confidentialité est peu respectée, puisque certains établissements imposent que les conversations aient lieu dans des halls188, où il y’a une forte fréquence de passage, quand d’autres obligent que la conversation se déroule dans le bureau d’un éducateur et que cette dernière est « écoutée avec le branchement d’un haut-parleur »189.
Ainsi, alors qu’ils sont « officiellement assignés à un rôle éducatif » le personnel occupe une fonction de surveillance et de gardiennage de plus en plus constante. En effet, il existe très peu de moments qui échappent à leur surveillance. L’ensemble des CEF comportent tous des endroits « clandestins » où vont se réfugier les mineurs dès qu’ils ont une plage horaire non contrôlée. En dehors de la surveillance des éducateurs qui est censé assurer la sécurité du centre, ces instants représentent pour eux à l’inverse « un moment de liberté symbolique et temporaire qui fonctionne comme une soupape de sécurité ».
S’ajoute à cette surveillance éducative, la mise en place de dispositif de vidéosurveillance. Le cahier des charges actuel précise que l’ensemble des établissements devront mettre en place des dispositifs de contrôle des mouvements. Par le biais de cette recommandation, la DPJJ a communiqué qu’au moins la moitié des structures avaient décidé de compléter le dispositif en installant des caméras.
Au-delà de la surveillance permanente assurée par l’équipe pédagogique, à laquelle vient s’ajouter une surveillance matérielle, cette dernière peut être assurée également par la pratique de la fouille. Néanmoins, en raison du fait qu’elle puisse porter atteinte à l’intimité des mineurs, elles doivent être strictement encadrées.

La pratique des fouilles comme moyen de contrôle

« Des ados victimes de fouilles à nu au Centre éducatif fermé de la Jubaudière », telle estla une de Ouest-France, le 10 mai 2019191. Face à une telle situation, Mr. DE BARY Jean, avocat pénaliste au barreau d’Angers, adresse un courrier a HAZAN Adeline, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté affirmant qu’il « ne peut pas accepter une telle procédure attentatoire à l’intimité d’un jeune enfant ».
Toutefois, la situation n’est ni nouvelle, ni inconnue. En date du 30 novembre 2015, la Directrice de la DPJJ produit une note relative à l’atteinte aux droits fondamentaux par le recours à des pratiques « fouille », dans laquelle elle indique avoir été informée, par le CGLPL et les services de l’inspection, de l’existence de pratique de fouille. En l’absence de cadre normatif, la DPJJ vient rappeler alors à l’ensemble des établissements et des équipes éducatives qu’il est formellement prohibé de recourir à toute « pratique portant atteinte à la dignité, à l’intégrité, et à l’intimité des adolescents »192. Les professionnels se livrant à des palpations, a des fouilles à nu ou à des inspections de chambre sans leur accord et en leur absence des mineurs sont passibles de poursuites pénales et de sanctions disciplinaires.
Force est de constater que la question des fouilles constitue une question délicate. Les CEF sont des lieux où les interdits sont nombreux en raison du fait qu’ils accueillent des mineurs. En conséquence, l’alcool, les cigarettes et les produits stupéfiants sont prohibées. Toutefois, sans pouvoir sortir à l’extérieur au début de la mesure, il demeure possible par la suite pour les adolescents de faire des allers-retours entre le dedans et le dehors, notamment par la mise en place de sorties accompagnées, de weekend en famille ou pour l’accomplissement d’un stage en entreprise ou pour suivre une scolarité dans un établissement d’enseignement. Ainsi, au cours de ses sorties, les mineurs peuvent être tentés de se procurer des substances interdites et faire obstacle aux probations du centre en les ramenant avec eux. Alors quelquefois soupçonneux, les éducateurs se livrent à des pratiques fouilles, étant considérée par le CGLPL, comme un moyen de contrôle, « permettant de recherche un ensemble d’objets, de substance ou de produit illicite, interdits ou dangereux, sur la personne privée de liberté concernée, dans ses affaires ou dans les lieux qu’elle occupe193 ».
Néanmoins, en l’absence d’encadrement et de dispositions précises en la matière, le CGLPL et l’IPJJ relève des pratiques hétérogènes, « témoignant de la difficulté de concilier le droit des mineurs à leur intimité et l’impératif de sécurité » au sein des établissements. En effet, certains centres se limite à la fouille des sacs, alors que d’autres procèdent à des fouilles avec déshabillage presque intégrale et examen des vêtements dans le but de détecter la présence de cannabis.

De la fermeture juridique à la fermeture physique

L’annonce de l’ouverture des « centres éducatifs-fermés » apparait comme une onde de choc. Souhaités par certains pour des raisons de sécurité et décriés comme un manque de courage politique par d’autres, leurs sorties à fait l’objet de vives controverses, suscitant débats et réflexions concernant leurs natures juridique. Leur ouverture a provoqué un profond malaise de la part des professionnels de la justice des mineurs, que ce soit les éducateurs ou les magistrats. Leur finalité paraissait peu lisible, selon Arthur Vuattoux, ne sachant pas s’il s’agissait d’y accueillir « des mineurs qui auraient dû l’être incarcérés et pour lesquels on aménage une nouvelle modalité de prise en charge, ou plutôt de « renforcer » la prise en charge, dans des structures à la frontière du carcéral, de jeune qui serait, sinon placés en foyer ou en suivis en milieu ouvert ? »194.
A mi-chemin entre un foyer éducatif classique et une prison, les CEF reposent sur l’idée d’un placement éducatif contraignant, sous la surveillance et le contrôle permanent des éducateurs, dans lequel, les portes resteraient ouvertes. Néanmoins, et ce même avant leurs ouvertures, un problème juridique survient. En effet, au regard de la Constitution une structure ne peut être qualifiée de « fermée » uniquement si elle intègre un « cadre pénitentiaire »195. Ainsi, pour ne pas compromette les engagements de la présidentielle, c’est sous l’assise prend du nouveau concept de « fermeture juridique » que sont présentés les centres. Plus que des murs et des barbelés, la fermeture traduit « seulement le fait que la violation des obligations auxquelles est astreint le mineur, et notamment sa sortie non autorisée du centre, est susceptible de conduire à son incarcération par révocation du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l’épreuve »196. La fermeture du centre repose sur une conception juridique de la privation de liberté, considérant que « c’est la parole du juge plus que les murs de l’établissement qui fonde sa privation de liberté »197.
Toutefois, eu égard aux nombres d’incidents et plus particulièrement face à l’augmentation incessante des fugues, la simple fermeture juridique des établissements à commencer à montrer ses limites, et a conduit, peu à peu, à franchir la frontière entre la contrainte juridique et contrainte physique. Ainsi en avril 2003, le cabinet de Dominique Perben, ministre de la Justice à l’époque, demande alors à la mission CEF d’engager un cabinet d’architecture pour proposer un cahier des charges architectural précis, capable de symboliser l’enfermement198.
Ainsi, à la lecture du cahier des charges, outre la présence des éléments renvoyant aux formes traditionnelles de placement, des dispositions tendant à matérialiser physiquement la contrainte se dessine en posant des limites architecturales. Il ressort du cahier des charges actuels que « l’emprise du centre devra être clôturée et ne comporter qu’un accès unique actionnable par télécommande. Les grillages de clôture devront comporter un retour. L’enceinte de clôture sera doublée à l’intérieur d’une haie vive. Un système de barrière infrarouge sera installé́. Des dispositifs de contrôle des mouvements seront également mis en place […], les accès auxdifférents espaces devront pouvoir être maitrisés par les encadrants en toute circonstance ».
Ainsi, comme le souligne Nicolas Sallée, l’aménagement des espaces est alors minutieusement pensé de sorte à « accroitre la visibilité des jeunes et des leurs comportements ». L’apparition d’une coupure entre deux mondes – « ouvert » et « ferme » s’est installée, dans une grande majorité des centres. Lors de ses nombreuses visites le CGLPL a eu l’occasion de constater, au sein des centres, l’existence d’une clôture constituée par un grillage d’une hauteur de deux mètres, grillage qui avait été surélevé d’une rangée de trois fils de fer barbelés ou bien à ce titre, Manuel Palacio se demande quelle est la différence avec les prisons si les centres éducatifs fermé sont réellement fermés ?

Vers une extension de la logique carcérale ?

Si certains considèrent que les CEF ne constituent que des lieux restrictifs de liberté,distinct des QM ou des EPM, il n’en reste pas moins que leur création fait naitre une nouvelle forme d’enfermement, en étendant la logique carcérale au-delà des murs de la prison. Présenté comme une alternative à l’incarcération, permettant de donner une dernière chance aux mineurs avant de passer par la « case prison », la création des CEF aurait dû entrainer une diminution de l’incarcération des mineurs. Or, de 2008 à 2014 le nombre de mineurs détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés, est resté stable, passant seulement de 681 à 704, soit une augmentation de 23 incarcérations. Toutefois, en 2008, le nombre de mineurs placés s’élève à 888, passant, en 2014, a 1481201. Selon Vuattoux Arthur, sociologue « on voit clairement qu’il n’y a pas d’effet de vases communicantes. Les CEF sont en fait une extension des modes d’enfermement des jeunes, davantage qu’une alternative ou une substitution »202. Ainsi, la formation des CEF, issue d’une commande sécuritaire, constituerait alors qu’une mesure de plus, venant compléter les possibilités institutionnelles de l’enfermement, en créant uneextension de la logique carcérale. Malgré l’objectif affirmer selon lequel les CEF permettraient « d’offrir aux juges des enfants une alternative renforcée à l’incarcération provisoire des mineurs », c’est néanmoins sous l’expression « d’antichambre de la prison »203 que sont aujourd’hui qualifiés les CEF.
Selon Laurent, un éducateur spécialisé en CEF, le système de la carotte fonction pour certains des adolescents et notamment les plus jeunes, car ils ont conscience qu’en ne respectant par le cadre, ils ne pourront passer au niveau supérieur de la prise en charge et qu’ils risquent de faire l’objet d’une note d’incidence qui sera transmises au magistrat qui pourra prononcer la révocation de son placement, ce qui entrainera son incarcération. Selon lui « on voit l’usage de la révocation, et donc de l’incarcération, à la fois comme une façon de régulier l’ordre et de discipliner les jeunes. Ce qui marque les formes d’accompagnement dans ce type de dispositif, c’est la menace de l’incarcération »204.
En effet, l’ambiguïté de ces structures a mis peu de temps à apparaître, puisque la simple énonciation de son appellation interpelle. La construction d’un centre éducatif qui reposerait sur une simple fermeture juridique parait utopique, nécessitant au fur et à mesure une fermeture physique. Dès lors, ce dispositif constitue la marque de l’impossibilité du Gouvernement française à renoncer au mythe de l’enfermement. Un dispositif oscillant entre éducatif et répressif engendre inévitablement des dérives.

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