Le rapport aux congés chez les salariés sénégalais
Nous avons vu dans la partie précédente que, selon Karl Marx, la relation salariale est une relation de subordination fondée sur la dépendance économique. Le travailleur vend sa force de travail pour une durée limitée parce qu’il n’a pas d’autre choix pour subsister. Sa survie dépend ainsi de l’acquisition de monnaie indispensable pour espérer se reproduire. Ainsi on peut dire que celui qui achète la force de travail est en position de force parce qu’il peut mettre en danger la subsistance du salarié en refusant de renouveler son contrat. Le salarié, pour sa part, recherche avant tout à faire subsister sa propre personne et à permettre le développement des moyens de reproduction de la force de travail. C’est dans cette perspective qu’il convient avec l’acheteur de sa force de travail d’un temps provisoire de repos pour se récréer socialement. Travail et congés sont ainsi en confrontation permanente. Les débats sur le temps de congés ne sont pas nouveaux. On sait l’ampleur qu’ils ont connue dès la massification du salariat en France, notamment avec l’obtention par les travailleurs français de deux semaines de congés payés, le 20 juin 1936. Mais au Sénégal, encore faut-il que l’habitude se prenne et que la pratique s’organise ! Les congés représentent au Sénégal un domaine encore peu exploré par les sciences sociales, dans une société sénégalaise contemporaine marquée par le chômage et le travail informel. De ce point de vue, mener une recherche sur le rapport imaginaire et pratique que les salariés sénégalais entretiennent quant au temps de congés et de vacances peut paraitre paradoxal au regard de la précarisation de leurs conditions d’existence et des incertitudes quant aux lendemains. Dans le domaine de la pratique des vacances et du tourisme, on peut sans doute faire l’hypothèse que la diffusion de l’accès aux congés procure aux salariés des laps de temps pour construire et se représenter l’expérience d’un autre mode d’occupation du temps extraprofessionnel.
Le temps des congés est appréhendé comme résultant du temps de travail et comme un temps pendant lequel le travailleur peut expérimenter des activités extra professionnelles pour mieux s’épanouir. En effet, le temps des congés, peut aussi se traduire en « temps libre » c’est-à-dire moment hors travail, « un temps résiduel, à la marge du temps de travail » (Pronovost, 2014). Cette période de congés est appréhendée comme une étape essentielle pour le salarié afin qu’il puisse se renouveler et s’accomplir. Elle est associée au « repos », en France par exemple (Périer, 200. P.17-26). Elle peut être aussi assimilée à « la récupération physique, au divertissement et à l’éducation » (Pronovost, 2014). Le temps de congé est aussi associé à l’intervalle de temps pendant lequel les classes sont suspendues durant l’année scolaire. Ce temps peut renvoyer à un moment de rupture temporaire d’une fonction, pendant lequel un salarié se libère de son travail pour vaquer à d’autres occupations, mais continue à percevoir son salaire. Il exerce une « fonction correctrice par rapport aux contraintes vécues dans le travail » (Grunwald, Hecker, 1981, cité par Boulin et Silvera, 2001). Le temps de congé serait ainsi le temps de la libération des contraintes professionnelles qui implique une réorganisation de la vie sociale. C’est un temps qui peut être compris comme un temps de rupture avec l’activité de travail au sein de l’entreprise, permettant au salarié de s’adonner à d’autres activités. Le temps de congé comme le temps de travail serait une catégorie dans le processus de construction du temps social. C’est aussi une période qui peut coexister avec d’autres temps sociaux.
Cependant, les modes d’occupation du temps des congés et les représentations qui en résultent, différent d’un individu à un autre, d’une société à une autre, d’un groupe social à un autre (De Coninck, Guillot, 2007). En effet, plusieurs études ont montré des usages différents du temps de congé. S’il peut s’apparenter à un temps d’affranchissement des contraintes liées aux obligations professionnelles pour certains travailleurs, il peut aussi correspondre à un temps de non-vacances pour d’autres. De ce fait, dans cette partie, nous interrogeons la manière dont les congés sont vécus chez les salariés sénégalais. Dans un premier temps, nous verrons comment le code du travail sénégalais conçoit les congés au Sénégal. Puis nous montrerons comment les salariés sénégalais s’approprient les congés. Chaque salarié a ainsi droit à 24 jours de congés annuels payés à la charge de l’employeur, après une période minimale de 12 mois de service effectif, ce qui correspond à une durée égale à deux jours ouvrables par mois de service effectif au titre de congé principal. Cependant, le temps de congés peut varier, allant jusqu’à 45 jours en fonction des administrations, comme, par exemple, les sapeurs-pompiers (voir annexe, tableau des congés des sapeurs-pompiers). Le temps de congés peut aussi être augmenté, au regard de l’ancienneté du salarié.