Le radiocésium dans le milieu marin

Les accidents nucléaires

Deux accidents ont contribué à un marquage significatif de l’environnement marin en radiocésium.
L’accident de Chernobyl qui s’est produit en 1986 et qui a engendré le rejet de quantités importantes de radionucléides notamment le 137Cs. Aarkrog [2003] estime que la quantité de 137Cs atteignant le milieu marin sous forme de retombées locales ou troposphériques ne représente que 15-20 % la quantité totale rejetée dans l’environnement (environ 100 PBq). En raison de leur proximité du lieu de l’accident, les mers européennes telles que la mer Baltique, la mer Noire, la mer Méditerranée et la mer du Nord sont les plus touchées par ces rejets.
L’accident de Fukushima qui s’est produit le 11 mars 2011 a eu quant à lui un impact important sur les niveaux de la radioactivité en mer dans la région du Pacifique nord d’autant que la centrale est située sur la côte. Les quantités de radionucléides rejetés en mer suite à cet accident et leur impact sur l’environnement marin sont décrits en détail dans le prochain chapitre.

Le radiocésium, un traceur des masses d’eau

Le radiocésium, un traceur des masses d’eau

Le 137Cs qui a été largement introduit dans le milieu marin et qui présente une demi-vie d’environ 30 ans est un élément aisé à mesurer par spectrométrie gamma. En milieu aquatique les isotopes du césium se trouvent sous forme cationique. En mer les ions Cs+ sont en forte compétition ionique avec les ions majeurs de l’eau de mer, et les isotopes du césium y sont donc essentiellement rencontrés sous forme dissoute. Ces caractéristiques en font un traceur de choix pour étudier les mouvements des masses d’eaux à l’échelon mondial.

La distribution du 137Cs dans les eaux de surface de l’océan mondial

La distribution des concentrations du césium dans les eaux de surface de l’océan est influencée par plusieurs facteurs tels que la circulation océanique et atmosphérique, la fréquence des précipitations, la nature et la quantité des rejets ainsi que l’emplacement de la source (Povinec et al. [1996]). La distribution du 137Cs dans l’océan mondial a connu une importante variabilité temporelle en parallèle avec la variabilité des sources de rejets (retombées globales, accidents, rejets directes, etc). Durant la période 1957-1965 (Figure 2.2,a), les concentrations les plus élevées se trouvaient essentiellement dans le Pacifique nord-ouest (30 􀀀 45oN et 135 􀀀 155oE) et dans le nord de l’Atlantique (30 􀀀 50oN), où les quantités de précipitations ainsi que les échanges entre les couches de l’atmosphère sont les plus forts (Aoyama and Hirose [2003], Aoyama et al. [2006]). Ces fortes concentrations se sont ensuite déplacées vers la partie Est du Pacifique nord durant les années 1960s (Figure 2.2,b) sous l’effet des courants océaniques. Durant les années 1970s (Figure 2.2,c), les différences de concentration entre les moyennes latitudes et la partie équatoriale du Pacifique deviennent négligeables (Aoyama et al. [2001]). Les fortes concentrations observées dans le nord de l’Atlantique et ses mers marginales dans les années 1970s sont essentiellement liées aux déversements des usines de retraitement présentes dans cette région (La Hague, Sellafield). Dans les années 1980s (Figure 2.2,d), les concentrations élevées observées au niveau des mers européennes (la mer Baltique, la mer Noire, la Méditerranée), sont essentiellement dues aux retombées atmosphériques liées à l’accident de Chernobyl (Avril 1986). Par ailleurs, les concentrations étaient toujours élevées au niveau de l’Atlantique nord-est, sous l’effet combiné de l’accident de Chernobyl et des rejets liquides des centres de retraitement du combustible usé (Povinec et al. [2013]). Dans les années 1990s (Figure 2.2,e), les concentrations du 137Cs dans l’eau étaient toujours plus fortes au niveau des mers marginales de l’Atlantique nord (la Manche et la mer du Nord), essentiellement influencées par les rejets des centres de retraitement du combustible usé. Dans les années 2000s (Figure 2.2,f), les concentrations deviennent presque homogènes dans tout l’océan mondial avec des concentration généralement inférieures à 3 Bq m􀀀3, à l’exception des mers marginales de l’océan Atlantique où les concentrations restaient toujours élevées (entre 20 et 100 Bq m􀀀3).

Le Pacifique subtropical et équatorial

La concentration maximale du 137Cs dans la partie Nord-Ouest du Pacifique subtropical (122 Bq m􀀀3) a été observée en 1958, suivie d’une décroissance exponentielle des concentrations. A partir des années 1990s et jusqu’à l’année 2010 les concentrations sont restées relativement stables avec des valeurs entre 1.6 et 3.7 Bq m􀀀3. Dans la partie Est, la concentration maximale (47 Bq m􀀀3) a été observée en 1967, et à partir des années 1990s, les concentrations deviennent similaires à celles enregistrées dans la partie Ouest. Dans la partie Sud du Pacifique subtropical, une concentration maximale d’environ 21 Bq m􀀀3 a été observée en 1978, suivie d’une décroissance exponentielle des concentrations à partir de 1980.

Le Pacifique sud

Dans la partie sud du Pacifique les concentrations maximales du 137Cs dans l’eau ont été enregistrées vers 1966. Elles varient entre 9.6 et 12 Bq m􀀀3 selon les endroits. Ces concentrations sont plus faibles que dans le Pacifique nord témoignant du moindre impact des retombées des essais nucléaires atmosphériques dans l’hémisphère sud. Elles diminuent ensuite de manière exponentielle à partir des années 1970s pour atteindre des valeurs comprises entre 1 et 3 Bq m􀀀3 vers la fin des années 1999 et ledébut des années 2000.

Le radiocésium et les organismes vivants

Une partie du radiocésium présent dans l’environnement marin est transférée aux organismes marins. Le césium a un comportement analogue au potassium et est plutôt concentré dans les organes riches en cet élément comme les muscles. De manière à décrire l’affinité d’un élément pour un organisme donné, les radioécologistes utilisent les facteurs de concentration. C’est le rapport de la concentration d’un élément dans l’organisme étudié et la concentration de ce même élément dans l’eau environnante dans les conditions d’équilibre. Les facteurs de concentration les plus faibles sont observés pour le plancton et les plus élevés chez les poissons cependant les valeurs restent modérées contrairement à certains éléments qui ont un rôle biologique (Co, Zn).

Les facteurs qui influencent l’accumulation et la rétention du radiocésium par les organismes marins

On distingue généralement des facteurs environnementaux liés au milieu de vie, et des facteurs biologiques liés à l’organisme considéré.

Les facteurs environnementaux

La température de l’eau dans laquelle vit l’organisme exerce un effet non négligeable sur les processus métaboliques. Il est généralement admis que le taux d’élimination du radiocésium par les organismes aquatiques augmente avec l’augmentation de la température (Ugedal et al. [1992],Rowan and Rasmussen [1995],Doi et al. [2012]). Cela ne signifie pas forcément que la concentration du radiocésium dans l’organisme va diminuer avec l’augmentation de la température, car cette augmentation dans le taux d’élimination est généralement compensée par l’augmentation du taux d’ingestion de la nourriture contaminée (Rowan and Rasmussen [1994]). Il est donc extrêmement difficile de prédire si le facteur de concentration du radiocésium par ces organismes augmente, diminue ou alors reste stable avec l’augmentation de la température.
Comme nous l’avons mentionné dans les sections précédentes, le radiocésium possède les mêmes caractéristiques chimiques que le potassium (K+), et leur accumulation par les organismes marins se fait de manière analogue. L’accumulation du césium par les organismes aquatiques est directement liée à la salinité. Elle est généralement plus efficace dans les milieux d’eau douce que dans le milieu marin, en raison des faibles concentrations en potassium caractérisant les eaux douces par rapport aux eaux marines (< 0.5 mM dans les eaux douces contre > 10mM dans les eaux marines) (Thomann [1981]). Cependant, des études ont montré que des salinités supérieures à 20 n’engendrent généralement aucun effet sur le facteur de concentration (Zhao et al. [2001]). La salinité ne devrait donc jouer aucun rôle dans la variation du taux d’accumulation du radiocésium par les espèces marines, étant donné que la salinité des océans et des mers dépasse généralement 30.
La présence de l’argile dans la nourriture pourrait jouer un rôle négatif dans le processus d’accumulation du radiocésium par l’organisme aquatique (Rowan and Rasmussen [1994]). Kolehmainen [1972] a montré que l’efficacité d’assimilation du radiocésium par certains poissons est très faible lorsque la nourriture est riche en argile (<10%), alors que dans les conditions normales lorsque la nourriture ne contient pas d’argile, l’efficacité d’assimilation varie autours de 60-70 %. Le temps d’exposition de l’organisme vivant à la nourriture et à l’eau contaminées en radiocésium joue un rôle important dans la détermination de son taux de contamination. Plus le temps est élevé, plus la quantité accumulée est importante jusqu’à atteindre l’équilibre. Ce temps d’exposition est généralement lié aux conditions hydrodynamiques du site dans lequel vit l’organisme, et à la mobilité de ce dernier.

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Les facteurs biologiques 

La taille de l’organisme joue un rôle probablement important dans la détermination du taux de contamination de l’organisme vivant en radiocésium (Thomann [1981]). Généralement, l’augmentation de la taille de l’organisme est accompagnée par l’augmentation de son niveau de contamination. Dans certaines situations, le niveau de contamination peut rester stable ou même diminuer lorsque la taille de l’organisme augmente (Kasamatsu and Ishikawa [1997]).
L’étude réalisée par Kasamatsu and Ishikawa [1997] sur certain poissons marins a montré que la relation entre le facteur de concentration du 137Cs et la taille de l’organisme varie d’une espèce à une autre ( Figure 2.5). Plusieurs études ont déjà mentionné que le taux d’élimination biologique du radiocésium est inversement proportionnel à la taille de l’organisme vivant (Phillips and Russo [1978], Thomann [1981], Vives i Batlle et al. [2007], Doi et al. [2012] ). Le taux de consommation de la nourriture est, quant à lui, inversement proportionnel à la taille de l’organisme (Pauly [1986], Ferriss and Essington [2014]), signifiant ainsi que le taux d’accumulation du radiocésium est, lui aussi, inversement proportionnel à la taille (Phillips and Russo [1978]), étant donné que la majeure partie du radiocésium accumulée par l’organisme provient de la consommation de proies contaminées (Kasamatsu and Ishikawa [1997], Thomann [1981], Zhao et al. [2001], Mathews et al. [2008]). Il est donc primordial de tenir compte de ce paramètre dans les modèles radioécologiques afin d’évaluer son effet sur les taux de contamination des espèces.
Le régime alimentaire est l’un des facteurs majeurs affectant la concentration du 137Cs dans les organismes marins (Kasamatsu and Ishikawa [1997]). Des études ont montré l’existence de différences importantes de CF entre des espèces présentant des régimes alimentaires différents, ou bien entre différentes cohortes d’une même espèce lorsque celle-ci change de régime alimentaire au cours de sa vie (Kasamatsu and Ishikawa [1997], Harmelin-Vivien et al. [2012]). Kasamatsu and Ishikawa [1997] ont constaté en analysant le contenu stomacal de plusieurs poissons, que les espèces ayant tendance à consommer des poissons de grande taille ont souvent des taux de contamination plus élevés que ceux qui se nourrissent des espèces de tailles plus petites. La bonne représentation du régime alimentaire de l’espèce dans les modèles radioécologiques est alors indispensable pour une meilleure robustesse du modèle.
Le taux d’ingestion de la nourriture ainsi que l’efficacité d’assimilation sont des facteurs importants, qui déterminent la quantité du radionucléide assimilée par l’organisme. Ces deux paramètres jouent alors un rôle primordial dans l’estimation de la concentration du radiocésium dans l’organisme vivant et sont pris en compte dans la plupart des modèles dédiés à l’estimation des taux de contamination des organismes marins en différents radionucléides (Thomann [1981], Wong and Cheung [1999], Kryshev and Ryabov [2000], Brown et al. [2006]). Or, bien que le taux d’ingestion soit généralement influencé par les facteurs environnementaux tels que la température, la disponibilité de la nourriture, etc, ce paramètre est considéré constant dans la plupart de ces modèles radioécologiques.

Sédimentation de la radioactivité contenue dans les particules organiques

Les cadavres des organismes morts ainsi que les pelotes fécales produites par les organismes vivants s’agglutinent et s’incorporent à de grands agrégats qui sédimentent ensuite vers le fond à des vitesses relativement élevées, conduisant ainsi au transfert du radionucléide vers le sédiment. Ce phénomène a été observé en Méditerranée juste après l’accident de Chernobyl, où des particules organiques contaminées en radionucléides qui présentent une vitesse de chute d’environ 30 m j􀀀1 ont été récoltées à 200 m de profondeur (Fowler et al. [1987], Povinec et al. [1996] ). Par ailleurs, ces particules organiques constituent la source de nourriture principale pour plusieurs organismes benthiques (filtreurs, dépositivores, etc), ce qui constitue une voie d’entrée de radionucléides dans les écosystèmes benthiques, et donc au transfert de cette radioactivité le long des chaines trophiques benthiques.

Le radiocésium dans le sédiment

De la même manière que pour les organismes, les radioécologistes utilisent pour les sédiments la notion de coefficient de partage qui est le rapport à l’équilibre de la concentration d’un radionucléide donnée dans les sédiments avec la teneur de ce même élément dans l’eau. Le coefficient de partage du césium se situe entre 2000 et 4000 (IAEA [2004]). Comme nous l’avons vu, le césium en solution se trouve sous forme cationique, il est retenu par les particules sédimentaires notamment par échange ionique entre Cs+ et K+. Cet échange peut se faire soit à la surface des particules, dans ce cas il s’agit d’une fixation réversible, soit à l’intérieur du réseau cristallin ce qui est le cas notamment pour les minéraux argileux à structure en feuillets (illite), cette fixation est alors irréversible. Si le césium est essentiellement sous forme dissoute en haute mer, à cause  de ce dernier type de fixation il s’avère, notamment en domaine côtier, être un relativement bon marqueur des apports solides des rivières marqués soit par des rejets d’effluents radioactifs soit par lessivage des bassins versants contaminés par des retombées atmosphériques (Charmasson [2003]).
Une partie du 137Cs piégé dans la couche superficielle du sédiment (interface eau-sédiment) peut être remise en circulation dans le système par deux types de mécanismes : il s’agit d’une part du phénomène chimique de désorption (Hess et al. [1978]), considéré comme un processus important dans le cas du radiocésium (Stanners and Aston [1982]), et d’autre part via des phénomènes physiques de remise en suspension des sédiments sous l’action des courants, des vents ou des houles (Migniot [1977]) qui entrainent par conséquent les radioéléments qui y sont fixés. Ce phénomène de remise en suspension peut alors représenter, à long terme, une source supplémentaire du 137Cs dans l’eau. Le cycle du 137Cs dans l’environnement marin, ainsi que l’ensemble des processus que nous venons de décrire sont résumés sur la Figure 2.6.

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