Le quotidien des EGRS dans une classe de ZEP

Le regard des autres

Les EGRS font partie d’une classe. A ce titre, ils sont confrontés au regard de leurs pairs sur leur réussite. Comment les enseignants ressentent ce regard ? Cette thématique n’est pas ressortie dans les réponses des enseignants dans le questionnaire. Lors des entretiens, les enseignants ont pu s’exprimer sur le sujet et développer leur idée.
Pour les enseignants de nos entrevues, le regard des autres dépend des profils des EGRS, qui peuvent être multiples. Un des élèves d’Emeric était leader positif dans la classe. Ses camarades se référaient à lui. Un autre se sentait un peu « stigmatisé ». Quand cet élève répondait à une question, l’enseignant ressentait « un petit malaise » dans la classe. Les élèves d’Anaïs n’étaient pas « forcément mis en dehors du groupe classe ». Le cas s’est présenté une fois pour un élève « imbu lui par contre de sa personne ». Le rejet de la part des autres élèves provenait de son comportement et non de sa réussite scolaire.
De nombreux enseignants durant les entretiens relèvent la valeur ajoutée de la présence de ces élèves dans une classe. Ils parlent d’une « richesse pour les autres », précisent que dans le quartier, les élèves sont « admiratifs des enfants qui réussissent ». Selon eux, il faut se servir de ces élèves comme exemple, comme « modèle » à montrer aux autres élèves. Malgré cela, plusieurs enseignants des entretiens ne parviennent pas à les mettre en avant. « Par rapport aux autres, je ne peux pas le faire » dit Claudine. Ils parlent de la notion d’égalité, voire de jalousie. Ces enseignants font attention au temps consacré aux EGRS. Le fait de passer plus
de temps avec les « bons » pourrait ne pas être compris alors que la situation inverse pose moins de problèmes.
J : parce que voilà et donc ce n’est pas facile de trouver justement, de respecter cette forme d’égalité. Alors ils le comprennent quand ce sont des élèves en difficulté, que je passe plus de temps avec eux. C’est une forme d’inégalité parce que je consacre moins de temps aux autres. L’inverse n’est pas vrai. Si c’est pour faire, donner des choses, un plus aux autres, les autres ont du mal à comprendre donc il faudrait essayer de trouver un truc astucieux Jacques présente une façon singulière de gérer ce rapport aux autres ; il fait attention de privilégier des élèves moins en réussite pour réaliser la tâche de tutorat sur des situations plus mécaniques. Il tente de respecter une certaine « forme d’égalité ». Emeric ressent cette situation au quotidien pendant une journée de classe. Il considère sa façon de prendre en compte les EGRS différente des autres. Pour lui, le fait d’être plus tolérant envers eux peut être à l’origine de jalousie de la part des autres élèves. L’enseignant a une part de responsabilité dans le regard que portent les autres sur les EGRS.

L’hétérogénéité et la grande difficulté scolaire

Que ce soit dans le questionnaire ou lors des entretiens, les enseignants rappellent le caractère problématique du niveau scolaire en ZEP. Ils expliquent que le niveau général est très faible, plus que dans d’autres écoles. L’hétérogénéité des élèves est conséquente. Que pensent les enseignants de l’effet de ce niveau bas et de cette forte hétérogénéité sur le quotidien des EGRS ? Que disent-ils sur la cohabitation de niveau au sein d’une même classe ? Les enseignants exposent deux conséquences. Dans une première partie, les enseignants traiteront de la difficulté scolaire qui ralentit le temps didactique. Dans la seconde partie, il s’agira de voir dans quelle mesure la difficulté scolaire accapare l’enseignant et les conséquences pour les EGRS. A nouveau, nous analysons le discours des enseignants à travers nos deux dispositifs. Il s’agit donc de données déclaratives.

La difficulté scolaire ralentit le temps didactique : Effet sur les programmes scolaires et les manques en terme de savoirs pour les EGRS

Résultats

La présence d’élèves en grande difficulté scolaire dans la classe fait ralentir le temps didactique.
Les enseignants ne réalisent pas la totalité des apprentissages qu’ils souhaitent car ils vont faire « moins de choses que s’ils n’avaient pas les élèves en difficulté ».
Lorsque l’on a observé la fréquente apparition du constat autour du niveau très faible dans les réponses aux questionnaires, nous avons abordé la notion de faisabilité du programme scolaire durant les entretiens.
Les enseignants se partagent en deux avis différents.
Le premier groupe, constitué d’enseignants avec plus de vingt ans d’ancienneté, mais aussi d’autres enseignants dont c’est la première année de titularisation, pensent que l’on peut faire tout le programme. Malgré un début d’année difficile pour Pauline, avec des niveaux dans sa classe de CE1 allant jusqu’à la grande section de maternelle, elle pense qu’elle va « pouvoir tout faire ». Pour les autres enseignants, on peut tout faire, voire « il faut tout faire » mais il faut « adopter un rythme » plus ou moins rapide en fonction des élèves que l’on a dans la classe.
Selon eux, la difficulté de certains élèves n’est pas une raison pour ne pas aborder les points difficiles du programme. Ils pensent aux EGRS. Pour que ces élèves ne s’ennuient pas, ils préconisent de « de tirer vers le haut ». Ces élèves ont besoin de travailler, de voir des points difficiles qu’ils peuvent assimiler. Même pour les élèves en difficulté, ces enseignants pensent qu’il est bon de faire tout le programme. Ils n’assimileront pas les notions, mais ils en auront entendu parler, ils auront eu l’information.
Pour les autres enseignants, le programme doit être aménagé, selon différents critères propres à chaque répondant. Certains, décident de prioriser les matières. Le français et les mathématiques sont les domaines privilégiés, dans lesquels quasiment toutes les compétences seront travaillées et par conséquent le programme terminé. Le sport, la musique, les arts visuels, l’éducation civique et morale sont relégués au second plan et « ça saute ». Pour d’autres, il faut simplifier les parties du programme, dans tous les domaines. Quelques enseignants décrivent leurs façons de faire. Clémence fera tout mais en plus simple, les notions les plus importantes dans toutes les matières seront vues. Selon Anne, il y a des termes très compliqués qui empêchent les élèves de s’approprier la notion. Simplifier permet une meilleure compréhension.
Ce n’est d’ailleurs pas toujours une question d’éducation prioritaire ou de difficulté scolaire. Anaïs pense que certaines compétences sont trop complexes à enseigner, même à Allauch.
Le public était très favorisé et les élèves en réussite scolaire ; Anaïs n’a pourtant pas réussi à finir le programme, trop chargé à son goût, dans tous les domaines. Elle fait le choix de réaliser des apprentissages progressifs dans la difficulté. Elle aménage aussi l’ordre de son enseignement et essaye d’avoir une répartition du programme la plus couvrante possible au regard des trois ans du cycle 3.

Discussion

Les textes officiels sont clairs : « les programmes sont les mêmes en ZEP qu’ailleurs » (MEN, 1999; 2003). Cette volonté institutionnelle est reprise par Glasman (1998) qui renforce l’idée selon laquelle les programmes scolaires doivent être uniformes sur la totalité du territoire français. Les écoles de ZEP doivent donc afficher les mêmes ambitions que les autres et cette affirmation a été reprise par quelques-uns des enseignants interrogés.
Même si c’est dans les classes populaires que les enseignants reconnaissent le plus souvent ne pas terminer le programme (Duru-Bellat & Piquée, 2004), comme une partie des enseignants interrogés l’a confirmé, ces derniers ne s’en plaignent pas et ne veulent surtout pas de programmes particuliers pour les écoles de ZEP (Charlot, 1998). Pourtant, un écart significatif existe entre les prescriptions des programmes et ce qui est réellement enseigné (Monnier &Amade-Escot, 2009). Les enseignants reconnaissent que le programme est « infaisable » (Charlot, 1998, p. 25). Il existe une priorité au sein des matières enseignées. Les compétences se rapportant au français et aux mathématiques seraient enseignées dans leur intégralité, au détriment d’autres matières, comme les sciences, la musique, le sport… Ce choix de renoncer à enseigner une partie des programmes est fait car les enseignants ne trouvent pas d’autres solutions (Laparra, 2012). Dans les entretiens, les enseignants sont conscients que le fait de ne pas enseigner tout le programme est préjudiciable aux EGRS car ces élèves sont capables d’acquérir l’intégralité de ce dernier. Les enseignants se retrouvent très souvent à segmenter les tâches en micro-tâches (ibid.), à trop simplifier et à fausser le jeu didactique entre l’élève et l’enseignant. S’en suit une « minoration des savoirs fondamentaux au bénéfice de savoirs plus superficiels et de savoir-faire sociaux » (Monnier & Amade-Escot, 2009, p. 60) due au fait que les programmes ne sont pas réalistes dans les ZEP. Ce choix a été fait par plusieurs enseignants qui décident de simplifier le programme, dans tous les domaines.
La création d’un « socle commun de connaissances et de compétences »157 a pour ambition de définir « ce qu’il n’est pas permis d’ignorer »158. Pour certains, c’est un renoncement à toute ambition éducative. Pour Armand (2011), cette adaptation est nécessaire car les élèves et les classes des milieux défavorisés sont différents des autres milieux. Les élèves se caractérisent par une distance plus importante à ce qui est attendu à l’école. Ils ont donc besoin d’écrire beaucoup plus fréquemment, avec des supports et des situations plus variés que dans les autres milieux (ibid.). On retrouve dans le discours de plusieurs enseignants des entretiens ce sentiment de devoir s’interroger sur les fondamentaux, sur ce qu’il faut absolument faire acquérir aux élèves pour leur vie future. Cette préoccupation les accompagne lorsqu’ils font des choix dans ce qu’ils enseigneront et ce qu’ils sacrifieront au profit de l’indispensable.

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La difficulté scolaire accapare l’enseignant

Résultats

La grande hétérogénéité des classes met les enseignants en difficulté. Ils n’arrivent pas à différencier les apprentissages pour chacun comme ils le souhaiteraient.
Difficulté de différencier tout le temps trop de notions à enseigner difficulté d’amener le bon élève vers l’excellence car priorité aux élèves en difficulté
Toutes ces adaptations demandent beaucoup de temps. La mise en place des différentes adaptations ressort comme complexe. Les enseignants se plaignent de n’avoir pas assez de temps pour s’occuper des EGRS. Ils détaillent le temps passé à aider les élèves en difficulté scolaire. Il est très difficile de dégager du temps pour les autres.
C’est très difficile autant qu’un élève en très grande difficulté je leur donne des exercices supplémentaires qui sont plus compliqués ils aident des camarades en tutorat ils lisent des livres mis à disposition au fond de la classe ils ont aussi des classeurs d’activités comme mots croisés ce n’est évidemment pas satisfaisant mais la gestion d’une classe où une grande partie des élèves sont en difficulté ou sont agités n’est pas simple en pratique

Les problèmes de discipline sur les EGRS

Résultats

Les enseignants abordent dans le questionnaire des solutions qu’ils disent utiliser pour faire face aux problèmes de discipline. Dans les entretiens, les professionnels relatent des situations concrètent pour illustrer cette notion d’indiscipline et de violence scolaire. Quand les enseignants s’interrogent sur l’influence de ces problèmes de discipline et de violence sur le reste de la classe, et particulièrement sur les EGRS, ils pensent en premier au climat de la classe. Lorsque l’on lit le témoignage de Pauline, qui décrit son début d’année très chaotique, avec des élèves ne respectant aucune règle et se comportant comme « des animaux », on découvre un climat de classe non compatible avec des apprentissages dans de bonnes conditions. C’est d’ailleurs ce constat qui encourage Pauline à imposer un cadre strict pour permettre, après trois mois, d’obtenir le résultat attendu. De la même façon, quand on relit le témoignage de Clémence, ayant deux élèves très difficiles dans sa classe décrits par l’enseignante comme hyper actifs, violents ou grossiers, nous percevons un climat de classe parasité par des interventions intempestives.
Dans les réponses aux questions ouvertes du questionnaire, la thématique du climat de classe est reprise même si elle est moins développée que dans les entretiens, à cause du dispositif qui s’y prête moins.

Influence de l’enseignant sur les EGRS

Nous poursuivons notre étude avec les travaux d’Issehnane et Sari (2013) selon lesquels les élèves sont influencés par le comportement de ceux avec qui ils sont en contact. Après s’être intéressé en amont aux dires des enseignants sur les interactions sociales horizontales des EGRS (avec les pairs), nous nous intéresserons maintenant aux réponses des enseignants au regard des interactions sociales verticales (Duong & Kanouté, 2007). L’élève est en présence de l’enseignant qui a une influence sur lui.
Dans cette partie, nous souhaiterions observer l’influence de la vie personnelle des enseignants en lien avec l’histoire de leurs propres enfants sur leur gestion de classe. A nouveau, nous commencerons par étudier cette thématique au travers des écrits scientifiques, pour ensuite étudier nos résultats en fonction de ces écrits.

Les comportements et les perceptions de l’enseignant

Une perception du niveau plus faible que la réalité et une baisse des exigences scolaires

Les enseignants adaptent leurs objectifs d’enseignement et leur type de pédagogie en fonction de ce qu’ils attendent du public qu’ils ont en face d’eux (Terrail, 2004). Les enseignants voient leur jugement évoluer en fonction des caractéristiques inhérentes aux élèves (Desombre, et al., 2011). Ainsi, en fonction de l’apparence physique, du genre, de l’origine sociale, de la façon de s’exprimer, l’enseignant peut étiqueter l’élève et élaborer un jugement négatif à l’encontre de celui-ci (Esterle-Hedibel, 2006). Le système de représentations de l’enseignant est généralement stéréotypé autour d’une représentation de l’élève idéal et cela peut encouragercertains enseignants à sous-estimer leur niveau de compétences (Duru-Bellat, 2002).
Les élèves de milieux défavorisés voient leurs capacités intellectuelles évaluées à la baisse et associées à des ambitions éducatives plus modestes (Terrail, 2004). Les enseignants sousestiment les capacités des élèves des milieux défavorisés en s’appuyant sur des représentations stéréotypées. Ne disposant pas d’informations objectives sur la valeur scolaire de leurs élèves, les enseignants les évaluent comme des élèves faibles à partir de leur appartenance sociale (Deauvieau & Terrail, 2005). Les EGRS pourraient ainsi être définis. Ils sont en réussite là où les professionnels les évalueraient en difficulté scolaire. Les enseignants, dans leurs réponses aux questionnaires, perçoivent le souci du niveau faible et de la baisse des exigences scolaires comme des éléments cachant ou empêchant l’excellence scolaire.

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