LE QUÉBEC SUR LA CARTE DES FRANCOPHONIES
Petite introduction à l’histoire québécoise
Un contexte historique à l’origine d’un malaise identitaire Le contexte historique qui a vu naître l’émancipation de la culture et de l’identité québécoises lors de cette période que l’on a nommée rétrospectivement la « Révolution tranquille » mérite d’être éclairci si l’on veut comprendre les conditions qui ont rendu possible cet éveil et cette formidable vague de laïcisation des institutions à l’origine de la modernité québécoise. Sans doute parce que le premier écueil à la compréhension des littératures francophones repose sur une méconnaissance des cultures et des enjeux et de l’histoire des peuples, il convient de proposer une mise en contexte historique des espaces étudiés. C’est dans cette logique que nous proposons de faire un point sur la situation historique du Québec en relevant principalement les éléments qui nous permettront d’aborder les grandes problématiques littéraires et les enjeux identitaires qui ont prévalu à ses choix, ses engagements. Les premiers européens à mettre le pied en terre canadienne sont vraisemblablement des Basques qui, avant le XVIe siècle s’étaient aventurés assez loin en amont du fleuve SaintLaurent pour y chasser la baleine (certains documents suggèrent la présence plus précoce encore de Phéniciens au VIe siècle avant J-C ou celle de moines irlandais au IXe siècle). Les premières expéditions françaises atteignent le Canada au XVIe siècle. En 1534, le navigateur Jacques Cartier débarque à Gaspé où il prend possession des terres au nom du roi de France. Les Anglais ont quant à eux, également pris possession de terres au Canada par l’intermédiaire de Giovanni Cabotto en mai 1494. Par la suite, les premières expéditions anglaises et françaises se livrent à l’exploration des terres à la recherche de bois et de fourrures et on assiste aux premières luttes entre Anglais et Français pour la domination du territoire. Cartier effectue plusieurs voyages entre juillet 1534 et octobre 1535. Il découvre les terres jouxtant le Saint-Laurent, la ville de Stadaconé (actuellement ville de Québec), l’île aux coudres et Hochelaga (actuelle ville de Montréal). À cette époque, bien qu’il prenne officiellement possession des terres au nom du roi de France, le navigateur se heurte aux populations indiennes qui refusent de céder leurs terres à ces envahisseurs. Le dialogue est néanmoins possible et la conquête se poursuivra lors des années suivantes. C’est en 1608, lors de l’expédition du navigateur Pierre de Gua que Samuel de Champlain, son cartographe fonde la ville de Québec (« là ou le fleuve se rétrécit » en algonquin). La fondation de la ville est à l’origine du premier établissement permanent de la colonie française en Amérique du Nord. Les débuts de cette colonisation sont relativement timides, sur les 28 hommes que compte l’expédition, 20 d’entre eux meurent au cours de l’hiver. Néanmoins, cette initiative ouvre la voie de l’immigration française et le début de la colonisation comme le rappelle Marc Durand dans son Histoire du Québec : En 1608, Champlain fonde Québec au confluent du Saint-Laurent et de la rivière Saint-Charles, préludant ainsi aux premiers flux d’immigrants. Jusqu’en 1660, ceux-ci en provenance en majeure partie de l’Ouest français, sont certes poussés par l’esprit d’aventure mais, bien souvent en proie à la misère, sont désireux de posséder une terre. Nobles, agriculteurs, bourgeois s’implantent ainsi en Nouvelle-France8 . Ce qui marque les débuts de la colonisation est donc avant tout la nécessité matérielle de la possession des terres. Les richesses du pays, essentiellement bois et fourrures, offrent une perspective attrayante pour ces Français fuyant l’Europe et sa misère, et c’est dans un but commercial que se fondent la plupart des importants foyers de la colonie : La traite des fourrures est à l’origine même des premières cités de NouvelleFrance. Tadoussac (en 1600), Québec (en 1608), Trois-Rivières (en 1634) ont tout d’abord été des points de rencontre avec les Indiens pour le commerce des fourrures9 . Très vite, les hommes de Champlain doivent donc faire face aux populations indiennes. La rencontre avec les Algonquins s’avèrera essentielle pour la survie des colons pendant la rude phase de l’hiver (le nom même de la ville de Québec atteste de cette collaboration entre les peuples). Mais les populations indiennes comptent plusieurs tribus qui ne sont pas toutes favorables à la présence de l’homme blanc. Confrontés à une farouche résistance, les colons sont contraints de s’engager dans une véritable guerre contre des populations amérindiennes (Hurons, Iroquois). En 1609, les Français signent une alliance avec la tribu des Hurons. Les Iroquois de leur côté restent farouchement opposés à l’invasion française. La colonie française compte à cette époque encore très peu de sujets. C’est au cours des années suivantes que va s’accélérer le processus de peuplement et que de nombreux religieux, défricheurs, agriculteurs vont s’installer durablement sur les terres de la colonie :
La fin de la Nouvelle-France (1754-1763)
En 1754, la situation de la colonie française reste très délicate par rapport à son concurrent anglais. Comptant 55 000 habitants contre 1 500 000 du côté anglais, la France se trouve en situation de nette infériorité et risque de perdre les acquis qu’elle a pourtant réussi à défendre jusqu’alors. Au cours du XVIIIe siècle, la couronne britannique prend peu à peu conscience de la nécessité de diminuer l’influence de la France au Canada en vue d’accroître le profit de son commerce. Confortée dans sa supériorité numérique et financière, l’Angleterre décide de procéder à une « offensive totale » au Canada. 30 000 hommes sont envoyés dans la vallée de l’Ohio, les Français perdent alors un certain nombre de terres conquises au Sud notamment les forts Duquesne (rebaptisé Pittsburg, en l’honneur du ministre anglais William Pitt), Frontenac et de Louisbourg. Les Anglais parviennent sur l’île d’Orléans (située en face de la ville de Québec) le 17 juin 1759 et commencent le siège de Québec. L’année 1759 est particulièrement rude pour les deux camps. Privés du soutien de la métropole, abandonnés par les sauvages anciennement alliés désormais neutres, et affaiblis 26 par la disette qui marque l’année de 1759, les Français ont du mal à résister. Les 1er juillet et 19 septembre, les Anglais parviennent à pénétrer aux portes de la ville et bombardent les maisons des commerçants situées sur les berges du fleuve. Dans la nuit du 12 au 13 septembre, sous le commandement du général Wolfe, et aidé par un habitant de la ville, les Anglais tentent de prendre la ville à revers. Au petit matin, les troupes anglaises sont positionnées sur les plaines d’Abraham, à une centaine de mètres à peine du château de Frontenac. Prévenu dans la nuit, le général de Montcalm réunit près de 4 000 hommes pour contrer la percée britannique. La bataille ne dure pas plus d’une heure et s’achève par la victoire des Anglais. Cette bataille, qui voit mourir les généraux des deux camps, scelle à jamais le sort de la colonie française qui capitule dans la journée. Malgré quelques tentatives françaises de reconquête et une victoire importante le 20 avril 1760 dans la ville de SainteFoy, les Français sont contraints de se soumettre à l’occupant. Québec capitule officiellement dans la nuit du 17 au 18 septembre 1759. Montréal résistera jusqu’en 1760 et le 8 septembre Vaudreuil, alors gouverneur général, signe la capitulation générale. La France est officiellement battue au Canada et les Canadiens francophones doivent alors se plier aux conditions de la couronne britannique. Dès les lendemains de la capitulation, les francophones s’engagent dans une véritable lutte pour leurs droits et tentent de recouvrer et d’affirmer leurs libertés civiles et religieuses. Progressivement, ils parviennent ainsi à bénéficier de la part du pouvoir britannique d’un certain nombre de privilèges et de libertés. Désireux de se livrer à une politique d’assimilation, les Anglais de leur côté concèdent alors aux francophones la plupart de leurs libertés religieuses et civiles. Reconnaissant aux Français la pleine possession de leurs propriétés et le libre exercice de la religion catholique, ils entrent alors dans une véritable phase de collaboration avec les habitants. Étant en mesure de conserver ces libertés qui les définissent en tant que peuple, convaincus qu’ils ne risquent pas la déportation, et soulagés de voir le gros des troupes anglaises quitter la Nouvelle-France, les Canadiens français acceptent cette collaboration avec le pouvoir britannique et commencent progressivement la reconstruction des villes. Dans l’organisation de la ville et le maintien de la sécurité, les Canadiens français ne sont pas écartés et sont en mesure de participer : C’est ainsi que les capitaines de milice canadiens français sont chargés de maintenir le bon ordre à Montréal, Trois-Rivières et dans toutes les paroisses. Dans l’administration de la justice, le haut personnel est tout entier anglais, mais le personnel auxiliaire, à Québec, ou les présidences de cours de première instance, à Montréal ou Trois-Rivières, sont également canadiens-français. Les lois civiles françaises furent maintenues pour les 27 litiges d’ordre civil, et la plupart des jugements des tribunaux de ce « régime provisoire» furent rendus en français. Le général britannique Amherst s’efforça de développer la bonne entente entre troupes d’occupation et « habitants ». Les Canadiens eux-mêmes, clergé, bourgeois, capitaines de milice redirent hommage à leurs premiers administrateurs britanniques. En revanche, le commerce canadien-français traditionnel était décapité14.
Une nation canadienne
En 1791 sont instaurées des institutions parlementaires représentatives. Le Canada est alors divisé en deux : le Haut Canada (qui correspond à l’actuelle province de l’Ontario et qui se trouve être majoritairement anglophone) et le Bas Canada (qui correspond à l’actuelle province de Québec et se trouve être majoritairement francophone). Le fonctionnement de la vie institutionnelle du Canada régie par des Chambres d’Assemblée devient alors favorable aux Canadiens français qui se trouvent être majoritaires dans celle du Bas Canada. Désormais acteurs à part entière du pouvoir législatif, les Canadiens francophones parviennent à défendre leurs droits, leur religion, leur culture et leur langue. La survie de la culture française au Canada a été rendue possible grâce à sa situation démographique, un fort taux de natalité d’une part et une certaine homogénéité de la société d’autre part : La population canadienne-française échappa sans doute à la politique d’assimilation des Anglais grâce à son regroupement homogène dans un monde rural bien différencié du monde urbain occupé par les Canadiens anglais19. Depuis les débuts de la colonie, la famille traditionnelle canadienne-française est une famille nombreuse. On compte en moyenne une dizaine d’enfants par ménage voire plus. Il n’est pas rare de trouver des familles avec une quinzaine d’enfants. Cette forte natalité perdure et s’accentue même à partir du milieu du XVIIIe siècle. Privés d’une partie de leurs 19 Marc Durand, Histoire du Québec, op. cit., p. 54. 30 territoires, inquiétés par le nombre important d’Anglais, que l’immigration des « loyalistes » réfractaires à la Révolution américaine est venue grossir, les francophones se livrent à ce que l’on a appelé par la suite : « la revanche des berceaux ». Cette forte natalité est également largement encouragée par les autorités religieuses qui y voient un moyen de renforcer l’influence de la religion catholique et d’augmenter le nombre de croyants. L’industrie forestière s’est plus largement développée dans le Bas Canada à partir du début du XIXe siècle. Profitant du blocus continental décrété par Napoléon en 1806 et 1807 et de l’embargo américain de décembre 1807 contraignant la Grande-Bretagne à abolir les droits d’entrée sur les bois coloniaux, les Canadiens francophones ont eu la possibilité d’exploiter ces ressources et ont profité d’un avantage sur le Haut-Canada. Relativement empêchés dans les autres types de commerce, les habitants de la province de Québec se sont spécialisés dans la traite du bois. Cette nouvelle configuration des échanges commerciaux a donc permis l’émergence de nouveaux métiers en Bas-Canada et de nombreux francophones sont ainsi devenus draveurs, bûcherons ou menuisiers. Cette époque cristallise les caractéristiques de la société francophone de la province de Québec. Les autorités ecclésiastiques étendent leur influence sur les institutions et confirment leur omniprésence dans la plupart des secteurs de l’éducation, de la santé et du pouvoir. La morale catholique façonne fortement les mentalités des habitants de la province. Dictant des modes de conduite, imposant force valeurs et comportements, l’autorité religieuse garantit la survie de la culture francophone et de la langue française. Très réfractaire aux apports culturels extérieurs, l’Église condamne les mariages avec des membres de la communauté anglophone et tente d’interdire autant que faire se peut les échanges avec la France métropolitaine, craignant l’influence des idées progressistes qu’elle véhicule. De son côté, le pouvoir britannique accentue cette distance entre le Québec et la France en interdisant les échanges. Ce repli identitaire, avec des nuances bien entendu, perdurera jusqu’au milieu des années 1960 et sera à l’origine de cette « grande noirceur » qui caractérise le régime de Maurice Duplessis. Dans le domaine de l’éducation, l’influence de la religion est particulièrement prégnante. De fait, les autorités ecclésiastiques sont également réfractaires aux idées révolutionnaires. De nombreux Français, nostalgiques de l’Ancien Régime et de la monarchie et refusant les nouveaux préceptes de la révolution vont se réfugier au Québec. Cette arrivée massive des membres les plus traditionalistes de la métropole accentue l’autarcie caractéristique de la province de Québec et renforce un pouvoir religieux aux idées 31 conservatrices. De plus, du fait de la Révolution française et du refus de ses valeurs, les autorités religieuses vont alors soutenir l’Angleterre contre la France. La bataille de Trafalgar est célébrée dans la liesse à Montréal en 1808, ce qui montre l’attachement de la société québécoise à l’Angleterre. La société québécoise du XIXe siècle est également caractérisée par une importante homogénéité sociale. Les différentes classes se trouvent dans une relation de relative proximité et le système ecclésiastique fait de la classe paysanne un modèle de référence. Le début du XIXe siècle est également marqué par de profonds bouleversements de la vie parlementaire. La bourgeoisie francophone, qui parvient à s’imposer dans les débats de l’Assemblée, exprime de nouvelles revendications, différentes de celles habituellement proposées par la classe des marchands traditionnellement majoritaires. La laïcité gagne progressivement cette élite et, à partir de 1820, cette élite bourgeoise francophone plus proche du peuple et de ses préoccupations se donne le nom de « patriotes ». L’idée d’une indépendance du Canada commence à s’imposer chez ces parlementaires et finit par séduire la majorité de l’Assemblée du Bas-Canada. Inspirés par les grands textes juridiques (l’exemple de la constitution américaine, L’Esprit des lois de Montesquieu, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et par les vagues de guerres et d’insurrections nationales européennes (Irlande, Pologne et Italie), les Canadiens francophones deviennent alors sensibles à l’idée d’une libération nationale.