Le projet théâtre à l’école (CM1)
Mettre les élèves en projet
La pédagogie du (par?) projet Dès le début du XXème siècle, puis en force dans les années 60-70, la notion de pédagogie du projet se développe et s’impose dans le paysage de l’enseignement. En France, on rencontre le terme de « projet » de plus en plus souvent, et pour commencer dans le Bulletin Officiel de 08 : « Cette souplesse nouvelle [de la grille horaire hebdomadaire des disciplines] permettra aux enseignants et aux équipes d’école d’organiser l’enseignement de façon globale et éventuellement transversale, en fonction de projets simultanés ou successifs et de blocs horaires adaptés et variables selon les semaines ou les mois. ». Cette souplesse permet ainsi aux enseignants d’organiser leur enseignement en projet, afin notamment d’exploiter la transversalité des apprentissages. Mais si on parle ici des projets de l’enseignant, il est intéressant de considérer les projets du point de vue des élèves. Il s’agit de l’idée que ces derniers, sous l’impulsion de l’enseignant, doivent apprendre à travailler en projet ; on retrouve cette idée au sein même du socle commun de connaissances et de compétences défini par le décret du 11 juillet 06 ; ainsi on a, dans la compétence 7 – L’autonomie et l’initiative- des deux paliers de l’école primaire, « travailler en groupe, s’engager dans un projet » (premier palier), et « s’impliquer dans un projet individuel ou collectif » (deuxième palier). De plus, en pleine refonte de l’école, il me semble pertinent de souligner que l’on retrouve ce terme dans le nouveau projet de socle commun. En effet, on y parle également « de la conduite de projets individuels et collectifs ». On constate donc que cette notion de projet s’est installée dans les objectifs et les moyens à exploiter par les enseignants d’aujourd’hui. Cependant, bien que présente, l’idée de projet demeure discrète et peu développée dans les textes officiels. Si l’on en comprend que les élèves doivent se retrouver dans des situations de travail en groupe et/ou d’engagement dans un projet, pourquoi pas pluridisciplinaire, il n’est nullement précisé dans quelles conditions doit s’exercer cette implication. Si la plupart des spécialistes de l’enseignement s’accorde à dire 5 que la pédagogie du projet est utile, efficace et innovante -par rapport à l’enseignement frontal-, il existe un grand nombre de types de projet différents, et dont les variables d’objectifs, de mise en place et de conduite conditionnent l’efficience de ceux-ci. Nous allons donc exposer les caractéristiques de cette pédagogie, puis nous tenterons d’en définir les enjeux, mais aussi ses limites. Avant de commencer, il me paraît essentiel de rappeler ce qu’est la pédagogie, avant de définir plus particulièrement la pédagogie du projet. De façon simplifiée, la pédagogie rassemble les méthodes et pratiques d’enseignement et d’éducation utilisées pour transmettre connaissances, capacités et attitudes. On peut en déduire que la pédagogie de projet détermine ce dernier comme une méthode d’enseignement, un outil aux services des apprentissages. Mais quelles caractéristiques du projet font de lui un outil utile et efficace pour l’apprentissage des élèves ? « Ce que l’on a l’intention de faire, plan. » Voilà la définition du projet que nous donne le Petit Larousse illustré. Il y a donc l’idée de but à atteindre dans le futur, mais également de chemin pour atteindre ce but, dans le terme de « plan ». D’ailleurs, l’origine latine du mot « projet » (projicio) renvoie à l’idée de « jeter en avant », ce qui implique un point de départ, un point d’arrivée et le trajet entre les deux. Il s’agit là d’une image simplifiée de ce qu’est un projet, mais elle permet de saisir les différents aspects de la notion : l’intention que l’on a au départ, la planification pour atteindre le but, et le produit final du processus. Voici un schéma illustrant cette idée : Tout d’abord, on peut souligner le rapprochement qu’il convient de faire entre l’intention initiale et le produit final ; la planification et son déroulement peuvent expliquer les différences ou au contraire les concordances qu’on pourrait observer à la fin du projet entre les deux, l’anticipation sur le futur étant toujours soumise aux aléas du présent, notamment quand il s’agit d’un projet en classe entière, où les contraintes de temps et la dimension humaine nécessitent une adaptation de tous les instants. 6 Projet Intention Produit final Processus Ensuite, il s’agit de définir si l’intérêt d’un projet réside dans sa finalité, ou bien dans le processus dans lequel il engage les acteurs concernés. On retrouve cette tension évoquée par Philippe Meirieu entre la production et la formation par le projet. Il me semble que l’enjeu, pour l’enseignant, réside dans l’équilibrage entre ces deux aspects, l’un n’allant pas sans l’autre. En effet, d’un côté il y a le but, la visée du projet, l’objectif à atteindre que l’on se fixe au départ et qui détermine, de l’autre côté, tout le processus qui va être engagé pour y arriver. Cette articulation dépend des enjeux du projet mis en place, que nous verrons tout à l’heure, mais nous avons déjà une première piste quand à l’intérêt du projet : il s’attache autant aux résultats des élèves qu’au chemin parcouru par ceux-ci pour y arriver, ce qui souligne son aspect formateur pour et par les élèves. C’est pour cela que l’on emploiera par la suite l’expression « pédagogie par projet » et non plus « pédagogie du projet », la préposition « par » évoquant plus cette idée de démarche d’apprentissage. Revenons maintenant à l’intention initiale du projet ; c’est le point de départ du processus, cette « projection » sur le futur. La question qui se pose alors est la suivante : qui est à l’origine de cette intention ? Ou plus simplement, qui propose le projet ? Cette question peut sembler secondaire, mais elle définit, à mon sens, la place de chacun pour l’ensemble du processus. Encore une fois, il existe différentes écoles quant à l’instigateur du projet, mais que ce soit selon Francis Tilman, le collectif Morissette-Périsset ou Catherine Reverdy, il est essentiel que ce soit les élèves qui soient à l’origine du projet, aussi bien pour l’idée initiale que dans les moyens à mettre en place pour la concrétiser et mener le projet à bien. Bien évidemment, l’enseignant doit proposer une situation permettant à la classe d’imaginer des projets, mais pour qu’il y ait une réelle implication de la part des élèves, l’idée doit venir d’un consensus entre eux. C’est le principe de la pédagogie par projet : l’idée de rendre les élèves actifs dans leurs apprentissages, en recentrant l’enseignement sur l’élève et non plus sur l’enseignant. Comme le dit Louis Not, il s’agit d’un « mode contractuel de gestion de l’acte de formation » où le sujet est à la fois apprenant et enseignant, c’est-à-dire acteur de ses 2 apprentissages mais toujours accompagné dans ce processus. Ainsi, quand l’idée d’un projet émerge d’un enseignant ou bien d’un équipe pédagogique, il est nécessaire de prévoir une phase d’appropriation du projet par les élèves pour ne pas le leur imposer ; les lancer dans un projet déjà établi pourrait nuire à leur implication dès le démarrage de celui-ci. La pédagogie par projet implique donc l’appropriation par les élèves de tout le processus, en commençant par le choix de mettre en place un projet en classe, et de le définir.
Les enjeux de cette pédagogie
Nous avons rapidement abordé un premier enjeu, celui de rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages. En effet, cela correspond à tout un courant de la pédagogie appelée pédagogie active, dont Freinet et Montessori relèvent entre autres. Sans refaire toute l’argumentation en faveur de cette pratique, nous sommes aujourd’hui dans une époque où, au delà des savoirs, les capacités de réflexion, d’argumentation, de compréhension autour des apprentissages à l’école ont une place prédominante dans les compétences à acquérir par les élèves. Ainsi, en les incluant dans le processus d’apprentissage, et en leur donnant les moyens de maîtriser, en plus des connaissances, les capacités et attitudes engagées, nous formons des élèves capables d’affronter des situations problématiques du quotidien. Pour cela, il convient de placer chaque élève dans une situation problématique proche de sa zone proximale de développement , pour lui permettre de se mettre en recherche et d’apprendre par lui-même, 3 aidé si besoin est par l’enseignant. Pour simplifier l’idée de Vygotski, l’élève « apprend par lui même », c’est-à-dire qu’il modifie ses représentations ou en assimile de nouvelles en se confrontant à des situations complexes qui nécessitent une certaine activité cognitive pour pouvoir déclencher le processus. L’élève n’est donc plus passif vis à vis des apprentissages, il se retrouve au coeur du processus, son désir d’apprendre étant engagé dans cette démarche d’enseignement. En travaillant dans cette optique, la pédagogie par projet peut permettre de transformer le regard de l’élève sur l’école. Cet enjeu, qui me semble central, peut s’avérer particulièrement crucial pour les élèves les moins scolaires. En effet, ces derniers, pour qui l’école relève de la pure contrainte et pour qui l’intérêt du travail n’est pas visible, peuvent trouver dans cette démarche de nouvelles raisons « d’aimer l’école ». Il ne s’agit pas pour autant d’un remède miracle ; il ne suffit pas de placer ces élèves dans un projet pour les voir actifs et motivés. Cependant, leur offrir un nouveau contexte de travail, différent, avec une échéance, des tâches particulières, des responsabilités… peut leur redonner l’envie d’apprendre, les raccrocher au travail scolaire, et pourquoi pas leur permettre par la suite de transférer cette implication dans toutes les autres formes de travail à l’école. Pour cela, le projet se doit d’être motivant, assez complexe et ambitieux pour susciter leur réflexion, mais « ZPD », notion développée par Lev Vygotski qui détermine la zone d’apprentissage possible de l’enfant, entre 3 ce qu’il peut apprendre seul et ce qu’il ne peut apprendre qu’avec l’aide d’une personne plus experte. 8 s’appuyant également sur des compétences déjà acquises pour qu’il leur soit accessible au départ. Les impliquer dans le travail scolaire peut modifier l’idée qu’ils ont de leur place à l’école ; ils n’ont pas à « subir » l’enseignement du maître contrairement à ce qu’ils pensent, mais sont invités à prendre part à cet enseignement, à partager leurs idées, leurs questions, leurs doutes, pour construire, à l’aide de l’enseignant et des autres élèves de la classe, leurs nouvelles connaissances, ce que la pédagogie par projet peut permettre de faire. La motivation est, quant à elle, un enjeu à part entière du projet, bien qu’elle ne suffise pas à elle-seule à maintenir impliqués les élèves. En effet, il s’agit du premier ressenti que l’on a quand on parle d’un projet en classe : publier un journal, écrire un livre, présenter un spectacle, etc., sont des idées qui, la plupart du temps, plaisent aux élèves et les motivent pour le travail. Cependant, selon la durée du projet (un mois, une période, un trimestre voir une année), son aspect attractif ne peut suffire à les maintenir intéressés tout du long. Si elle est un bon déclencheur, la motivation première doit s’accompagner de l’appropriation du projet par les élèves, ce dont on a déjà parlé et qui rejoint l’idée qu’ils doivent être les acteurs de la démarche. On peut donc dire qu’il s’agit d’un bon moyen de provoquer l’adhésion de la classe à un but commun, ce qui débouche sur un autre enjeu du projet, la cohésion du groupe. En effet, si un projet commun est décidé, il va être question de collaboration, de coopération, de répartition des tâches pour atteindre le même objectif. Cela peut permettre l’intégration de chacun au sein du groupe classe et la construction du sentiment d’appartenance à ce groupe, favorisant ainsi un bon climat de classe. Contrairement à la réalisation individuelle d’un exercice, ou celle d’un exposé en binôme, la réalisation d’un projet en classe entière induit la création de liens entre tous les élèves, individuellement ou en groupe, et provoque de nouveaux échanges qui autrement n’auraient peut-être pas lieu. À partir de cela, on imagine bien à quel point les apprentissages dans le domaine de l’instruction civique et morale vont être prédominants ; il va s’agir d’intégrer « les émotions démocratiques » comme les définit Martha Nussbaum dans son livre Les Émotions démocratiques, c’est-à-dire de travailler et favoriser l’empathie, la fraternité, l’acceptation de l’altérité, mais aussi tous les enjeux du travail de groupe, responsabilités, partage des tâches, écoute, organisation, prise de décision collective… L’idée de « consensus » est soulignée dans l’ouvrage du collectif Morissette-Perusset (Vivre la pédagogie du projet collectif, Montréal, 9 Les Editions de la Chenelière, 00, p25), le groupe devant prendre des décisions ensemble en gardant toujours à l’esprit le but final. Toutes ces capacités sont celles de la vie en collectivité, qui, si elles sont déjà travaillées naturellement à l’école, sont mises en exergue dans la pédagogie par projet et en constitue un des grands enjeux. Si ce domaine de l’instruction civique et morale est forcément abordé dans le travail autour d’un projet, rappelons que celui-ci sous-entend la transdisciplinarité avec des compétences réinvestissables dans tous les domaines, mais aussi la pluridisciplinarité avec le croisement de plusieurs domaines, notamment le français (le langage avec le vocabulaire, l’expression orale), ainsi que le ou les autres domaines concernés par le projet. Ainsi, plutôt que d’envisager chaque domaine séparément et d’ancrer dans l’esprit des élèves que rien n’a de lien, la pédagogie par projet permet de donner du sens aux apprentissages en réinvestissant des compétences acquises dans divers domaines dans une même finalité. La maitrise des opérations peut, par exemple, leur permettre de calculer le nombre d’exemplaires qu’il leur faudra imprimer pour leur journal, les compétences en TICE de réaliser la mise en page de leur livre, ou encore le fait de savoir exprimer corporellement des sentiments en EPS, d’interpréter un rôle dans une pièce de théâtre… Les élèves constatent donc que les apprentissages faits en classe peuvent être utiles à autre chose qu’à faire des exercices, modifiant ainsi leur idée sur l’utilité de l’école à nouveau. À travers ces différents enjeux, il apparait évident que le rôle de l’enseignant est primordial dans la mise en place de tout le processus. Il est le garant de tous les enjeux cités précédemment, et c’est son positionnement et le cadre qu’il va instaurer qui permettront ou non l’acquisition par les élèves des compétences visées par le projet choisi. Il se doit de guider, d’accompagner les élèves dans le processus, de maintenir leur implication en variant et complexifiant les modalités et tâches à faire, s’assurer du travail de chacun, et offrir des conditions d’apprentissage adaptées aux possibilités de chacun. On retrouve l’articulation qu’il se doit de faire entre l’intention (le produit final imaginé), et le chemin à parcourir pour l’atteindre, en laissant le temps aux élèves d’y parvenir, et de s’approprier les différentes étapes. Nous avons donc vu que la pédagogie par projet porte un grand nombre d’enjeux mais peut aussi susciter des difficultés d’organisation. Cependant, bien conçu et bien guidé, il peut 10 s’avérer vraiment bénéfique pour une classe. Nous allons maintenant voir ce qu’il en est d’un type de projet en particulier : le projet théâtre.
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