Le projet en territoire à risque d’inondation, un terrain pour la réalisation des aspirations des habitants

Des projets urbains marqueur d’échelle

Si les enjeux écologiques et les changements climatiques, considérés comme des risques potentiels, se jouent à l’échelle mondiale, des variables locales d’ajustement participent de leur prise en compte (gestion des déchets, transports, limitation de la production des gaz à effet de serre…).
Le bassin versant, nous l’avons vu, est l’échelle la plus couramment admise et la plus pertinente pour gérer le risque d’inondation.
C’est également à des échelles inférieures que se joue la gestion du risque d’inondation«opérationnelle», son intégration dans le projet au moyen d’un marqueur du risque sur le territoire.
Nous avons déjà évoqué le fait que la ville est d’une certaine façon responsable des risques qu’elle génère elle-même (chap. 1.3) Au niveau du réchauffement climatique notamment, la ville apparaît pour F. Rudolf . Mais F. Vinet dit aussi que ce qui ne relève pas du contrôle de l’aléa peut être mis en oeuvre et géré hors du bassin versant. Notre propos est en effet d’aborder la gestion du risque sous l’angle de la vulnérabilité à travers l’aménagement urbain . 110 le lieu « des enjeux mobilisés par les changements climatiques » et par conséquent, l’échelle où se joue le problème. Si comme nous l’avons dit, le lien entre les activités humaines et l’accroissement des températures est extrêmement probable 111 et que l’augmentation constatée de l’ampleur et la fréquence des phénomènes climatiques (épisodes pluvieux en particulier) en est pour partie la conséquence, alors la ville pourrait également être l’échelle cohérente de réalisation de la gestion du risque et le projet urbain son moyen politique intégrée contre les crues. Pourtant, il est difficile de fédérer autour d’un espace qui n’est pas identitaire même si l’on parle aujourd’hui de «solidarité de bassin versant» 114. Aussi Dourlens insiste sur la difficulté des populations à s’identifier à un bassin versant: « l’identité collective autour de l’entité naturelle ne s’impose pas de manière spontanée mais doit, au contraire se construire ». A cette échelle, les aménagements prennent en compte les espaces urbains mais aussi les espaces naturels et cultivés et touchent les pratiques agricoles, l’entretien des cours d’eau (berges et lit mineur), la gestion de l’amont, de l’aval, zone d’expansion de crue et ont effectivement peu à voir avec un projet urbain tel que nous l’entendons. Dourlens 115 oppose la concrétude de l’étude historique des crues, identifiable par les lieux et ouvrages touchés, à une simulation mathématique intéressant l’ensemble d’un bassin. L’auteur souligne encore la dimension abstraite de cette échelle. Pourtant, le fonctionnement du bassin versant renseigne sur de nombreux indicateurs concernant l’eau (flux, état sanitaire, pénurie, pollution…). Aussi, en tant que ressource naturelle subissant une forte pression dans un contexte de réchauffement des températures à l’échelle mondiale, elle est susceptible d’intéresser les populations. De ce point de vue, les mécanismes hydrologiques ainsi que la gestion de l’eau peuvent correspondre à une aspiration à une meilleure connaissance par les habitants vis-à-vis d’une ressource à la fois globale et locale.

L’échelle de la parcelle

La construction en zone inondable semble désormais une chose acquise comme le prouve le lancement en octobre 2016 du second Grand Prix de l’aménagement adapté aux terrains inondables constructibles par les ministères de l’Écologie et du Logement. L’ouvrage Atout risque recueille différentes expériences issues de cette démarche.
La mise en oeuvre à l’échelle d’un quartier se traduit à la parcelle par des choix constructifs spécifiques, la mesure est celle du bâtiment, de la cour, du jardin. L’habitant propriétaire ou locataire du logement y vit un rapport intime à l’espace où s’exprime une différentiation nette avec le dehors, le quartier précédemment évoqué. Le rapport au risque d’inondation, la montée des eaux s’y expriment de façon plus forte. L’habitat ou encore le logement, la maison, revêt une dimension identitaire pour G. Bachelard 130 qui lui consacre un ouvrage dans lequel il décrit la demeure comme le lieu de l’inconscient et de l’imaginaire. La survenue d’une inondation perturbe d’une certaine façon un équilibre interne. Il en va de l’intégrité de soi-même et du logement comme refuge. Dès lors, l’aspiration à la sécurité estplus manifeste, elle devient un impératif davantage qu’à une autre échelle, puisqu’elle touche à l’«habiter» au plus proche.

L’échelle de l’ouvrage ou du détail

On ne peut parler de projet et d’échelles sans parler du détail. Ici nous évoquerons brièvement les moyens de mise en oeuvre à disposition des concepteurs visant une bonne gestion de l’eau. De nouvelles techniques dites «alternatives» procèdent en effet à l’inverse de la systématique et dommageable imperméabilisation des sols. Dans son Guide de gestion du risque inondation constitué de fiches-outils, l’ouvrage de F. Rudolf donne quelques exemples d’ouvrages favorisant l’absorption rapide de l’eau ; chaussée réservoir, puits d’infiltration, tranchée d’infiltration ; ainsi que des dispositifs où l’eau vient irriguer des surfaces végétalisés dans une mise en scène davantage paysagée : fossés, noues, bassin de retenue, toit végétalisé stockant. Heidegger affirme que « nous bâtissons et avons bâti pour autant que nous habitons» (chap 1.1.1), nous voyons dans cette affirmation une illustration directe de l’«habiter» et de l’aménagement en tant qu’investissement du sol. Dans cette phrase il entend que nous habitons avant de bâtir. Il semble donc qu’il y ait au préalable de l’acte de bâtir celui d’«habiter» : nous bâtissons parce que nous habitons. Ce qui signifie qu’en tant qu’habitant nous décidons et projetons de bâtir. Cet acte est donc un acte réfléchi, contextuel et marqué par notre expérience, voire notre choix d’habiter.
Nous pouvons en déduire qu’il n’est pas anodin, et de là qu’il procède d’une connaissance du territoire et d’intentions spécifiques à son endroit. En tant que caractéristique d’un territoire, le risque d’inondation relève à la fois de la connaissance et de sa prise en compte. Le projet en territoire à risque comme nous l’avons vu doit procéder d’une connaissance – à travers la culture du risque notamment – et fonctionner comme un marqueur de territoire. A cet égard nous pourrions reformuler la phrase de Heidegger ainsi : «nous marquerons nos projets dans le territoire pour autant que nous habitons des territoires à risque».

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Des projets urbains marquages de temps

Comme le rappelle A. Arnaud, le risque est étroitement

Des projets marquages de social

Si le risque d’inondation se déploie en trois temps, ceux-ci se ressentent également dans le vécu de la population de façon distincte. Si le temps long d’avant la catastrophe est propice à une culture du risque sous toutes ses formes, l’inondation et la mise à l’épreuve des populations implique l’urgenced’une organisation où l’entraide entre les habitants et le soutien des pouvoirs publics se mettent en place. L’après catastrophe, qui peut être divisée en deux temps : 1/post-crise et gestion de l’urgence (rétablissement immédiat des infrastructures) et 2/temps du recul et de la réflexion, temps de la reconstruction. Ce dernier est sans doute la période la plus favorable pour repenser les aménagements et élaborer de nouveaux projets comme de nouvelles stratégies. D’un point de vue financier, l’indemnisation issue de la solidarité nationale peut s’avérer une opportunité pour mieux équiper localement les régions sinistrées  . C’est à ce moment que se pose la question de la nature de la reconstruction. Si la reconstruction se limite souvent à refaire à l’identique, ce temps.

Deux exemples de projets intégrant les aspirations des habitants et le risque d’inondation

Le Parc des Aygalades à Marseille

Contexte

Le futur parc des Aygalades fait partie du périmètre d’Euroméditerranée 2 arrêté en 2007 au nord d’Euroméditerranée 1. Le site en bordure du littoral comprend des quartiers délaissés marqués par la présence d’infrastructures industrielles et de transport avec notamment la gare du Canet sur laquelle viendra s’installer le parc.

Gestion du risque inondation

Deux facteurs de risque inondation seront pris en compte dans le parc des Aygalades: le débordement du ruisseau et le ruissellement urbain provoqué par des précipitations importantes.
La ville de Marseille souhaite se prémunir contre une crue centennale. Le vallon des Aygalades recueille prend sa source sans le massif de l’Etoile et traverse le parc en étant par endroit canalisé au droit des infrastructures (gare du Canet, tunnel du métro, viaduc, voirie). Alors que le projet du parc au nord prévoit une remise à l’air libre complète du ruisseau laissant la place à des inondations des berges ponctuelles (d’une durée d’un ou deux jours), la cote du ruisseau enterré au niveau du parc de Bougainville permet pas de s’abstraire des murs latéraux qui font office de soutènement.

Le processus de concertation mis en place pour le parc de Bougainville

La démarche se veut un processus de co-construction de projet 

La première phase de concertation a débuté en mars 2016 et se déroule en deux temps: d’abord pour les aménagements provisoires et ensuite les aménagements définitifs. Une démarche d’animation est mise en place avec une balade de «diagnostic en marchant», des ateliers et un forum public permettant d’associer plus largement la population.

Les aménagements littoraux à La Rochelle

Contexte

La tempête Xynthia en 2010 a amené les communes du littoral charentais à se questionner sur les ouvrages de protection qui a aboutit au Plan Digues. Dans ce cadre, la ville de la Rochelle est entrée dans une phase de chantiers en divers lieux où la problématique de mise en sécurité par la gestion de la montée des eaux s’accompagne d’une réflexion sur le paysage urbain, les usages et une certaine culture du risque. Parmi ceux-là, le premier programme d’aménagement réalisé à la Rochelle, le protection du Gabut, est évalué à 10,5 millions d’euros et s’inscrit dans un PAPI prévu entre 2012 et 2017 et financé par l’Etat (40%), la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (20%), le département (20%) et la communauté d’agglomération de la Rochelle.
Ces aménagements sont pour la commune l’occasion d’engager une réflexion sur l’espace public dont les quais et les ouvrages maritimes. La démarche adoptée par les paysagistes vise à intégrer in-situ les ouvrages de protection au mobilier urbain, au revêtement de sol, afin de rendre le dispositif rapidement efficient en cas d’alerte d’inondation. Ils répondent également à une volonté de la commune de mettre en avant le paysage et le patrimoine singulier du port de la Rochelle en étant attentif aux usages. A cet égard, la prise en compte des activités touristique a imposé une pose au chantier durant la période estivale.

La mémoire du risque

De la même façon que le choix de secteurs inondables, la ville a décidé d’accompagner le début de la concertation sur le PAPI avec une opération de land-art, «les arbres bleus» pour entretenir la mémoire du risque. L’opération initiée en 2014 a été répétée cette année en 2017 car « le lait de chaux utilisé s’efface avec le temps, les intempéries, comme la mémoire » 146. Les rochelais ont été invités à peindre les troncs d’arbres jusqu’à la cote de février 2010 lors de la tempête Xynthia 147 . En effet, Le seuil retenu par le PAPI reprend cette côte à laquelle sont ajoutés, par précaution, vingt centimètres ce qui explique les deux bandes peintes en bleu sur les arbres.

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