L’historique du projet d’enseignement individualisé
Au début des années 60, la publication du Rapport Parent favorisait dans sa conception de la culture, la démocratisation de l’enseignement i.e. l’accès à l’école pour tous. Cette définition « de type quantitatif où la démocratisation se confond avec le développement de la scolarisation » incita le ministère de l’Éducation à s’engager, au niveau de l’enseignement secondaire, dans une vaste opération de construction d’écoles (Opération 55) et de mise sur pied de structures administratives et pédagogiques.
L’augmentation du nombre d’élèves de milieux socio-économiques divers plaça l’école devant des problèmes jusque-là inconnus dans le système public d’éducation: problèmes de motivation des élèves, de succès scolaires et d’efficacité de l’enseignement lesquels sont reliés au deuxième sens de la notion de démocratisation (selon Prost, 1986a) i.e. à la réduction des inégalités sociales. « Tous les élèves ne réussissent pas à acquérir au même rythme les savoirs et les savoir-faire requis par l’institution: l’échec scolaire en tant que problème social fait son apparition. » .
Ces difficultés n’étaient pas particulières au Québec. Les recherches macrosociologiques analysant les effets de la démocratisation de l’enseignement et relatées dans Sociologie de l’école de Duru-Bellat et van Zanten démontrent que la scolarité n’est pas toujours symbole d’augmentation des connaissances et que l’accessibilité de l’école pour tous n’a pas nécessairement diminué les différences de parcours scolaire et de réussite .
Dans son rapport annuel de 1969-70, le Conseil supérieur de l’Éducation souligne, qu’au cours des années 60, une première étape fondamentale de la réforme scolaire a été franchie, mais qu’une seconde étape tout aussi importante doit être amorcée. (… (La réforme scolaire à tous les paliers de l’enseignement a porté en grande partie sur le plan des structures( … ( et de l’organisation( … (. Quant aux valeurs et aux finalités proprement éducatives, à celles qui se rattachent aux expériences de l’activité éducative,( … ( il faut bien reconnaître qu’elles n’ont pas fait l’objet de réflexion approfondie .
Cette analyse rejoint la synthèse que Duru-Bellat et van Zanten feront des différents courants de pensée en éducation depuis le début des années 70: On a changé de paradigme puisqu’à la vision déterministe donnant le primat explicatif aux structures, on se situe dans un paradigme interactioniste donnant aux fins poursuivies par les acteurs une place essentielle puisque ce sont les acteurs et plus largement les processus qui produisent les structures.
C’est dans cette optique, qu’en 1972, le Service de Recherche et Développement de la Commission scolaire régionale de Chambly proposa au ministère de l’Éducation un projet d’enseignement individualisé qui se voulait une solution aux problèmes d’apprentissage et de réussite dans les polyvalentes, « une véritable réforme confiée non aux administrateurs, mais aux éducateurs et aux éduqués. » .
Individualiser l’enseignement, c’est connaître l’élève, son style cognitif, son caractère et ses possibilités, c’est cheminer avec lui un certain temps, à l’écoute de ses besoins et de ses problèmes, c’est lui proposer des défis à relever, des défis à sa hauteur.
Ce projet s’inscrivait dans« une réforme pédagogique rationnelle en conformité avec les impératifs d’une société nouvelle entransformation accélérée ». Il proposait une approche systémique, insistait sur la nécessité de baser la praxiologie sur une théorie scientifique renforcée par une solide formation des éducateurs et mettait en garde contre toute tentative d’improvisation dans la phase« implantation du projet». Pour réaliser l’individualisation de l’enseignement, on proposait la construction d’écoles à aires ouvertes« permettant une souplesse beaucoup plus grande dans l’utilisation des espaces » tout en précisant qu’il ne suffit pas seulement de disposer d’écoles à aires ouvertes pour espérer ériger un système éducatif nouveau et efficace. La construction d’aires ouvertes ne saurait se dissocier d’une réforme pédagogique en profondeur permettant l’implantation d’un nouveau régime d’apprentissage. « Les maîtres qui seront appelés à oeuvrer dans un tel système éducatif devront avoir reçu préalablement une formation adéquate. » Le projet de formation Oméga, cours de didactique introduisant à l’enseignement individualisé, avait un triple but:
• permettre aux maîtres de s’inscrire dans un processus de réforme pédagogique permanente et rationnelle;
• fournir aux maîtres les instruments indispensables à leur prise en main de la révolution pédagogique;
• revaloriser le rôle du maître au titre de professionnel de l’éducation.
Dans sa conception initiale, le plan Séducation (projet présenté au MEQ) présente donc un «système d’évolution permanente de la pratique éducative en structurant une opération globale de recherche et de développement appliquée et axée sur le vécu scolaire ».
Le projet d’individualisation des apprentissages dans une école à aires ouvertes, largement explicité dans le plan Séducation ne fut pas intégralement accepté par le MEQ. Dans sa lettre du 4 juin 1973, Monsieur Yves Martin, sous-ministre de l’éducation, souligne que: Le plan Séducation propose un modèle de développement d’un curriculum qui s’avère extrêmement intéressant tant de par sa logique interne que par son étendue. Il repose sur une conception de l’individualisation de l’enseignement dont les postulats doivent être examinés attentivement et les implications évaluées.
Les auteurs du plan Séducation avaient abouti aux mêmes conclusions, mais n’avaient pas prévu que faute de ressources, tant humaines que financières, le Service de Recherche et Développement devrait abandonner les domaines de la recherche fondamentale proprement dite et de la planification à moyen et long terme.
En 1974, la construction d’une école à aires ouvertes à Longueuil allait être mise en chantier et il devenait urgent« d’assurer un encadrement des éducateurs et des éduqués afin de leur procurer le nécessaire dans leur processus de changement ».
Le service de recherche proposa donc une démarche susceptible d’adaptation décrite dans le document Elan en janvier 1974: Nous avons opté pour l’apprentissage individuel, sans définir davantage les autres paramètres de cet apprentissage, laissant à chaque milieu particulier le soin de définir sa forme spécifique.
C’est à partir du document Longueuil /, une école en construction que l’apprentissage individualisé fut implanté à Longueuil I. Le document rédigé par le directeur de l’école et son directeur-adjoint aux activités éducatives y proposait« un cadre permettant d’implanter un système d’enseignement individualisé à progrès continu ».
Longueuil /, une école en construction reprend l’orientation générale du plan Séducation, mais il n’est plus question d’un changement de système tel que le proposait Monsieur Palkievicz. Ce nouveau document se veut plutôt un énoncé de principe auquel l’enseignant qui désire s’engager dans le projet doit répondre: ( … ( ce qui implique que le professeur qui désire enseigner dans un système individualisé doit posséder (ou accepter de développer) en tant que personneressource dans une matière, les aptitudes suivantes ).
Les trois buts proposés dans le Projet Oméga seront les troix axes principaux du document Longueuil/, une école en construction lesquels nous expliciterons ci dessous.
Le régime pédagogique décrit se réfère à tout ce qui concerne la préparation du matériel, la transmission des connaissances et les méthodes utilisées à cette fin: définir (en termes de mesurabilité), ajuster les objectifs aux différences individuelles, prévoir et sélectionner des stratégies d’enseignement différentes ou complémentaires, mettre en pratique les modes d’enseignement permettant d’atteindre les objectifs, évaluer l’atteinte des objectifs et choisir les étapes d’enseignement de façon séquentielle.
La formation proposée pour les enseignants qui participaient au projet de Longueuil I n’a pas l’envergure que prévoyait le Projet Oméga, mais cette lacune se trouva compensée par le fait que plusieurs candidats de Longueuil 1 avaient déjà suivi les cours de Didactique décrits dans le Projet Oméga.
« La structure organisationnelle de l’école, dit-on, doit être départementale pour répondre aux besoins du régime pédagogique. ». On dota donc l’école de ce que Mintzberg appelle une bureaucratie professionnelle divisionnalisée (voir appendice A pour l’organigramme) orientée à la fois sur la standardisation des qualifications et la standardisation des résultats. La structure divisionnalisée est un ensemble d’entités quasi autonomes couplées par une structure administrative centrale. La décentralisation est limitée à la délégation accordée aux directeurs d’unités. Le directeur laisse aux unités toute latitude de décision, puis contrôle les résultats.
Dans les faits, il revenait aux enseignants de chacun des départements de participer à l’élaboration des critères de répartition des tâches. Cette opération se réalisait selon le principe de la spécialisation de ces dernières tel que défini dans Longueuil !, une école en construction comme « un mode de répartition qui permet de respecter les intérêts particuliers de certains membres de l’équipe et d’utiliser les aptitudes spécifiques de chacun pour un rendement maximum au service de l’étudiant ». Il leur revenait aussi de contribuer à la mise au point des politiques de leur unité.
Les résultats contrôlés dont parle Mintzberg furent d’abord la qualité du matériel produit. En français, par exemple, chaque fiche de travail élaborée par une équipe de deux ou trois personnes était soumise à l’approbation du département, discutée, acceptée ou refusée. Toutes les décisions relatives au fonctionnement de l’unité étaient soumises au département. Le rôle de l’enseignant n’en était pas seulement un de transmetteur de connaissances; il participait à l’organisation et au fonctionnement de son unité.
Le troisième axe sur lequel Longueuil!, une école en construction mettait l’accent, et qui rejoignait un des buts de Séducation, concernait la perception des enseignants de leur pratique professionnelle dans une situation jusque-là inconnue.
Le projet d’enseignement individualisé proposait de «fournir à chaque étudiant un cadre permettant l’apprentissage graduel de l’autonomie en l’amenant à prendre en charge progressivement sa propre formation avec l’assistance constante d’une équipe d’éducateurs (tuteurs) aptes à le guider ».
INTRODUCTION |