Le programme VITAL à Loos-en-Gohelle, l’émergence d’un système alimentaire territorial

Diagnostic social et territorial de la cité des Provinces

Le projet d’Archipel Fruitier s’inscrit sur un territoire aux caractéristiques particulières, marqué par des années d’exploitation minière, puis son arrêt, ayant fortement impacté autant le territoire que ses habitants. Untel projet se veut porteur d’avenir en favorisant une certaine résilience alimentaire, et en s’inscrivant en lien avec la réhabilitation d’une cité-minière classée au patrimoine de l’UNESCO, tout en essayant d’intégrer les habitants à cette démarche. Afinde comprendre de quelle manière ce projet peut s’intégrer au territoire de manière pérenne il est indispensable d’établir un diagnostic du territoire. Quelles en sont les spécificités ? Qui en sont les habitants? Quels en sont les enjeux? Depuis la fermeture des derniers puits d’extraction minière en 1990, le bassin minier est un territoire en reconversion. Comment effectuer une transition économique, écologique, sociale, sur un espace dédié pendant de longues années à la seule exploitation minière? Cette question est centrale dans les politiques publiques de développement territorial. De plus, les enjeux sociétaux contemporains propulsent des sujets tels que l’alimentation ou l’énergie sur le devant de la scène, et tous les territoires tentent de s’en emparer.

Ces thématiques sont d’autant plus prégnantes sur un espace caractérisé par une forte densité de population, un sol détérioré par l’extraction minière et une surexploitation des terres agricoles. Depuis quelques années, une des solutions envisagéesest de réinvestir la ville en y développant une agriculture urbaine, tout en conjuguant le respect de la nature et le renforcement des liens sociaux. Le bassin minier est ainsi devenu le terrain de nombreuses initiatives publiques et privées en faveur d’un développement plus durable et soutenable. Territoire en pleine reconversion, il fait également partie du patrimoine français et ses spécificités sont à conserver et valoriser. Les cités minières sont des cas particuliers d’aménagement du territoire par des entreprises privées avec des fonctionnements et des règles sociales souvent encadrées. On retrouve ainsi aujourd’hui dansles cités minières de nombreux espaces verts avec des jardins privatifs relativement grands, mais également des maisons constituant un véritable patrimoine architectural. Ces spécificités peuvent se révéler autant des opportunités que des embûches, selon le rapport au territoire qu’entretiennent les habitants.

Alors que, selon les porteurs du projet, l’Archipel Fruitier se « construit avec une vision territoriale pour répondre aux problématiques locales.» (Entretien n°8) il convient d’établir un diagnostic du territoire pour confirmer ou non cette approche. Cette première partie aura donc pour objectif de comprendre les différents enjeux existants sur le territoire du projet, afin de déterminer si l’Archipel Fruitier se construit en réponse à ces derniers. Afin de comprendre le contexte, il s’agira dans un premier temps de présenter les différentes politiques mises en place sur lebassin minier, autant au niveau alimentaire et agricole que de la revalorisation du patrimoine minier. Dans un second temps je m’interrogerai sur les caractéristiques socio-économiques et démographiques des habitants du bassin minier, de Lens et de la cité des Provinces. La troisième et dernière partie sera une approche spécifique à la cité des Provinces. L’objectif sera ici d’étudier le rapport qu’entretiennent les habitants au territoire, mais également comment l’aménagement spécifique aux cités minières a pu influencer les comportements sociaux. Je m’interrogerai, à travers une approche historique, sur l’évolution des liens sociaux, de la consommation, du rapport aux paysages et aux jardins des habitants.

La longue mise en place d’un processus de revalorisation du patrimoine minier

Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est un large espace géographique de plus de 1 200 km² (Figure 11) impacté par l’extraction de charbon de 1660 à 1990. Ces trois siècles d’exploitation ont profondément et durablement marqué ce territoire. Cette période s’est donc caractérisée par un développement non-durable reposant uniquement sur la matière première. L’exploitation charbonnière a modifié le paysage et la morphologie urbaine, l’aménagement du territoire étant le fruit des compagnies d’exploitation minière. Dans un premier temps, en 1990, lors de l’arrêt de l’exploitation minière, on retrouve une volonté, chez la population et les pouvoirs publics, d’effacer les traces de ce passé minier. Les terrils, les anciens carreaux de mine et les cités ouvrières constituaient les principaux héritages caractéristiques, longtemps considérés comme peu attractifs qu’on cherchait à faire disparaître (Deshaies, 2008). Ces anciennes régions minières ont souvent difficilement surmonté la disparition de leurs activités traditionnelles et le paysage minier porte aussi en lui «un certain nombre de souffrances culturellement transmises, souffrances accentuées par les crises, la désindustrialisation, la conjoncture économique actuelle, et encore très vives» (Deshaies, 2006). Cependant, dès les années 2000 se manifeste une prise de conscience croissante de l’intérêt de ce patrimoine. En effet, le paysage physique et culturel (humain, immatériel, symbolique) du bassin minier pourrait être un vecteur de développement du territoire. Le traitement de ces paysages fossiles, stigmates de l’effondrement d’un système, s’avère d’autant plus indispensable que ceux-ci présentent des traits dissuasifs pour les investisseurs.

Ces formes peu engageantes, en particulier les friches industrielles et urbaines, les décharges et les espaces dégradés compromettent l’installation de nouvelles activités en conférant à ces lieux une image négative et répulsive (Baudelle, 1995). Préserver et valoriser le patrimoine minier tout en tirant parti des qualités architecturales, urbaines et paysagères des cités, permettrait de repenser l’attractivité résidentielle, de favoriser la mixité sociale, de créer un environnement de qualité et à réussir l’ouverture du territoire (MBM, 2008). Cette volonté de réhabiliter a également pour but d’impliquer les habitants et de faire évoluer leur représentation du territoire. Pour redynamiser il faudra passer en premier lieu par un changement de regard des habitants sur eux-mêmes, qui avaient jusque-là une image de soi dégradée, ainsi que les paysages dans lesquels ils habitent. (Chibani-Jacquot 2015). Les acteurs locaux se sont alors mobilisés pour mettre en place un nouveau projet pour le bassin minier, symbolisé par la création de la Mission Bassin Minier dans le contrat de Plan Etat-Région 2000-2006, pour appuyer la mise en œuvre d’un programme global de restructuration urbaine, sociale, économique et écologique. Est alors envisagée, dès 2003, la proposition d’une candidature pour l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Derrière cette candidature l’objectif déclaré est d’obtenir les moyens d’une gestion adaptée pour protéger et tirer parti de cet héritage. L’inscription au titre de «paysage culturel évolutif» est accordée en 2012. La cité des Provinces est une des cités inscrites. La Mission Bassin Minier se présente comme l’outil principal d’aménagement pour développer et promouvoir le territoire. Elle entreprend tout un panel d’action et d’assistance sur des sujets tels que l’urbanisme durable, le patrimoine, l’environnement et les risques, la promotion du territoire. Si les initiatives sont multiples, certaines s’inscrivent directement en lien avec la cité minière des Provinces.

Le patrimoine bâti, un premier axe des politiques de réhabilitation

Les politiques de revalorisation s’orientent dans un premier temps vers le patrimoine bâti. De nombreuses constructions sont typiques de l’époque minière que ce soit les habitations (corons, cités pavillonnaires, maisons des ingénieurs) ou les tours et sites d’extraction. Cinq grands sites miniers qualifiés d’emblématiques, incarnant à la fois la mémoire et l’avenir du territoire, sont alors réhabilités. Parmi eux, quatre fosses d’extraction (11-19 à Loos-en-Gohelle, 9-9bis à Oignies, la fosse d’Arenberg à Wallers et la fosse Delloye) ainsi que la cité minière des électriciens à Bruay-la-Buissière. A travers ces réhabilitations commence ainsi le développement d’une activité touristique. Le site du 11/19 correspond à la fosse où travaillait les mineurs des Provinces et se trouve donc à proximité directe de la cité (Figure 12). Il dispose d’un chevalement et d’une imposante tour d’extraction en béton, la seule de la sorte conservée sur le territoire.

La base est devenue un pôle de référence du développement durable et accueille entre autres leCentre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement «Chaîne des Terrils» (CPIE), la Scène Nationale du Pas-de-Calais «Culture Commune», le Centre de Création et de Développement des Eco-Entreprises (cd2e), le Centre Ressource du Développement Durable (CERDD) ou encore le cluster Ekwation pour un bâtiment durable. Après cette première dynamique, a été mis en avant la valorisation des cités minières à travers le projet des cités pilotes. Il a permis de rénover des maisons, de repenser leur intérieur, d’améliorer la qualité des espaces publics tout en mettant en valeur le patrimoine. Des expériences récentes montrent aussi que l’isolation des maisons des mines par des éco-matériaux permet de faire des économies d’énergie tout en préservant l’environnement. 5 cités minières reconnues pour leur valeur patrimoniale exceptionnelle ont été choisies dans un premier temps comme terrain de cette expérience, qui a vocation à s’élargir sur d’autres territoires (MBM, 2017).

Table des matières

Introduction
Méthodologie
Chapitre 1: Diagnostic social et territorial de la cité des Provinces
1. L’Archipel Fruitier, un projet qui s’inscrit dans la lignée de politiques de développement territorial
1.1.Un projet au centre du développementd’un système alimentaire territorial
1.1.1. Les enjeux agricoles et alimentaires dans l’ancien bassin minier
1.1.2. Le programme VITAL à Loos-en-Gohelle, l’émergence d’un système alimentaire territorial
1.1.4. Une stratégie qui s’étend à l’échelle de la CALL, à travers l’Archipel Nourricier et la mise en place du SATD
1.1.5. L’Archipel Fruitier, un projet issu d’une réflexion aboutie et d’un partenariat inédit.
1.2. La revalorisation du patrimoine minier, un enjeu déterminant pour le territoire
1.2.1. La longue mise en place d’un processus de revalorisation du patrimoine minier
1.2.2. Le patrimoine bâti, un premier axe des politiques de réhabilitation
1.2.3. L’environnement et les jardins, des parties intégrantes du patrimoine minier
1.2.4. La réhabilitation du patrimoine minier, un enjeu toujourscentraldes politiques publiques
1.2.5. L’Archipel Fruitier, au cœur de la revalorisation du patrimoine minier
1.3. L’Archipel Fruitier, un projet qui s’inscrit au carrefour de politiques de développement territorial
2. Caractéristiques socio-économique et évolutions démographiques aux différentes échelles du territoire
2.1. Le bassin minier, un territoire en déclin démographique qui cumule les problématiques socio-économiques
2.2. A Lens, une population à l’image de celle du bassin minier
2.3. Dans la cité des Provinces, deux populations distinctes, également touchées par les problématiques socio-économiques
2.4. Une dynamique démographique propre à la cité, associée aux difficultés socio-économique du bassin minier
3. Le rapport des habitants au territoire
3.1. Des Houillères à SIA Habitat, un rapport de défiance entre habitants et propriétaires
3.2. Les cités minières, un aménagement du territoire constructeur d’un fort sentiment d’appartenance qui se perpétue avec le temps
3.3. Une forte solidarité historique qui disparaît avec le renouvellement démographique
3.4. Des habitants sensibles au paysage de leur cité malgré des jardins de plus en plus délaissés
3.5.Le jardinage, une pratique historique en perte de vitesse
3.6. De l’autoconsommation à la consommation déterritorialisée
3.7. Un projet méconnu qui suscite l’intérêt des habitants
3.8. Des comportements sociaux fortement liés au territoire, qui évoluent avec le renouvellement démographique
Conclusion Chapitre 1
Chapitre 2: L’Archipel Fruitier, un projet innovant pour le bien-vivre alimentaire
1. Des dispositifs originaux et complémentaires autour de la question alimentaire
1.1. Des jardins hybrides multifonctionnels adaptés aux enjeux du territoire
1.1.1. Le jardin productif participatif
1.1.2. Recherche de lien social et apprentissage du jardinage ; des raisons de la participation habitante qui ne trouvent pas toujours satisfaction
1.1.3. Un jardin multifonctionnel maisqui présente certaines limites concrètes
1.2. Faire évoluer les pratiques alimentaires des habitants; entre évolution de l’offre et accompagnement à la consommation
1.2.1. L’évolution des pratiques alimentaires; une approche en termes de justice alimentaire
1.2.2. Une accessibilité toujours limitée pour les habitants de la cité des Provinces
1.2.2.1.Un marché bio et solidaire inadapté
1.2.2.2. Les paniers de fruits et légumes, un modèle peu accessible aux perspectives d’adaptation intéressantes
1.2.2.3. Les paniers solidaires un dispositif qui pourrait répondre aux besoins des plus précaires mais qui présente des barrières spatiales et administratives
1.2.2.4. L’autoconsommation par l’autoproduction encore faible malgré de belles perspectives
1.2.2.5. Des dispositifs d’accès à l’alimentation qui peuvent être améliorés
1.2.3. Les ateliers cuisine un outil pertinent pour contrer les inégalités structurelles
1.2.2.1. Les avantages multiples des ateliers cuisine
1.2.2.2. Une découverte de nouveaux goûts et aliments pour les participants
1.3. Des dispositifs adaptés au territoire mais peu utilisés, qui subissent la faiblesse de la mobilisation
2. Vers une dynamique de coopération territoriale, prémices d’une gouvernance alimentaire locale
2.1. Un projet co-porté par un dispositif original: bailleur –association
2.1.1. Une coopération entre deux acteurs aux objectif divers
2.1.1.1. Les Anges Gardins
2.1.1.2. SIA Habitat
2.1.1.3. La mobilisation, cœur de la coopération entre co-porteurs
2.2.2. La mobilisation, symbole de la faiblesse de la coopération
2.2.2.1.Une absence de stratégie commune de mobilisation
2.2.2.2.associée à des entraves techniques
2.2.2.3. et inadaptée au territoire
2.2.3. Une stratégie de mobilisation commune indispensable pour instituer une coopération
2.2. La mise en place progressive d’une coopération entre acteurs du territoire
2.2.1. Une variété d’acteurs déjà actifs sur le territoire
2.2.2. ……qui instaurent une dynamique de coopération autour de l’Archipel Fruitier
2.3. Quelle place pour les habitants dans la gouvernance du projet
2.3.1. Des habitants absents de la construction du projet
2.3.2. Des adhérents investis mais peu enclins à entrer dansla gouvernance du projet
2.3.3. Le comité d’adhérent, une première étape d’intégration des habitants à la gouvernance du projet
2.4. Des coopérations en construction, prémices d’une gouvernance locale alimentaire
3. Conclusion Chapitre 2
Chapitre 3. L’intégration dans un écosystème économique, vers un nouveauté modèle de développement local
1.1 Une monnaie basée sur le temps pour favoriser l’implication associative
1.2. La Manne, un rouage essentiel de l’Archipel Fruitier
1.2.1. Faire système autour de l’alimentation
1.2.2. Et offrir un réel intérêt économique et social
1.3.Une monnaie limitée dans son utilisation pour les habitants de la cité des Provinces
1.3.1. Des adhérents qui n’exploitent pas lepotentiel de contrepartie de la monnaie
1.3.2. Une divergence sur l’utilisation de la Manne pour les acteurs du territoire
1.4. La Manne, vectrice d’un autre développement économique
Conclusion Chapitre 3
Conclusion Générale
Bibliographie
Annexes

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