Le processus d’olympisation de l’escalade

Le processus d’olympisation de l’escalade

Les prémices (2000-2006) 

Pour des raisons pratiques, notre étude débute en l’an 2000, mais l’ambition d’intégrer l’escalade aux JO est antérieure et remonterait aux années 1990. Ainsi, Charles évoque le fait qu’« en 92 pendant les Jeux d’Albertville, on faisait déjà voir l’escalade » ; alors qu’un reportage Grandevoix  indique que dès les années 1990, la FFME s’est lancé dans une politique de développement des SAE en France, mais aussi à l’international, avec déjà le rêve olympique en ligne de mire. a) Les missions françaises à l’international Cet intérêt précoce pour l’olympisme est confirmé par Jean-Marie, qui deviendra DTN en 1998, pour qui l’idée de l’escalade aux JO semble avoir germée dès la première compétition d’escalade en 1985 : « Alors depuis le départ en fait, on a pensé que l’escalade pouvait devenir olympique. Donc les premières compétitions internationales ont eu lieu en 1985, et depuis le départ, on a été assez fous pour penser que l’escalade avait sa place dans les … dans les JO. Donc en fait on a travaillé dans cette optique-là, la fédération française qui était assez investie dans les compétitions, et la fédération internationale de concert pour développer… alors déjà, la première chose qu’on a fait, c’est d’essayer de… d’internationaliser la compétition d’escalade, qui était au départ très développée en Europe, et moins dans les autres continents, donc… notamment la fédération française a fait beaucoup de missions en Asie et en Amérique du Sud, pour… ben pour aider au développement, donc formation d’officiels, aide à l’organisation d’compétitions, formations d’entraineurs aussi, de manière à ce que ça se développe dans les 5 continents. ». Entraineur, puis Directeur Technique National, semble être un artisan majeur du dossier olympique, comme le souligne un reportage Grandevoix (« Escalade : la grande aventure de la compétition #2 », 2018). Gilles Bernigolle, entraineur précurseur, renommé dans le milieu de l’escalade des années 1990 et 2000, confirme les visées olympiques de ces missions internationales dont il fut un des chargés de mission, en sa qualité d’entraineur pour transmettre ses connaissances et son savoirfaire à travers le monde. Il affirme ainsi que « le but caché était évidemment la marche vers l’olympisme » (Grimper n°115, février 2009). Ainsi, la FFME semble avoir joué, dès les années 1990, un rôle moteur dans la structuration et le développement de l’escalade à l’international, condition sine qua none pour ensuite prétendre devenir olympique, l’universalité étant un des piliers de l’olympisme  . Toutefois, la priorité est ailleurs pour la FFME, qui envisage ces missions internationales comme des actions périphériques – d’ailleurs dépendantes du Ministère de la Jeunesse & des Sports – et non comme le cœur de sa politique. En effet, comme l’affirme Jean-Marie, la fédération a déjà beaucoup à faire pour se structurer et s’organiser : « la fédération en 98 était dans un sale état. Donc y a eu beaucoup de travail à faire, au niveau de la restructuration de la fédération d’une manière générale, notamment les finances. Donc ça, j’ai passé pas mal de temps à ça ». 

La structuration des compétitions nationales et internationales 

Parallèlement, les compétitions nationales et internationales d’escalade se structurent au cours de cette période. Le premier circuit de compétition internationale de difficulté est monté en 1989, et les premiers championnats du Monde de vitesse apparaissent en 1991. Une division consacrée aux compétitions d’escalade (International Council for Climbing compétitions, ICC) est créée au sein de l’Union Internationale des Associations d’Alpinisme (UIAA) en 1987, dans le but de prendre en charge les compétitions internationales (GrandeVoix, « Escalade : la grande aventure de la compétition #2 », 2018). Les compétitions de bloc se développent plus tardivement, avec les premiers championnats de France organisés en 1998 et les premiers championnats du Monde de bloc en 2001. L’UIAA entame également un travail pour la reconnaissance de l’activité auprès du CIO, comme l’indique C. Eckhardt (Grimper n°51, février 2001). Si des membres de l’UIAA participent à cette époque aux réunions du CIO, il défend une « posture réaliste » qui s’incarne par une démarche patiente et prudente, car il considère que l’activité n’est pas encore prête, notamment en raison du manque d’audience dans les médias grands publics. Marco Scolaris, qui fut, avant de prendre la tête de l’IFSC lors de sa création en 2007, directeur de l’ICC, évoque dans le journal libération sa résignation quant à l’olympisation de l’activité : il déplore le manque de sponsors et un lobbying insuffisant (Libération, 30 septembre 2002). Si cet article évoque ainsi « la perspective olympique », et témoignerait d’un « pas vers l’olympisme franchi » (Jean-Marie, cité par Libération), l’escalade de compétition semble encore loin de pouvoir prétendre intégrer les JO.

Les limites rencontrées 

Au-delà des limites structurelles de la FFME et de l’IFSC, qui cherchent d’abord à inventer un circuit de compétition pérenne avant de se pencher sérieusement sur la question olympique, nous identifions également des résistances. Dans le magazine Grimper n°50, F. Carrel se montre pessimiste sur le dossier olympique, en soulignant le manque d’efforts et de sérieux des membres de l’UIAA. En effet, cette institution rassemble les fédérations d’escalade, mais aussi d’alpinisme mondiales, et comporte encore à l’époque une majorité d’alpinistes en son sein, traditionnellement réfractaires à la compétition, et peu enclins à s’investir sur la question de l’olympisme. De plus, J. Godoffe, grimpeur français historique et pionniers des compétitions d’escalade (il participera par exemple à une des premières compétitions d’escalade de vitesse à Yalta, en URSS, en 1984), affirme que les grimpeurs des années 1980 et 1990 (notamment les signataires du Manifeste du 19) étaient des « fortes personnalités », attachées au côté marginal de l’activité et étaient dans l’ensemble peu favorables à rentrer dans le cadre contraignant que suppose une épreuve olympique. On peut donc supposer que lors de cette période, au-delà du manque de maturité de la pratique compétitive de l’escalade, l’attitude d’un certain nombre de grimpeurs et de membres des institutions internationales, s’est avérée être un frein dans le processus d’olympisation, portée par certains acteurs fédéraux mais encore trop utopiste. d) Le tournant des années 2000 Toutefois, les années 2000 semblent être marquées par un sursaut de considération pour la question olympique dans le milieu de l’escalade. Ainsi, la FFME se lance officiellement en quête d’une reconnaissance olympique auprès du CNOSF, selon les dires de son président J.P. Peeters (Direct’Cimes n°17, Edito, décembre 2001). En attendant d’être reconnu en tant que fédération olympique (reconnaissance obtenue en 2007 pour 2 ans puis en 2010 définitivement), l’escalade participe malgré tout pour la première fois aux Jeux Mondiaux (P. You, Direct’Cimes n°32, décembre 2005), considérés comme l’antichambre des JO, où tous les sports reconnus comme digne d’intérêt par le CIO sont présents, en attendant une hypothétique intégration au programme officiel des Jeux. Si le milieu compétitif et fédéral de l’escalade se structure et s’organise, A. Pêcher, ancien entraineur de l’équipe de France, souligne en mars 2006 (Direct’Cimes n°34) que le CIO s’intéresse de plus en plus à l’escalade, car l’institution aurait déjà compris l’enjeu de se « dépoussiérer », c’est-à-dire de rajeunir la programmation des sports présents aux Jeux en proposant des sports plus en phase avec les goûts des spectateurs ; l’escalade aurait alors sa carte à jouer pour intégrer les JO.

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La concrétisation de l’idée olympique (2006 – 2016)

Le travail de reconnaissance olympique 

Au niveau international, la création d’une fédération internationale d’escalade, l’IFSC, émancipée de la tutelle de l’alpinisme, le 27 janvier 2007 (GrandeVoix, « quel format pour l’olympisme ? », avril 2017) semble avoir permis à l’escalade de compétition d’entrer dans une nouvelle dimension, avec une reconnaissance olympique obtenue le 10 décembre 2007 pour 2 ans, puis définitivement en 2010. Dès 2006, Marco Scolaris, ancien président de l’ICC au sein escalade aux Jeux olympiques de 2020 : analyse d’une controverse sportive Page 46 de l’UIAA, qui deviendra ensuite président de l’IFSC, organise une démonstration d’escalade lors des JO de Turin en 2006 (d’après l’entretien réalisé avec Charles, speaker de compétitions françaises). Une voie de vitesse officielle et internationale, désormais la même à chaque compétition, afin d’établir un record, est créée en 2005 (A. Beauté, « la vitesse prend de l’allure », Direct’Cimes n°51, octobre 2010). Cette discipline obtiendra ainsi le plébiscite du CIO, qui souhaitaient intégrer cette unique discipline aux JO, si on en croit Jean-Marie (DTN de la FFME) et Camille (entraineur de l’équipe de France). Si on en croit également Jean-Marie, la vitesse a joué un rôle crucial pour certains pays qui ont pu entrer dans l’escalade par cette discipline : « ils [la Chine entre autres] sont rentrés dans l’escalade de compétition par la vitesse. Le pari c’était ça. » Cette discipline et son développement, qui fut facilité par la voie officielle identique aux quatre coins du globe, semblent donc avoir permis de progresser sur le plan de l’universalité en intégrant de nouveaux pays au sein de l’IFSC, tout en gagnant les faveurs du CIO à travers une discipline facile à comprendre et spectaculaire. 

L’évolution du CIO 

Sur cette période, le mouvement olympique se transforme doucement : comme l’indique A. Pêcher (op cit, Direct’Cimes n°34, mars 2006), le CIO semble déjà animé de la volonté de se « dépoussiérer » et proposer des sports à l’image plus jeune, afin d’attirer cette catégorie de population qui semble manquer d’intérêt pour les JO. Ainsi, le CIO créé les JO de la Jeunesse (JOJ) en 2010, en réaction à la désaffection des jeunes pour les Jeux (A. Bevilacqua, La Croix, 22 février 2016). L’escalade les intégrera en 2014 à Nanjing en Chine (I-mag n°2, septembre 2014), où le français C. Lechaptois a pu participer aux démonstrations et initiations proposées dans le cadre de cet évènement, et souligne le très bon accueil du public. Le président de l’IFSC, M. Scolaris, présent également, affirme alors que cet évènement a permis de faire connaitre l’escalade à des membres du CIO qui ne la connaissaient pas, et a été vivement appréciée par la plupart d’entre eux. Ce « show » d’escalade à Nanjing semble donc avoir participé à une meilleure connaissance de l’activité aux yeux du CIO ; son existence témoigne également d’un intérêt certain du CIO pour l’escalade, un an après l’échec d’intégration au programme des Jeux en 2013. De plus, le changement de présidence du CIO en 2013, où l’allemand Thomas Bach remplace le belge Jacques Rogge, semble s’accompagner d’une nouvelle orientation politique du CIO. escalade aux Jeux olympiques de 2020 : analyse d’une controverse sportive Page 47 Ainsi, en décembre 2014, l’Agenda 21 est voté à l’unanimité par le CIO (GrandeVoix, « quel format pour l’olympisme ? », avril 2017), où la limitation pour les villes-hôtes de s’en tenir aux 28 sports officiellement programmés est levée. Ainsi, les Comités d’Organisation ont désormais le choix d’intégrer des activités supplémentaires si elles le souhaitent, ce qui a permis au COJO de Tokyo 2020 de proposer – et d’obtenir – l’organisation d’épreuves supplémentaires, dont l’escalade. 

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