Le processus de choix de soins
Le processus de choix de soins dans la littérature médicale est souvent décrit comme un processus décisionnel. Le processus de prise de décision est complexe et différentes théories ont été présentées pour tenter de 1′ expliquer. Traditionnellement, les théories sur le processus décisionnel suggèrent un processus où des modèles axiomatiques de risques et de bénéfices conçus dans une perspective probabiliste (bayésienne) permettent de choisir la meilleure option parmi un éventail d’options~ soit l’option avec l’utilité ‘(subjective) attendue maximale. Cependant~ plusieurs critiquent cette vision normative du processus décisionnel et encouragent une vision plus naturaliste où des décisions traditionnellement jugées « irrationnelles » sont explorées dans leurs contextes respectifs (Patel et al., 2002). D’autres processus tels que la gestion de l’incertitude et la prise de conscience de la situation sont sans doute impliqués dans le processus décisionnel, et des facteurs tels que le stress et la fatigue l’influencent (Salas et Klein, 2001). L’état physique du patient, son rôle social et son âge pourraient également influencer le processus décisionnel dans un contexte médical (Van der Heide et al., 2004).
Par ailleurs, bien que les théories relatives au processus décisionnel en médecine restent à clarifier, plusieurs auteurs vantent les mérites d’un modèle de «décision partagée» dont la définition varie sensiblement d’un à l’ autre (Charles et al., 1997; Makoul et Clayman, 2006). De façon générale, la décision partagée s’appuie sur le droit du patient au respect de son autonomie et suppose l’implication du patient avec son médecin dans la prise de décisions guidées par les préférences du patient et influencées par de l’information valide et récente sur les options thérapeutiques, incluant leurs risques et avantages potentiels. Dans un contexte de soins de fin de vie, la décision partagée est également préconisée (Baillargeon et Montreuil, 2009) puisqu’il semblerait que ce modèle de décision soit apprécié par la majorité des patients et de leurs proches dans un contexte de décisions en fin de vie. Cependant, tous ne partagent pas le même désir de participation au processus décisionnel médical (Hack et al., 2005; Heyland, Cook et al., 2003; Heyland, Tranmer et al., 2003; Stiggelbout et Kiebert, 1997), et une attribution variable du niveau de pouvoir décisionnel au patient (ou à son porte-parole) selon ses préférences est donc souvent suggérée (Moore, 2005). Ainsi, la participation du patient et de ses proches au processus décisionnel médical sera influencée par les préférences de ceux-ci à le faire, par la transmission d’informations pertinentes par les professionnels de même que par les efforts fournis par les professionnels pour permettre au patient et à ses proches de participer.
Dans cette recherche, le processus de décision partagée a été abordé à travers l’exploration d’une de ses formes particulières, soit le processus de choix de soins pour des patients atteints de maladie grave. Par maladie grave, on entend toute maladie entraînant des symptômes significatifs pour le patient sur les plans fonctionnel, psychologique ou social, qu’il s’agisse de symptômes actuels ou prévisibles à court terme.
Préférences du patient et de ses proches concernant les choix de soins et la participation au processus de choix de soins
De nombreux chercheurs ont exploré les préférences de soms des patients et de leurs proches (Collins et al., 2006; Fried et al., 2002; Fried et al., 2007; Gallagher, 2006; Klinkenberg et al., 2004; Pruchno et al., 2006; Rodriguez et Young, ·2006), de même que leurs préférences en matière de participation au processus de choix de soins (Hack et al., 2005; Hagerty et al., 2004; Stiggelbout et Ki ebert, 1997). Malheureusement, les résultats divergents de ces études nous forcent à reconnaître l’unicité de chaque situation dans la mesure où aucune caractéristique des patients n’est systématiquement associée à certaines préférences ou volontés. En effet, plusieurs facteurs objectivables influençant les préférences de soins des patients ont été identifiés (ex. : le diagnostic, la trajectoire de la maladie, le pronostic, le type et la durée des soins reçus, la religion), sans qu’une association constante avec une préférence de soins particulière puisse être mise en évidence. De plus, les médecins, les infirmiers et même les proches semblent mal estimer les préférences des patients (Loewenstein, 2005; Marks et Arkes, 2008; Pruchno et al., 2006; Shalowitz et al., 2006; Wilson et al., 1997). De façon plus générale, plusieurs études qualitatives ont souligné que les préférences de soins des patients semblent guidées par leurs objectifs personnels de vie et, donc, modulées par leurs perceptions des résultats probables des traitements envisagés (Fried et Bradley, 2003; Rodriguez et Young, 2006; Rosenfeld et al., 2000). Conséquemment, les préférences des patients ne peuvent ni être adéquatement estimées par les professionnels de la santé ni être décontextualisées des avantages, inconvénients, alternatives et risques perçus ou réels des traitements envisagés.
Outils élaborés pour guider les discussions entourant le choix de soins
Dès les années soixante, les progrès technologiques de la médecine sont tempérés par les enjeux moraux que soulèvent certaines pratiques médicales visant la prolongation de la vie humaine. Ainsi émerge la bioéthique médicale parallèlement à un mouvement de remise en question de l’autorité dans toute la société qui entraîne une modification de la relation de pouvoir entre patients et médecins (Marshall et Koenig, 2000). En 1967, 1′ avocat américain Luis Kutner suggère la possibilité d’un testament biologique (living will) pour permettre aux personnes en fin de vie d’avoir le contrôle sur leurs propres traitements médicaux. En 1968, un premier projet de loi est déposé pour permettre aux patients de prendre une décision sur l’utilisation future de traitements prolongeant la vie. En 1976, la Californie devient le premier état à légalement sanctionner le testament biologique. Ce n’est cependant qu’en 1990 que le refus de traitement prolongeant la vie est officiellement admis comme étant légal aux Etats-Unis au niveau fédéral par un cas de jurisprudence à la Cour Suprême des Etats-Unis . Au Canada, le refus de traitements prolongeant la vie est également admis par deux cas de jurisprudence à la Cour Supérieure du Québec en 1992 . Apparaît ainsi au cours des années 80 et 90 une panoplie de termes pour désigner des nouveaux outils permettant aux gens d’ exprimer à l’avance et de faire respecter, le moment venu, leurs choix de soins en fin de vie. En 1991, la Chambre des représentants du Congrès américain passe la loi Patient Self-Determination Act, une loi obligeant tous les hôpitaux recevant du financement public à vérifier si leurs patients ont ou désirent avoir des directives préalables de soins (advance directives). En 1994, Le Collège des médecins du Québec, ordre professionnel des médecins du Québec, prône l’utilisation d’une échelle de niveaux de soins en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et souligne la nécessité d’engager, une discussion sur la décision de réanimation cardiorespiratoire. C’est dans ce contexte qu’apparaît d’ailleurs en 1996 la première version du document Niveau d’intervention thérapeutique (NIT) au Centre hospitalier de Rouyn-Noranda où un étage de l’hôpital est réservé à des soins de longue durée .
CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE |