Le principe « un homme, une voix » dans le statut général de la coopération
Le principe « un homme, une voix » dans le statut général de la coopération car le chapitre qui va suivre sera exclusivement consacré à la manière avec laquelle la loi du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération, aborde la question du principe « un homme, une voix ». Il convient dès le début de ce chapitre II de préciser que les dispositions de la loi de 1947 qui seront évoquées dans ce dernier, celles qui visent à l’application du principe « un homme, une voix » comme celles qui visent à le remettre en cause, s’adressent à l’ensemble des différentes formes de sociétés coopératives. En effet, nous l’avons déjà évoqué dans l’introduction générale de cette thèse, cette même loi du 10 septembre 1947 contient également des dispositions qui réglementent, l’application du principe « un homme, une voix » comme ses éventuelles remises en cause, mais qui ne concernent cette fois-ci qu’uniquement un type de société coopérative bien spécifique telles que par exemple les Unions d’Économie Sociale (UES)193 . 193 Cf. titre II bis de la loi du 10 septembre 1947. 109 Le principe « un homme, une voix » dans le statut général de la coopération I. Une affirmation en trompe l’œil Jusqu’à quel point la loi de 1947 affirme-t-elle le principe « un homme, une voix » ?
Deux articles pour une même affirmation
En effet, eu égard peut-être à son importance, ce n’est pas un mais deux articles, les articles 4 et 1 alinéa 3 de la loi du 10 septembre 1947, qui affirment de concert le principe « un homme, une voix ». Selon l’article 4 « les associés d’une coopérative disposent de droits égaux dans sa gestion » . L’alinéa 3 de l’article 1 réaffirme quant à lui le principe de manière quelque peu plus explicite, en tout cas plus proche de la formulation décidée par les pionniers de Rochdale, en posant comme règle que « chaque membre coopérateur dénommé, selon le cas, « associé » ou « sociétaire », dispose d’une voix à l’assemblée générale » . Ces deux articles sont donc dans la continuité de la règle édictée à Rochdale qui fait qu’il n’y a pas nécessairement rapport entre poids politique de l’associé et apport qu’il a effectué. Comment en effet imaginer qu’une loi souhaitant donner des règles communes à l’ensemble du monde coopératif196 français puisse établir une règle autre que celle-ci. On l’a vu précédemment, compte tenu des objectifs propres aux sociétés coopératives on ne peut concevoir une répartition des droits de vote autre que celle basée sur l’équation « un homme, une voix ». À choisir une autre règle le législateur de 1947 aurait choisi un principe, mais pas un principe coopératif. L’art. 4 de la loi du 10 septembre 1947 est rédigé de la sorte : « Sauf dispositions contraires des lois particulières, présentes ou futures, les associés d’une coopérative disposent de droits égaux dans sa gestion et il ne peut être établi entre eux de discrimination suivant la date de leur adhésion ». L’alinéa 3 de l’art. 1 de la loi portant statut de la coopération est formulé de la sorte : « Sauf dispositions spéciales à certaines catégories de coopératives, chaque membre coopérateur dénommé, selon le cas, « associé » ou « sociétaire », dispose d’une voix à l’assemblée générale ». 196Pour une définition plus approfondie de la loi du 10 septembre 1947 se référer à l’introduction générale de cette thèse. 110 B. Deux articles pour une même et grande nuance Aussitôt affirmée, aussitôt nuancée, voilà une affirmation qui n’étonnera pas les lecteurs les plus consciencieux des notes de bas de page de la page précédente et qui peut parfaitement résumer la philosophie qui est celle des articles 4 et 1 alinéa 3 de la loi du 10 septembre 1947. Deux articles pour une même et grande nuance car si les articles 4 et 1 alinéa 3 affirment le principe « un homme, une voix », ils ouvrent aussi la porte à une multitude de remises en cause. C’est ainsi que l’article 4 avant même d’instaurer la règle instaure son exception, « sauf dispositions contraires des lois particulières, présentes ou futures, les associés d’une coopérative disposent de droits égaux dans sa gestion […] ». Même chose pour l’article 1 alinéa 3 qui dispose : « Sauf dispositions spéciales à certaines catégories de coopératives, chaque membre coopérateur dénommé, selon le cas, « associé » ou « sociétaire », dispose d’une voix à l’assemblée générale. » 198. Une fois cette dualité des articles 4 et 1 alinéa 3 constatée reste maintenant à s’interroger sur le pourquoi de cette affirmation du principe « un homme, une voix » que l’on peut qualifier des plus relatives. II. Des choix et des obligations L’explication d’une affirmation du principe immédiatement suivi de la possibilité de le remettre en question est la conséquence de choix volontaires de la part du législateur, mais également de contraintes dont il ne pouvait passer outre. A. Des « récalcitrantes » Ce que l’on constate c’est que certaines sociétés coopératives s’accommodent mal d’une absence de discrimination en matière de droit de vote ; ces sociétés se sont les Sociétés Coopératives Ouvrières de Production (SCOP)199. Dans ce type de sociétés coopératives les 197 Cf note de bas de page n°190. 198 Cf note de bas de page n°191. 199 Cf chapitre V consacré aux sociétés coopératives ouvrières de production. 111 associés « historiques » rechignent en effet à être traités de façon similaire aux petits nouveaux. On peut dire de façon imagée que ces sociétés coopératives contiennent dans leurs gènes un chromosome « capitaliste » qui les conduit à souhaiter une répartition différente de celle du principe. Lorsqu’en 1947 le législateur décide que des aménagements du principe seront possibles à l’avenir c’est en grande partie pour satisfaire aux revendications de celles qui à l’époque ne s’appelaient pas encore sociétés coopératives ouvrières de production mais coopératives de production. Ce qu’elles souhaitaient pouvoir faire c’était remettre en cause le principe « un homme, une voix » en accordant un nombre de voix fonction de l’âge de l’associé en question .
Une affaire d’Histoire
Des exceptions « légalisées »
Historiquement parlant, et comme on l’a déjà évoqué dans l’introduction générale de cette thèse201, ce qu’il faut avoir en tête c’est que la loi du 10 septembre 1947 a été votée après l’adoption de lois particulières réglementant certaines formes de sociétés coopératives : par exemple la loi du 7 mai 1917 ayant pour objet l’organisation du crédit aux sociétés coopératives de consommation et qui comme son nom ne l’indique pas forcément très bien réglemente les sociétés coopératives de consommation. Cette loi et plus précisément son article 6, nous aurons largement l’occasion d’y revenir dans le chapitre VI202, avait en effet dès 1917 accordé aux unions des coopératives de consommation la possibilité d’accorder plus d’une voix à certains associés lors des assemblées générales. C’est parce qu’il ne souhaitait pas remettre en cause ces exceptions que le législateur s’est montré pragmatique. Celui-ci ayant autorisé certaines sociétés coopératives à fonctionner ainsi jusqu’alors n’a pas voulu les faire rompre avec leurs manières de faire. 200 Virulentes en 1947 pour demander que la loi leur octroie la possibilité de discriminer en fonction de l’âge, il semble que depuis elles aient une position plus nuancée, gérontocratie oblige (cf. section II consacrée aux unions de coopératives, II. B. L’égalité rime-t-elle avec démocratie ?). 201 Cf. introduction générale de cette thèse. 202 Chapitre VI, section I consacrée aux sociétés coopératives de consommation.
Une affaire de présent et d’avenir
Le maître mot du législateur concernant la loi portant statut de la coopération a été souplesse. Le parti pris en 1947 a été, en même temps que d’affirmer les grands principes coopératifs, de laisser à chaque type de sociétés coopératives une liberté d’action. L’article 4 comme l’article 1 alinéa 3 permettent donc au besoin de déroger au principe et les besoins n’ont pas tardé puisque, nous allons le voir dans la section II, le texte même de 1947 contient une exception au principe « un homme, une voix » ; celle accordée aux unions de coopératives. Dans la droite ligne de la philosophie coopérative le droit français reconnaît le principe « un homme, une voix ». Toutefois si ce principe est affirmé on constate aussi qu’il peut être remis en cause ; ce qu’il est… Ce sont ces remises en cause du principe et par là même leurs impacts sur la gestion démocratique qui seront au cœur des développements de ce chapitre II. Seront donc étudiées successivement, la question de l’article 3 bis de la loi du 10 septembre 1947, puis celle des unions de coopératives réglementées par l’article 9 alinéa 1 de cette même loi de 1947. S’agissant de l’ordre de cette étude il est question d’importance. L’impact sur la gestion démocratique de l’article 3 bis, nous aurons l’occasion de le constater, apparaît en effet beaucoup plus important que celui des unions de coopératives et ce d’autant plus que le nombre d’unions de coopératives reste faible malgré les avantages que ces dernières peuvent procurer à leurs membres.