Le premier British Council en Birmanie entre 1948 et 1955
« La Birmanie à l’école des Anglais »
« Le peuple birman veut l’éducation pour ses enfants – plus que cela, il la réclame » 32. En novembre 1952, le British Council publie un rapport dans lequel il explique les raisons pour lesquelles l’enseignement de l’anglais à l’étranger est essentiel. Une distinction est faite entre deux types de pays concernés par les missions du British Council. D’une part, dans les pays où les autorités et la population se montrent au départ méfiantes à l’égard de l’implantation de l’organisation, le British Council privilégie des activités dites « neutres » (centrées sur l’enseignement de la langue anglaise uniquement) et étend ses missions peu à peu, à mesure que sa présence sur le territoire étranger est mieux acceptée. D’autre part, le British Council intervient dans certains pays à la suite de « circonstances politiques inhabituelles » 33. Les deux exemples donnés sont la Syrie et l’Indonésie, où la demande en cours d’anglais est importante malgré une mise en place difficile – c’est donc là qu’intervient le British Council – mais la Birmanie s’insère naturellement dans cette catégorie. Le rapport affirme ensuite : « Dans une telle situation, la responsabilité de développer l’enseignement de l’anglais dans le pays concerné revient au British Council, et il a davantage la possibilité d’étendre son activité » 34. En effet, lorsque le British Council s’implante en Birmanie en août 1947, le gouvernement birman est en pleine définition des termes de l’indépendance imminente du pays : la Constitution birmane est en train d’être rédigée et, peu avant son assassinat en juillet 1947, le Général Aung San a fait savoir au Gouverneur Rance la décision de 32 « The people of Burma want education for their children – indeed they demand it ». l’AFPFL de renoncer à l’adhésion de la Birmanie au Commonwealth britannique – décision qui contrarie naturellement le gouvernement britannique. A cette période de mutations démocratiques succède une période de troubles politiques, immédiatement après l’émancipation de la Birmanie en janvier 1948 : les débuts du British Council en Birmanie sont donc marqués par une série de contraintes liées à l’instabilité régnant dans le pays. La mise en place d’une structure anglophile solide relève du défi. Le développement des activités du British Council liées à l’enseignement de la langue anglaise en Birmanie sont à la fois le fruit d’une véritable volonté d’améliorer le niveau d’anglais de la population et le système éducatif du pays et d’une tentative d’apaiser les tensions au cœur d’une zone aux enjeux multiples. Ainsi, le gouvernement britannique y voit la possibilité de maintenir une présence britannique informelle sur le territoire birman : « le rôle que doit jouer la langue anglaise dans le maintien d’une connexion avec la Grande-Bretagne, malgré l’indépendance politique [de ses colonies], [justifie] l’intérêt qu’a le Council à enseigner l’anglais en Birmanie » 35. 1. Démantèlement de l’administration britannique et implantation du British Council en Birmanie Les enjeux d’une mise en place précoce Le 4 février 1948, c’est-à-dire un mois exactement après l’indépendance de la Birmanie, une réunion se tient entre les Représentants du British Council, du Département de l’Information en Extrême-Orient, du Département d’Asie du Sud-Est et du Département des Relations Culturelles (tous rattachés au Foreign Office), afin de s’entendre sur le rôle futur du British Council dans ce pays fraîchement émancipé. En effet, la Birmanie fait partie des trois zones sous contrôle britannique dans lesquelles le British Council entend développer ses activités dans la période d’après-guerre, et principalement la diffusion de la langue anglaise (les deux autres sont Hong Kong et l’Australie). Cet intérêt pour la Birmanie est réaffirmé dans les rapports du British Council en 1950. Le Foreign Office place la Birmanie, et certains Etats tels que la Chine, l’Indonésie ou encore les Etats Arabes, au cœur des zones d’action prioritaires de l’organisation : « La seconde priorité devrait être le ralliement [à la Grande-Bretagne] 35 « the role that the English language has to play in maintaining the British connection, despite the granting of political independence, [accounts] for the Council’s interest in the teaching of English in Burma ». Ibid., 2. 20 des nations ‘émergentes’ qui se trouvent en dehors du Commonwealth » 36 – la première priorité correspondant au renforcement de l’influence britannique dans les Etats membres du Commonwealth. Il est intéressant de noter qu’en 1945, les autorités britanniques avaient envisagé de gérer la Birmanie et la Malaisie en tant qu’une seule et même entité37 ; ce n’est qu’à la fin des années 1940 qu’on décide de traiter la Birmanie séparément – les situations politiques des deux pays ayant évolué de manière très distincte. Les dirigeants britanniques imaginent, pour commencer, une petite structure au rôle très limité : « l’heure n’était pas encore au développement d’un centre de grande ampleur à Rangoun » 38. Il s’agit simplement de poursuivre les missions engagées à la réoccupation du pays par les Britanniques à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, à savoir la distribution de matériel pour remplacer ce qui avait été détruit sous l’occupation japonaise entre 1942 et 1945. Les projets du British Council sont cependant plus ambitieux pour la suite : les autorités britanniques impliquées dans le projet envisagent la construction d’un centre anglo-birman à Rangoun qui inclurait entre autre une bibliothèque, une salle de lecture et une salle audiovisuelle, et la mise en place de cours d’anglais. Durant l’occupation britannique, l’anglais était la langue utilisée à tous les niveaux de l’administration coloniale. Dans la sphère de l’éducation, l’anglais était la langue de l’enseignement supérieur et la Grande-Bretagne recevait chaque année plusieurs dizaines d’étudiants birmans souhaitant poursuivre leurs études dans une université britannique. C’est pourquoi, dès 1945, les fonctionnaires britanniques s’interrogent : « Après la guerre, quelle sera l’attitude de l’Asie du Sud-Est vis-à-vis des activités culturelles britanniques ? » 39. Le British Council compte sur la prééminence de la langue anglaise dans les milieux d’élite pour se développer en Birmanie : les membres de l’organisation savent que, malgré le départ des autorités britanniques, une partie de la population birmane entend maintenir des liens avec la culture britannique dont elle est tant imprégnée depuis le milieu du XIXème siècle. Le pari du British Council se fait ainsi, au départ, sur l’élite birmane : la connaissance de la langue anglaise octroie une 36 « The second priority should be to win over the ‘emergent’ nations outside the Commonwealth, 17 June 1950, PRO, FO 924/843, CRL 160/49 », cité dans Frances Donaldson, op. cit., 165. 37 « Council Policy in South East Asia, 1945-1955 », TNA, BW 1/174, 7. 38 « the time was not yet ripe to develop a large-scale centre in Rangoon ». « British Council Activity in Burma, 1948 », FO 924/698. 39 « What will be the post-war attitude of Southeast Asia towards British cultural activities? ». « Council Policy in South East Asia 1945-1955 », TNA, BW 1/174, 4. 21 forme de supériorité et offre davantage d’opportunités en termes de carrière. Paradoxalement, c’est d’ailleurs par l’intermédiaire de l’anglais que les élites birmanes de l’AFPFL ont conduit le pays sur la voie de l’auto-détermination, la culture britannique véhiculant certains modèles tels que le concept d’Etat-nation et la langue anglaise ayant facilité les négociations avec les autorités britanniques. L’institution doit, afin de s’implanter durablement, se faire connaître et apprécier des autorités birmanes qui ne voient pas toujours d’un très bon œil la persistance d’une présence britannique sur le sol birman : « Il sera primordial, dans une perspective pratique, de se créer des contacts, de se porter volontaire pour aider, de raviver la langue anglaise » 40. Le British Council n’a de cesse de souligner son rôle purement culturel et sa nonimplication dans les affaires politiques des Etats indépendants dans lesquels il opère. On peut lire, dans un compte-rendu d’enquête sur les activités de l’institution publié en 1950 : « Selon les témoignages, le Council est perçu comme étant en dehors de la sphère politique et ses activités ne sont pas associées à de la propagande » 41. Le compte-rendu de l’enquête montre d’ailleurs que, si les résultats du British Council sont si prometteurs, c’est précisément parce que l’organisation agit non seulement de manière distincte de la sphère politique des pays où elle est implantée, mais qu’elle agit également en tant qu’entité distincte du gouvernement britannique42. Ce leitmotiv de la distinction entre sphère politique et sphère culturelle dans les rapports de l’institution doit être rattaché au contexte politique de la Birmanie de la fin des années 1940. Les rapports concernant les missions du British Council en Asie du Sud-Est soulignent un paradoxe : il faut séparer la culture et la pensée britanniques de l’influence britannique car la poussée nationaliste dans ces pays serait le résultat direct de l’influence britannique. L’opposition asiatique à la Grande-Bretagne serait, de ce fait, purement politique, et non culturelle
La langue : un accès efficace à la culture
Des outils variés… et innovants ? Les moyens mis en œuvre par le British Council pour promouvoir la langue et la culture anglaises en Birmanie sont très variés. L’idée majeure du British Council, c’est de favoriser un accès direct à la culture britannique grâce à la langue anglaise : « il est indispensable […] de faciliter une bonne compréhension du peuple britannique et de son mode de vie ; une telle compréhension naît de l’expérience directe et naturelle de notre culture et de notre civilisation, que seule la maîtrise de la langue anglaise peut permettre » 67. La culture serait donc intrinsèquement liée à la langue, et l’une ne peut être appréhendée sans le support de l’autre. Ainsi, les travaux du British Council dans le domaine linguistique ne doivent pas être envisagés comme une fin en soi : « nous supposons qu’à travers la promotion d’une meilleure maîtrise de la langue anglaise parmi la population étrangère, le Council pourra se concentrer plus efficacement sur ses véritables objectifs, à la fois par l’intermédiaire de l’écrit et de l’oral » 68. Les autorités britanniques prennent position contre la traduction : il s’agit de supprimer tout intermédiaire à l’accès à la langue afin d’encourager un accès réfléchi et critique aux idées transmises. L’accent est mis à la fois sur l’apprentissage de la langue écrite et orale, puisque l’apprentissage de l’anglais doit permettre à la fois aux masses d’appréhender la culture par l’intermédiaire de la littérature britannique et de faciliter les échanges (académiques, économiques ou diplomatiques) entre la Grande-Bretagne et la Birmanie. En premier lieu, le British Council choisit d’investir dans une bibliothèque, une salle de lecture ainsi qu’une salle de conférence. Sous la direction du Représentant du British Council en Birmanie J.E.V. Jenkins, le nombre d’adhérents à la bibliothèque passe de 800 à 2416 entre 1948 et 195469. Ces chiffres ne sont pas négligeables, mais il faut garder en tête qu’une part importante des adhérents est en réalité constituée d’expatriés britanniques. En termes d’ouvrages, le nombre de volumes augmente également : la bibliothèque comprend 4000 livres en 1949, contre 6700 un an plus tard environ70. Directement en lien avec la bibliothèque, le British Council se met très tôt à organiser des conférences afin de stimuler l’intérêt de la population birmane pour la littérature britannique. Par exemple, des conférences destinées au grand public sont organisées une à deux fois par mois afin de démocratiser l’accès à une culture jugée trop souvent élitiste. Des intervenants envoyés de Grande-Bretagne ou bien déjà présents sur place prennent la parole sur des sujets très divers que j’analyserai par la suite, dans un objectif de vulgarisation : à travers ceci, le British Council entend créer une sorte d’émulation culturelle qui touchera un public de plus en plus large. Toujours dans le but de rassembler un large public, le British Council cherche à s’appuyer sur des outils modernes – notamment la radio et le cinéma. Ces deux média sont propices à la diffusion d’une langue orale, et peuvent donc sembler plus accessibles que la culture écrite. Par exemple, entre 1948 et 1954, trois programmes radiophoniques à but pédagogique sont diffusés sur les ondes birmanes à l’initiative du British Council – programmes conçus pour l’ensemble du public de l’institution à travers le monde. Ils obtiennent un succès plus ou moins grand : « English by Radio » est un programme de la BBC diffusé quatre fois par semaine à partir de janvier 1950, « Listen and Speak » est un programme lancé en 1951 mais qui se solde par un échec, et enfin « Improve your English » est créé en septembre 1953. A propos du programme « English by Radio », le Représentant écrit, dans son compte-rendu pour les années 1949-1950 : « Cette série d’émissions est très populaire » 71. Le succès de cette émission est révélateur d’une culture de masse en Birmanie.
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