Le phénomène de reconsultation pour le même épisode fébrile aigu d’un enfant état des lieux et recherche de facteurs associés

Analyse des données

Les facteurs potentiels de reconsultation étaient de type qualitatif (variables dites catégorielles) ou de type quantitatif (variables dites continues). Les variables continues étaient décrites par leur moyenne, écart-type, intervalles de confiance à 95%, médiane, interquartiles, minimum et maximum. Les variables catégorielles étaient décrites par leur effectif et fréquence relative.
Les variables ou catégories pour lesquelles il n’y avait qu’un seul enfant concerné n’ont pas été traitées, que ce soit en analyse univariée ou multivariée.
Le Test non paramétrique non apparié dit de Wilcoxon a été utilisé pour l’analyse univariée des variables catégorielles (comparaison de moyennes). En ce qui concerne l’analyse univariée des variables continues, c’est le test non paramétrique du coefficient de corrélation de Spearman qui a été choisi.
Pour l’analyse multivariée des variables continues et catégorielles, nous avons eu recours à la méthode Classification And Regression Trees (CART). Ce choix a été fait car les conditions d’application des méthodes classiques régressives n’étaient pas respectées, en particulier la linéarité des relations et l’absence de colinéarité entre cofacteurs. L’objectif était de mettre en évidence un ensemble de variables, un profil, qui pourrait avoir un impact sur la reconsultation.
Les variables choisies pour l’analyse multivariée étaient celles dont l’analyse univariée retrouvait un lien p < 0,2 avec le critère de jugement principal (nombre de consultations pour le même épisode fébrile). Chaque feuille de l’arbre correspondait à un profil enfants-parents avec une médiane de consultations (boite à moustache).

Résultats

Caractéristiques de la population

Nous avons inclus 147 enfants sur une période de 6 mois. Les enfants inclus avaient un âge médian de 29 mois [4-149]. Notre population était composée de 49% de filles et de 51% de garçons. En majorité, ils étaient le deuxième (médiane du rang dans la fratrie : 2 [1-8]) d’une fratrie de deux enfants (moyenne de la taille de fratrie : 2,35 [1-8]). La présence d’antécédents médicaux et le suivi médical étaient détaillés dans le Tableau 1.
Les caractéristiques socio-démographiques des parents étaient notées dans le Tableau 2.
Les codes postaux des lieux de vie montraient une représentativité de chaque quartier de Marseille et d’une partie des villes des Bouches du Rhône.

Critère de jugement principal

La médiane de consultations pour le même épisode fébrile aigu était de 2 [1-7] et la moyenne était de 1,95 (écart type : 1,13). Sur 147 enfants, 59 enfants (40,1%) avaient consulté une fois et 88 enfants (59,9%) avaient consulté au moins une deuxième fois. Sur ces 88 enfants, 58 enfants (65,9%) avaient consulté deux fois, 20 enfants (22,7%) trois fois, 5 enfants (5,7%) quatre fois, 4 enfants (4,5%) six fois et un enfant (1,1%) sept fois.

Critère de jugement secondaire

Analyse univariée

Concernant les caractéristiques socio-démographiques de l’enfant et de ses parents, l’âge de l’enfant était le seul facteur qui avait un lien significatif avec le nombre de consultations. Plus l’enfant était jeune, plus les parents reconsultaient (coefficient de corrélation -0,24 p = 0,003).
A noter que les parents bénéficiaires de l’AME reconsultaient moins de manière significative (p = 0.03).
Concernant les compétences des parents, il n’y avait aucun lien significatif entre le niveau de connaissances (fièvre, signes de gravité), la façon de gérer la fièvre de leur enfant (thérapeutique, mesures physiques) et le nombre de consultations.
Concernant le parcours de soin, il n’y avait aucun lien statistiquement significatif entre le suivi habituel de l’enfant (pédiatre, médecin de famille, PMI, mixte, pas de suivi) et le nombre de consultations.
Concernant la première consultation pour fièvre, il existait un lien significatif entre le délai de consultation par rapport au début de la fièvre et le nombre de consultations (p < 0,001). Il existait un lien significatif entre le diagnostic initial et la reconsultation (p = 0,01). Il existait un lien significatif entre le premier médecin vu et le nombre de consultations (p < 0,001). La réalisation d’examens complémentaires ou la prise en charge initiale globale (étiologique, symptomatique, hospitalisation) n’avaient pas de lien significatif avec le nombre de consultations.

Analyse CART

Nous avons réalisé l’analyse CART (Schéma 1) à partir des facteurs potentiels de reconsultation qui avaient un lien significatif avec le nombre de consultations en univarié : âge de l’enfant, délai entre début de la fièvre et première consultation, premier médecin vu, premier diagnostic y compris « non identifié », durée de la fièvre. Nous avons complété cette analyse avec des facteurs de reconsultation non significatifs, mais ayant un p < 0,2 : taille de la fratrie, rang de l’enfant dans sa fratrie, présence ou non d’antécédents médicaux, suivi médical habituel, âge des parents, situation familiale, application des mesures physiques. Cette analyse avait pour but d’établir des profils d’enfants/parents susceptibles de consulter à plusieurs reprises.
Quatre critères semblaient avoir de l’importance dans cette tendance à la reconsultation. Trois d’entre eux étaient déjà significatifs en univarié : le délai entre le début de la fièvre et la première consultation, le premier médecin consulté et l’âge de l’enfant. Un facteur était nouveau, la connaissance des mesures physiques par les parents, mais difficilement interprétable (médiane de consultations identique selon ce facteur, quelques cas isolés extrêmes). Les six profils d’enfants/parents ayant tendance à consulter plusieurs fois étaient détaillés dans le Schéma 1.
Les parents consultant moins de 24 heures après le début de la fièvre, pour un enfant de moins de 31 mois, avaient une médiane de consultations à 2. Pour les parents consultant de manière précoce mais pour un enfant de plus de 31 mois, le premier médecin consulté était le facteur qui modifiait significativement (p = 0,048) la médiane de consultations. Lorsque les parents voyaient un médecin généraliste, ils avaient une médiane de consultations à 2,5 ; à l’inverse les parents consultant un autre spécialiste (urgences, pédiatre de ville, PMI) avaient une médiane de consultations à 1,5.
Lorsque les parents consultaient après 24 heures de fièvre, quel que soit l’âge de l’enfant, c’est encore le premier médecin consulté qui modifiait significativement (p=0,05) la médiane de consultations. Lorsque les parents consultaient un médecin généraliste, ils avaient une médiane de consultations à 2 ; à l’inverse les parents consultant aux Urgences n’avaient une médiane qu’à une consultation.

Discussion

Dans notre étude, l’ensemble du parcours médical des enfants au cours d’un épisode fébrile aigu était analysé. Nous avons mis en évidence que la médiane de consultations, pour le même épisode fébrile aigu, des enfants de 3 mois à 12 ans, se présentant aux Urgences Pédiatriques de la Timone, était de 2. Autrement dit, notre étude confirme bien le phénomène de reconsultation, les parents voyant en moyenne deux médecins par épisode fébrile aigu de leur enfant. Ce travail est le premier à préciser ce phénomène déjà évoqué [11]. La fièvre étant le symptôme le plus fréquent chez l’enfant [12], le phénomène de reconsultation pour un même épisode fébrile aigu pourrait contribuer à l’engorgement des cabinets médicaux et des Urgences Pédiatriques, notamment en période d’épidémies automno-hivernales. Pour rappel, seule la présence de critères de gravité, une fièvre nue de plus de 72h chez un nourrisson (suspicion de pyélonéphrite), ou une fièvre de plus de cinq jours (suspicion de Kawasaki) nécessitent une consultation médicale en urgence [13].
Concernant les facteurs associés à la reconsultation, l’analyse CART (à partir de l’analyse univariée) n’a pas permis d’établir un profil type d’enfants-parents qui consulte à plusieurs reprises. D’une part, ce manque de corrélation pourrait être dû au faible nombre de sujets que nous avons inclus. D’autre part, il existe probablement une multitude de facteurs qui incitent à la reconsultation, tous liés entre eux au sein d’une même famille (fratrie, âge des parents, niveau d’études, accès aux soins…). Enfin, certains facteurs ne jouent probablement pas du tout de rôle dans la reconsultation (accès aux soins).
Les analyses univariée et multivariée ont permis de mettre en évidence des caractéristiques socio-démographiques ou des facteurs comportementaux, en lien avec un nombre de consultations important.
La première consultation précoce (< 24h) est le facteur le plus déterminant (en premier sur le CART, p = 0,003). Or, ce délai court ne permet pas l’apparition de l’ensemble des symptômes.
Le premier médecin consulté ne posait pas de diagnostic dans près d’un tiers des cas (fièvre isolée) et le diagnostic initial avait un lien significatif en univarié avec le nombre de consultations. Cela pouvait inquiéter les parents qui avaient tendance à reconsulter. De plus, nous avons logiquement observé que les parents consultant tôt reconsultaient plus facilement, la majorité des épisodes fébriles ayant duré entre 3 et 5 jours et la durée de la fièvre ayant un lien significatif avec le nombre de consultations. Le deuxième facteur était le premier médecin consulté.  Le médecin généraliste aurait de manière générale incité à reconsulter. Cependant, les deux profils concernés dans le CART ont des effectifs faibles (<10), il est donc difficile de conclure à un lien significatif.
L’âge inférieur à 31 mois, troisième facteur, semblait aussi être en lien avec le phénomène de reconsultation. En effet, dans notre étude, la fièvre inquiétait d’avantage les parents d’enfants de moins de 31 mois. Ce phénomène était confirmé par les données ORUPACA de 2014 à 2016, avec une majorité des consultations pour fièvre aux Urgences pédiatriques de la Timone chez les moins de 36 mois (75,1%).
Les conseils relatifs à la reconnaissance de la fièvre et à sa prise en charge (chiffre de température, thérapeutique et mesures physiques), qui font l’objet de messages de santé publique [3], semblaient être intégrés par les parents. Les critères de gravité étaient, eux par contre, moyennement connus (seulement 42,8% des parents identifiaient les quatre critères de gravité choisis). La présence de ces critères au domicile serait pourtant la seule raison d’avoir recours à une consultation médicale urgente ou à un avis hospitalier d’emblée. Nous n’étions pas en mesure de connaitre avec exactitude l’état clinique de l’enfant lors de sa première consultation, notamment la présence de signes de gravité au domicile. Cependant, plus d’un enfant sur 2 (51,7%) n’avait pas d’examen complémentaire et avait une prise en charge symptomatique seule. Sur l’ensemble de l’épisode fébrile, seuls 10,9% des enfants étaient hospitalisés.
Dans un premier temps, nous retiendrons l’efficacité de l’éducation des parents concernant la reconnaissance de la fièvre et sa prise en charge initiale, mais aussi leur difficulté à identifier les signes de gravité de la fièvre. En effet, il persiste une phobie de la fièvre, et notre étude a
mis en évidence un nombre important d’enfants qui consultaient de façon précoce. Les messages actuels d’éducation aux critères de gravité ne semblent pas suffisants [3]. Il serait souhaitable de choisir un message clair et uniforme [14,15] entre les praticiens pour faciliter l’information aux parents. La Société Française de Pédiatrie leur propose trois signes de gravité : l’altération du comportement, de la coloration et de la respiration de l’enfant [16]. D’autre part, les feuilles de surveillance et de consignes de reconsultation distribuées aux Urgences Pédiatriques montraient une efficacité en terme de diminution du nombre de consultations. Cet outil était pourtant, dans notre étude, sous-utilisé (seule la moitié des patients en bénéficiait).
Pour la généralisation de ce genre de support, des associations de soignants (comme Courlygones) proposent des feuilles de surveillance avec une validation (sociétés savantes, juristes) et une mise à disposition en ligne [17].
Dans un second temps, il serait nécessaire de rappeler à tous que la consultation précoce (< 48 heures) ne permet pas aux soignants d’établir un diagnostic initial et que la durée moyenne d’un épisode infectieux fébrile est de 3 à 5 jours. D’après les données de la littérature, il semblerait que les parents soient plus attachés à l’examen physique qu’à la prescription [11].
De ce fait, il est indispensable de les rassurer sur le caractère fréquent, bénin et viral de la majorité des infections de leur enfant, d’autant plus ces dernières années avec l’augmentation de la couverture vaccinale des vaccins haemophilus et pneumocoque [18,19].
L’objectif est d’autonomiser les parents sur la prise en charge d’une fièvre aigüe sans signe de gravité afin de diminuer le nombre de consultations.
Concernant la méthodologie, un seul investigateur limitait le biais de mesure. Le recrutement était fait seulement aux Urgences Pédiatriques ; avec une population plus précaire que la moyenne marseillaise (sans emploi dans 44,2% des cas, CMU/PASS/AME dans 44,9% des cas), qui utilisait les Urgences comme premier recours. La population étudiée n’était donc pas représentative de l’ensemble de la population de Marseille. Par le rappel téléphonique, nous nous sommes exposés à un biais de déclaration (mémoire de l’épisode). Nous pouvons espérer qu’il ait été faible compte tenu du délai précoce de rappel (huit jours). Pour le critère de jugement secondaire, nous avons choisi d’utiliser la méthode CART pour prendre en compte l’influence des facteurs entre eux et minimiser le biais de confusion.

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Conclusion

Notre étude met en évidence l’existence de consultations itératives pour un même épisode infectieux aigu chez les enfants de 3 mois à 12 ans, consultant aux Urgences Pédiatriques de la Timone. Les raisons semblent multiples, avec trois facteurs principaux : un délai court entre le début de la fièvre et la première consultation, le jeune âge de l’enfant et le médecin généraliste consulté en premier. De ce fait, il serait intéressant de réfléchir en priorité à des moyens supplémentaires pour reculer le délai de la première consultation, trop souvent précoce. Il serait également pertinent de confirmer ce phénomène de reconsultation à plus grande échelle, avec un recrutement en cabinet de ville.
Ces consultations itératives, pour un même épisode infectieux aigu, viral dans la majorité des cas, représentent un vrai problème de santé publique, ayant un impact sur l’engorgement descabinets médicaux et des Services d’Accueil d’Urgence en période d’épidémie hivernale.

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