Le phénomène de peopolisation des anonymes de la téléréalité
Des anonymes devenus des héros de téléréalité
Section 1 – L’arrivée des anonymes
Le début de la médiatisation des anonymes : un concept qui fonctionne, des audiences prometteuses
Les anonymes apparaissent pour la première fois dans le cadre d’une émission de téléréalité en France en 2001, avec « Loft Story »78. C’est le cas de Loana Petrucciani, une jeune femme de 23 ans qui est l’une des onze participants encore inconnus du grand public à l’heure où débute le jeu télévisé. Elle est médiatisée pour la première fois le 26 avril 2001 dans le cadre de la première émission en direct diffusée sur M680 présentée par Benjamin Castaldi . Ce direct a pour but d’expliquer le nouveau concept de l’émission aux téléspectateurs, et d’identifier les participants. Chacun à leur tour, les candidats se présentent sous forme d’un portrait de quelques minutes : filmés dans leur environnement habituel, ils précisent leur âge, leur travail et leur histoire personnelle. Benjamin Castaldi annonce d’ailleurs avant le début du portrait de la jeune femme : « on va poursuivre avec les trois autres candidates. Regardons qui elles sont évidemment il s’agit de Laure, Kanza et Loana. Laure a 25 ans, c’est une vraie citadine, Kanza a 24 ans, c’est une grande battante et puis Loana 23 ans, c’est notre petite niçoise ». Dans la présentation de Loana Petrucciani, d’une durée de 2 minutes 30, une voixoff redonne son nom, son âge et explique son métier avant qu’elle n’entre dans l’émission : elle est gogo-danceuse à Nice. Loana se décrit comme « grande, blonde, sexy »83 mais aussi « très introvertie, timide, réservée, pudique ». Elle raconte le parcours qui l’a conduite à être gogo-danceuse : « Je voulais vraiment faire des études poussées, et en fait la vie a fait que ma mère est partie de chez moi, et elle m’a laissé l’appartement, elle m’a laissé tout à gérer, le loyer, les factures. J’avais une amie qui était danseuse qui m’a dit : si tu veux gagner de l’argent vite, c’est facile, viens je t’apprendrai comment faire je te prêterai des tenues au départ. J’ai commencé comme ça »85. Pendant dix semaines consécutives, la jeune femme est filmée en permanence dans le « Loft »86 jusqu’à remporter le jeu. Les audiences de ce nouveau genre de programme sont très prometteuses, car Loft Story réunit cinq millions de téléspectateurs en moyenne sur toute la période d’avril à juillet 200187, et entre six et sept millions de téléspectateurs lors du premier prime88. Le programme détrône les audiences de TF1 à l’époque89.C’est le début d’un nouveau phénomène de société.
La banalisation de la médiatisation des anonymes dans des programmes de téléréalité
« Loft Story » a montré la voie : pour profiter du potentiel d’audience, les chaînes de télévision françaises investissent dans la téléréalité. L’arrivée de la TNT (Télévision Numérique Terrestre )91 en 2005 permet une multiplication des chaînes disponibles, et dans le même temps, des programmes de téléréalité. En une décennie, les émissions de téléréalité s’installent dans le paysage médiatique français. Il devient normal de suivre la vie des anonymes à des heures de grande écoute. C’est dans ce contexte que Nabilla Benattia92, se présente pour la première fois dans l’émission « L’Amour est Aveugle 2 »93 diffusée en 2011 sur TF194 : « je m’appelle Nabilla, j’ai 19 ans, je suis étudiante en langue. Je suis aussi modèle, mannequin à mes heures perdues. Je pense être une fille assez jolie, assez glamour »95. Cette même année 2011, la chaîne de télévision NRJ1296 lance l’émission « Les Anges de la téléréalité »97, un nouveau concept qui repose sur la médiatisation de candidats ayant déjà participé à une émission de téléréalité. Désormais, il ne s’agit plus de suivre la vie quotidienne des candidats en direct, mais d’instaurer une trame, un récit. Si les audiences sont nettement moins importantes que lors de la diffusion du premier « Loft Story »98, le concept reste porteur pour une chaîne de la TNT 9, qui rassemble jusqu’à 900 000 téléspectateurs en moyenne en 2013100. Nabilla Benattia , identifiée par des membres de la production « La Grosse Equipe » 102 sur NRJ 12 lors de son premier passage à l’écran se voit proposer une participation à l’émission « Les Anges de la téléréalité 4 »104 en 2013. En réalité, avant de participer aux « Anges de la téléréalité »105, Nabilla106 était encore inconnue du grand public. Dans son portrait, elle doit se présenter à nouveau, même si elle est identifiée comme ayant participé à l’émission « l’Amour est Aveugle 2 »107. Elle dit : « Je m’appelle Nabilla, j’ai 19 ans, j’habite à Genève en Suisse. Je pense être une fille plutôt sexy, plutôt glamour, je fais très attention à mon apparence »10. Auréolé de son succès, « Les Anges de la téléréalité »108 est imité par des programmes qui reprennent les mêmes codes, tels que « Les Marseillais »109 programmés sur la chaîne W9110 depuis 2012, qui comptent jusqu’à 855 000 téléspectateurs en moyenne en 2017 . Le principe vise à réunir plusieurs personnes anonymes issues du sud de la France qui doivent cohabiter pendant quelques semaines dans une villa à l’étranger, tout en réalisant des missions professionnelles. En raison de son succès, le programme est renouvelé pour huit saisons. Jessica Thivenin , l’une des candidates, est anonyme lorsqu’elle participe pour la première fois à l’émission « Les Marseillais à Rio » en 2014. Elle est présentée rapidement dans le premier épisode de la saison par Julien Tanti, son compagnon qui est l’une des têtes d’affiche de l’émission, avant de le rejoindre en tant que candidate à part entière. Actuellement, malgré des audiences en baisse, les anonymes ont toujours une place importante à la télévision.
Les méthodes de casting et le renouvellement des anonymes
Trouver les participants aux émissions est devenu un enjeu capital pour les sociétés de production. Les méthodes de recrutement sont soigneusement étudiées en amont pour que les candidats sélectionnés captent l’attention des téléspectateurs : de la pertinence des profils recrutés dépend l’audimat du programme. Les sociétés de production n’hésitent plus à embaucher des casteurs professionnels capables de dénicher les meilleurs candidats. C’est dans ce contexte que Nabilla Benattia115 a été approchée par TF1 en 2011. Elle raconte dans son livre : « Un matin vers 8 heures, le téléphone sonne. Je décroche parce que normalement personne ne m’appelle à 8 heures. Au milieu de la nuit, oui, jamais si tôt le matin. Un mec de la télé a vu mon profil sur Facebook, accessible à tous. Et mes photos en soirées. Il caste pour « L’amour est aveugle », une émission produite par Endemol » . Les recruteurs deviennent donc des personnages incontournables de la téléréalité, car ce sont eux qui démarchent les anonymes pour les convaincre de participer aux programmes. En 2010, un assistant de production de Glem et Endemol témoigne : « notre cible : des personnes à la plastique irréprochable et surtout avec le moins de pudeur possible ». Morgane Enselme, ancienne candidate de l’émission « Secret Story », confirme ces méthodes : « il faut savoir qu’il y a un double casting. Il y a d’un côté les candidatures spontanées. Ce sont des gens qui envoient leur dossier pour participer. Et, de l’autre côté il y a les recherches internes qui s’appellent aussi les « recherches journalistes ». Et donc ça, c’est des casteurs en fait qui recherchent des profils et qui écument toutes les émissions de télé, tous les articles de presse, tous les réseaux sociaux à la recherche de profils intéressants ». C’est aussi dans ce contexte que Jessica Thivenin se retrouve dans l’émission « Les Marseillais à Rio » en 2014. Elle explique dans son livre la manière dont elle a été contactée : « J’avais été appelée par la production des Marseillais avant de sortir avec Julien. Ils m’avaient trouvée sur le site internet où j’avais posté des photos de moi (…). J’avais reçu un mail de la production en début d’année (…).
REMERCIEMENTS |