L’inscription en communication
La communication sociale se définit comme « un processus dans lequel les gens utilisent des actes de langage pour agir les uns sur/contre/pour les autres. » (Katambwé, 2008, p. 7). Cette thèse adopte un regard communicationnel pour étudier le phénomène du soutien social, et la notion de « sens », entre personnes ayant vécu du harcèlement psychologique au travail. Dans ce contexte, le harcèlement consiste à agir « contre» les autres par le choix d’une communication pathologique (Lutgen-Sandvik, Namie et Namie, 2009). Quant au soutien social, il sous-tend un agir « pour» les autres par le choix d’une communication solidaire (supportive communication, Guthrie et Kunkel, 2015) relativement à un problème donné, en l’occurrence le harcèlement psychologique au travail. Notre étude se situe donc au carrefour d’une communication pathologique (le harcèlement) et d’une communication same (l’entraide). Le phénomène communicationnel que nous étudions est donc, en quelque sorte, polarisé entre une communication qui « détruit» et une communication qui « construit ». Nous avons opté résolument pour l’étude de la dimension positive de cette communication, tout en comprenant que cette communication constructive (ou édifiante) ne peut être appréhendée qu’en tant que reconstruction et donc par rapport à un problème dont la solution passe par la communication sur le problème. En ce sens, le phénomène manifeste un élément singulier puisque les interactants choisissent de se libérer des contraintes pathogènes en échangeant sur celles-ci, dialoguer sur le harcèlement guérirait alors du harcèlement. Ce contexte communicationnel apporte une richesse et de la profondeur aux interactions. Dès lors, le groupe de soutien devient propice à la métacommunication, que nous verrons plus en profondeur ultérieurement, soit la possibilité de communiquer sur la communication elle-même (Watzlawick, Beavin et Jackson, 1972), en ce que la communication entraidante permet de dialoguer sur la communication pathologique qui n’est autre que la double contrainte de Bateson (Cottraux, 2004, p. 257).
De plus, comme le projet de la thèse porte sur l’ entraide par rapport à un problème sociétal, il inscrit l’étude dans la communication sociale car elle vise principalement l’analyse des relations qui s’établissent entre les participants. Or, justement, l’intérêt se porte sur les participants et plus particulièrement sur les relations qu’ils bâtissent entre eux dans un contexte communicationnel par le biais de conversations, principalement écrites, qu’ils échangent via un médium électronique et social. Ainsi, la communication va au-delà du message, de l’émetteur, du récepteur, ou encore de la réception du message. Elle relève davantage des relations discursives entre les participants. La relation se réalise entre l’ offre de soutien social aux victimes de harcèlement psychologique et les comportements participatifs d’entraide qui sont des interactions entre victimes dans un but de médiation. Puisque nous inscrivons notre recherche en communication, nous décidons de choisir le terme interactant au lieu du vocable victime pour identifier les participants du groupe étudié. En conséquence, la définition des concepts qui servent à délimiter notre objet de recherche est résolument communicationnelle parce qu’elle est reliée aux interactions et à leur type de communication. Or, le type de communication choisi influe sur les individus. De plus, l’objectif principal du harcèlement est de détruire l’autre par des malversations qui sont le plus souvent des mots. En revanche, dans le cas du soutien, c’est le processus inverse qui est visé, soit aider les gens à se reconstruire. Il va s’en dire que les assertions précédentes relèvent des résultats engendrés par les premières analyses des échanges opérés lors des interactions entre interactants d’un groupe d’entraide ou de soutien. Ainsi, le sujet cadre parfaitement avec la définition de la communication sociale. De surcroît, la méthodologie choisie, la MTE, permettra l’ analyse de ces actes de langage que sont les diverses interactions.
Cette étude s’inscrit non seulement dans une perspective communicationnelle mais également selon un point de vue d’ analyse interactionniste. Or, comme l’ affirme Katambwé (2008), la communication est un processus d’interprétation émergeant des relations que nouent les acteurs dans le cours de l’interaction. Elle permet d’instituer des relations, de les interpréter et d’ aider les acteurs à s’organiser (Maurel, 2010; Weick, 2001). Il convient ici de nuancer les deux principales façons de percevoir la communication organisationnelle. La première concerne un terme maintenant popularisé dans le domaine de la gestion et qui signifie principalement la position, ou encore le département responsable de la communication, en entreprise. La seconde interprétation fait éférence à la communication organisationnelle comme champ d’ étude par son apport sur l’ aspect discursif qui agit comme vecteur organisant (Brulois et Errecart, 2016,). Or c’ est précisément ce volet discursif qui est pris en compte dans l’ analyse des données, soit des interactions spécifiques à cette présente thèse. En effet, les interactants s’organisent autour des sujets qui les mobilisent, le harcèlement psychologique au travail en l’occurrence, et adaptent l’interprétation qu’ils ont du phénomène selon les cas particuliers auxquels ils sont confrontés. Au fur et à mesure des interactions, les interprétations en génèrent de nouvelles. Ces nouvelles interprétations permettent aux interactants de renégocier l’interprétation initiale du problème vécu.
La perspective analytique et le positionnement
Il est une idée répandue et acquise que les conversations en ligne « ne sont pas la vrate vie », tant dans des écrits scientifiques que dans des écrits non-scientifiques. Pourtant, en ce qui concerne le soutien social, les recherches les plus récentes (Hammond, 2015) démontrent que le soutien reçu en ligne est tout aussi aidant que celui reçu en faceà-face; la différence entre les deux modalités de soutien serait minime. La présente thèse adopte cette idée, soit le point de vue de non-déterministe technologique. En effet, le soutien social, peut s’obtenir de diverses façons et ce n’ est pas le support communicationnel qui détermine la quantité ou la qualité du soutien reçu.
Quoi qu’il en soit, la question se pose: Facebook est-il un lieu? Un média? Un équipement? Un acteur non-humain à l’égal de l’acteur humain, comme le suggère Latour (1997)? Est-ce que Facebook module le type de soutien reçu? Il semblerait que non. Comme l’énoncent les chercheurs Guillemette, Luckerhoff et Guillemette, (2011 ), il faut distinguer les nuances entre une recherche « dans » un média et une recherche « sur » ce média. Or, cette étude utilise des données qui sont dans Facebook, mais elle n’est pas une recherche sur Facebook. Ce positionnement rejoint celui de Pastinelli (2011) qui remet également en question l’ argumentaire selon lequel la réalité en ligne est distincte et parallèle de celle en face-à-face. Il faut toutefois spécifier qu’opter pour une position non- déterministe technologique ne signifie pas d’exclure toute. question concernant les médiums ou médias. En effet, les données ont été recueillies d’un verbatim d’un groupe en ligne mais auraient pu être extraites du verbatim d’un groupe en face-à-face ou encore d’une conférence téléphonique ou même d’un échange épistolaire. Pour le dire plus clairement, et au risque de nous répéter, l’intérêt de notre recherche porte sur les relations et les interactions et non sur les médias ou médiums de communication. Toutefois, nous restons ouvertes à de futures recherches concernant l’impact du dispositif sur le processus d’entraide. Nous clarifions que notre point de vue n’est pas dogmatique et désirons nuancer nos propos tel que le suggèrent Jauréguiberry et Proulx (2011), qui eux aussi, se qualifient de non-déterministes technologiques. Ce faisant, nous reconnaissons que sans le dispositif, nous n’aurions pas eu accès à ces données. Il faut également constater que l’intention de recevoir ou de donner de l’entraide, dans notre étude, passe par un média.
Comme élément de contextualisation, nous pouvons souligner le fait que les recherches identifient deux principaux atouts associés au soutien en ligne, soit l’absence des contraintes habituelles d’espace et de temps, ce qui signifie qu’une personne peut écrire sur un groupe de soutien 24h/24 et les réponses peuvent provenir de n’importe quel endroit sur la planète. Toutefois, l’aspect asynchrone de ce type de soutien n’est pas le propre de la réalité virtuelle uniquement. Par exemple, la correspondance épistolaire est aussi asynchrone et « voyage » dans l’espace. Par ailleurs, les données recueillies et analysées dans notre recherche auraient très bien pu émaner du verbatim des discussions d’un groupe de soutien en face-à-face, par exemple, entre les membres d’un groupe du type « anonyme ». De plus, pour l’aspect pragmatique, recueillir les interactions en ligne donne l’ accès à des données publiques et les conversations recueillies constituent des traces interprétables de choix, en format texte aisément transférables dans les divers logiciels utilisés pour l’analyse qualitative . En conséquence, même s’il est considéré que les soutiens en ligne et hors-ligne soient équivalents, il est clair que le volet électronique de la quête de données et de leur traitement font économiser du temps.
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