Le phénomène de diffusion dans un
milieu poreux
Introduction
Dans de nombreuses circonstances, le déplacement d’un soluté dans un milieu poreux homogène ou hétérogène saturé suit une évolution en temps et en espace régie par un processus de diffusion. Le processus de diffusion qui représente le transport de solutés dans un tel milieu repose donc, à l’échelle des particules de soluté, sur le mouvement Brownien. A l’échelle macroscopique ce processus se traduit par une équation de convection-dispersion souvent désignée par l’acronyme anglais ADE. Il y a une correspondance bien établie entre les aspects macroscopiques et microscopiques du processus de diffusion. Les modèles de type advectiondispersion sont basés sur la représentation de deux phénomènes supposés responsables de transport en milieu poreux homogène et saturé. Le premier concerne le flux advectif qui entraîne les éléments du soluté par un écoulement plus ou moins simple. Il correspond à une moyenne effectuée sur l’ensemble des particules dispersées. Ceci revient à accepter l’idée qu’une mesure de vitesse de cet écoulement change lorsqu’on recommence la mesure, même en régime stationnaire. Le second est le flux dispersif qui représente la propagation des éléments du soluté au sein même de l’écoulement. Le processus dispersif vient de la diffusion moléculaire et de la variabilité de l’écoulement convectif : il prend en compte les fluctuations locales de la vitesse de l’écoulement. L’ensemble de ces deux processus (convection et dispersion) est en général caractérisé par une propriété intrinsèque au milieu poreux dans lequel s’effectue le transport. Cette propriété traduit un lien direct entre l’évolution en temps de la diffusion et son étalement dans l’espace sous la forme d’une constante Le phénomène de diffusion dans un milieu poreux qui représente le rapport entre la variance des moments des déplacements dûs aux fluctuations de la vitesse de l’écoulement, et le temps pendant lequel on mesure. C’est un coefficient de diffusion ou de dispersion. La constance de ce coefficient de dispersion est intimement liée aux lois classiques du transport en milieu homogène telles les lois de Fick. Cette propriété d’invariance du couple temps et espace est la marque de la diffusion normale. On peut souvent mesurer ou plutôt estimer la valeur de ce rapport. Si le mouvement Brownien représente la dispersion dans un milieu, il est constant. Pour un milieu hétérogène, cette caractéristique de dispersion peut varier et dépendre de l’échelle, ce qui nous fait sortir du cadre de l’hypothèse des modèles de type convection-dispersion. La prise en compte de cette variabilité du coefficient de dispersion oblige à reconsidérer l’hypothèse d’homogénéité dans un sens plus large. C’est l’idée à la base de la théorie d’homogénéisation qui cherche à substituer l’hétérogénéité par des propriétés d’ensemble, à des échelles bien choisies. D’un autre point de vue, il s’agit de considérer un milieu homogène équivalent (milieu effectif) et d’en étudier la réponse au niveau macroscopique sans se soucier de détails aux échelles inférieures à celle qu’on considère. Soutenue par des théories mathématiques bien établies, cette approche a ouvert la voie à d’importants progrès qui ont permis d’aborder la complexité des phénomènes de transport en milieu hétérogène. La pertinence de cette approche repose sur la possibilité de considérer que les propriétés de dispersion varient suivant au moins deux échelles caractéristiques bien distinctes du milieu, dont le rapport permet d’établir un « petit paramètre » de développement. Cette condition peut ne pas être réalisée dans un milieu naturel tel que le sol ou les aquifères hétérogènes dont les propriétés physiques possèdent des variabilités complexes voire aléatoires ou partiellement inconnues. Des tentatives pour généraliser la théorie de l’homogénéisation à des contextes aléatoires ont été effectuées par quelques auteurs . Même si on pouvait disposer d’une description complète du milieu, celle-ci serait si compliquée et ferait intervenir tellement d’échelles différentes qu’il serait impossible de résoudre le problème complet de manière analytique ou numérique. La représentation des mouvements de soluté à l’aide d’un processus aléatoire peut simplifier énormément l’analyse en vertu des théorèmes limites. L’application de théorèmes limites permet de passer d’une description probabiliste à l’échelle microscopique à une description aussi probabiliste à l’échelle macroscopique. C’est l’approche que nous avons développée. Elle consiste à adopter une modélisation qui intègre les caractères aléatoires du milieu. Cette modé-lisation est basée sur l’utilisation des marches au hasard qui représentent le transport à l’échelle microscopique. Avant de présenter en détail nos travaux dans les chapitres suivants, nous avons trouvé utile d’aborder ce mémoire de thèse par une description générale du phénomène de transport par diffusion dans les milieux poreux. L’objectif de ce chapitre est d’une part de donner un aperçu sur les principes et les bases du transport par diffusion dans un cadre normal (classique), mais aussi de donner une synthèse bibliographique des observations expérimentales qui soutiennent l’importance de la diffusion anormale. Rappelons ici que notre objectif n’est pas de faire une synthèse supplémentaire de la large bibliographie déjà existante sur ce sujet. Nous nous proposons simplement de présenter des résultats qui ont retenu notre attention. Ces observations de diffusion anormale constituent en effet une des motivations du sujet que nous abordons dans cette thèse.
Modèle classique de transport par diffusion
Historiquement, l’estimation quantitative de la diffusion remonte aux travaux de Fick (1855). La loi de Fick prédit que dans un milieu immobile, le flux d’un soluté à travers une surface unitaire est proportionnel au gradient de la concentration. Sous sa forme unidimensionnelle, celle-ci s’écrit : Flux = −D∂xC(x, t) (1.1) où le coefficient de proportionnalité D représente le coefficient de diffusion du milieu physique considéré. La fonction C(x, t) représente la concentration du soluté au point x à l’instant t. Combinée avec la loi de conservation de la masse, la loi de Fick donne lieu à l’équation de la diffusion appelée aussi l’équation de la chaleur : ∂tC(x, t) = D∇2C(x, t) (1.2) Pour un fluide en mouvement, il faut rajouter à cette diffusion des particules du soluté, une dispersion due aux variations de vitesse du fluide transportant les particules. Cette opération conduit au modèle d’advection-dispersion (ADE) : ∂tC(x, t) + ∇ · ⟨v⟩C(x, t) = D∇2C(x, t) (1.3) où ⟨v⟩ est la vitesse moyenne du fluide. A cette formulation macroscopique de la diffusion correspond une description probabiliste à l’échelle des particules du soluté basée sur le modèle de déplacement d’un nuage de particules sous la forme d’un mouvement Brownien. Cette correspondance fut établie pour la première fois dans les travaux d’A. Einstein en 1905. Dans cette représentation duale de la diffusion, C(x, t) représente aussi bien la concentration des particules que leur probabilité de présence P(x, t) = θC(x, t) où θ représente la teneur en solvant du milieu. Le point clé de cette construction qui permet de passer de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique repose sur l’application d’outils mathématiques tels que le théorème central limite. En effet, l’importance accordée au modèle de diffusion et la question de son application à des milieux à grande échelle repose sur ce théorème qui implique que la somme de variables aléatoires (qui représentent des variations à petite échelle) indépendantes mais distribuées par une même loi de probabilité possédant une variance finie, converge vers une distribution gaussienne, qui constitue une solution standard de l’équation de la diffusion (1.3). En d’autres termes, la loi normale est un attracteur pour les lois de probabilité possédant une variance finie. Une illustration de l’accord entre un histogramme de déplacements obtenu à partir d’un nuage de particules effectuant un mouvement Brownien et la solution gaussienne (1.2) est donnée sur la figure 1.1.Ce résultat illustre le lien entre la diffusion normale et la loi de probabilité gaussienne. En effet, un des critères permettant de confirmer la validité du modèle d’advection dispersion, (ADE), consiste à tester si les grandeurs observées (concentration, histogramme) sont gaussiennes. Il est devenu ainsi habituel d’attribuer le caractère « non-gaussien » comme le critère principal qui décrit la diffusion anormale.
Observation du transport anormal
Avant d’aller plus loin, rappelons brièvement ce que nous entendons par le qualificatif « non gaussien ». De nombreux résultats publiés montrent que dans un milieu saturé homogène, les courbes de concentration d’un contaminant non réactif sont généralement symétriques et s’apparentent facilement à des lois gaussiennes. Les profils spatiaux représentés sur la partie gauche de la figure 1.2 illustrent ceci. Souvent, il faut attendre un peu pour observer de tels profils, et les observations effectuées aux temps courts montrent des dissymétries entre la partie montante et la partie descendante des profils. Lorsque le milieu est hétérogène en structure (agencement de différents types de grains) ou bien lorsque le milieu devient insaturé (présence de phase « air » en plus de la phase liquide), la courbe de concentration peut présenter selon l’échelle étudiée une traînée qui détruit sa symétrie, de manière persistante lorsque le temps d’observation augmente. A cause de cette asymétrie, on parle de transport « non-gaussien » ou également de « non Fickien ». Une représentation schématique des caractéristiques de diffusion anormale est illustrée par la partie droite de la figure ci-dessous, due à Berkowitz et al Différentes expériences rapportent des observations de longues traînées de restitution des traceurs aux temps longs (comportement asymptotique). D’un point de vue plus théorique, ce caractère asymétrique des lois de probabilité (ou des concentrations), au-delà du fait de traduire un écart avec la loi normale, montre aussi que l’on peut être en présence d’une dynamique marquée par des effets de grands déplacements ou de stagnation des particules. Expérimentalement, on parle dans ce cas de temps de percée courts ou d’effets de traînée. On attribue formellement à ces régimes de transport respectivement les termes de super-diffusion ou sous-diffusion. Dans ce paragraphe, nous allons donner une brève synthèse des résultats d’observations expérimentales de la diffusion anormale. Plusieurs observations du transport anormal ont été rapportées dans la littérature. Elles suggèrent que les processus à la base des observations ne peuvent pas être décrits convenablement avec le modèle d’advection-dispersion. On peut distinguer ces observations selon l’échelle considérée en deux catégories suivant qu’elles sont réalisées en laboratoire ou en conditions in-situ. Un autre critère de distinction consiste à regarder le degré d’homogénéité et de saturation en fluide du milieu. En adoptant ces critères, il apparaît que l’existence d’un régime de transport anormal peut s’observer aussi bien à l’échelle d’une colonne de laboratoire qu’à l’échelle d’une parcelle en milieu naturel et ceci pour différents types de milieux (aussi bien en milieux poreux comme l’argile ou le sable que pour les milieux fracturées comme les roches). Des expériences indiquent aussi que dans un milieu homogène (colonne remplie de sable) et saturé en eau, la concentration en traceur passif (ici du bromure) peut ne pas présenter le caractère gaussien. Ces expériences, qui correspondent en fait à un écoulement assez complexe, ont été interpretées par Benson et al [9] en suggérant que les courbes issues des observations sont liées à des lois αstables. Lévy et Berkowitz [60] ont proposé trois séries d’expériences en colonne permettant de voir l’effet de l’hétérogénéité du milieu sur le régime transport. Pour cela, ils ont considéré un milieu homogène, un milieu hétérogène à distribution uniforme et un milieu hétérogène aléatoire. Ces expériences ont montré que pour un milieu hétérogène, l’écart à la loi gaussienne est observé après un temps long et à forte vitesse d’advection. Les résultats en milieu hétérogène suivent la même tendance avec des écarts plus marqués.