Le partenariat public-privé : transfert de connaissances managériales et apprentissage
La coopération un moyen de transfert de connaissances
L’analyse des coopérations repose sur une complémentarité des actifs mise en avant par Teece, D.J. (1986) à l’aide du concept de ressources complémentaires. Cette démarche s’inscrit en effet en management stratégique. Elle se propose de dépasser la réflexion de nature traditionnelle basée principalement sur l’analyse de l’environnement et de construire 11 une analyse sur l’avantage concurrentiel basée sur les ressources et compétences propres à l’entreprise (Barney, J. 1991). D’ailleurs plusieurs auteurs comme Hamel, G. & Prahalad, C.K. (1990), Hamel, G. (1991), Verdin, P.J. & Williamson, O.E. (1994) soulignent que la coopération peut permettre à l’entreprise d’acquérir des ressources qui lui font défaut généralement et elle contribue ainsi au transfert des connaissances tacites. Selon Rossion, F. & Leriche, S. (2008 : 40) « la connaissance tacite est une connaissance personnelle, qui réside dans la tête de l’individu et qui ne peut pas toujours être articulée sous forme codée ; elle est implicite et fait appel à l’expérience et au savoir-faire de la personne qui la possède ; non tangible, elle peut être difficile… ». Les connaissances managériales font partie des connaissances tacites. Cette approche en matière de ressources et compétences peut être considérée comme une voie de succès pour une entreprise ou une source de conflits. Selon Monateri, J.C. & Ruffieux, B. (1996) : « les coopérations interentreprises traduisent la nécessité d’accéder à des ressources non possédées, ou non développées en interne. En particulier, la coopération permet de contourner l’imperfection, voire l’inexistence des marchés correspondant soit à des ressources fortement spécifiques, de nature tacite, voire immatérielles, soit à des compétences collectives ou organisationnelles. La coopération représente donc un moyen adopté par de nombreuses entreprises pour accéder aux ressources du partenaire dans le but de renforcer et de développer son propre pôle de compétences ». Le choix de la coopération se fait dans cette optique pour renforcer la position des entreprises par rapport à ses concurrents d’une part, et d’autre part, pour acquérir de nouvelles compétences et connaissances clés afin de construire un avantage concurrentiel. La coopération est présentée jusqu’à présent, par ces auteurs cités, comme un mode particulièrement favorable à l’apprentissage étant donné que les connaissances et les compétences des partenaires sont partiellement similaires. Ce raisonnement est souvent lié à des coopérations de types : alliances stratégiques ou des joint-ventures entre concurrents. Cependant, il est intéressant dans le cadre de notre recherche doctorale, d’appliquer cette logique à d’autres modes de coopérations entre entreprises non concurrentes, voire asymétriques9 . En fait, malgré le caractère spécifique de ces montages contractuels souvent complexes, les PPP partagent souvent avec d’autres types de coopération les mêmes mécanismes, caractéristiques et conditions organisationnelles du processus du transfert de connaissances. Il existe en effet des traits communs entre les diverses formes de coopérations, mais chacune a une stratégie à suivre selon les attentes et préoccupations propre à chaque projet. Les particularités de chaque type de coopération proviennent notamment de leur contexte, des clauses contractuelles, du processus de négociation et des objectifs visés ainsi que de la stratégie empruntée par chaque partenaire. Ici, les attentes des partenaires vis-à-vis de l’acquisition de connaissances et compétences sont différentes comme c’est le cas pour une entreprise publique en relation de PPP avec une entreprise étrangère lorsqu’elle cherche à acquérir et/ou développer de nouvelles connaissances comme les connaissances managériales.
L’objet du transfert : les connaissances managériales
Les connaissances managériales, appelées aussi les connaissances en management de manière générale touchent l’ensemble des activités au sein d’une entreprise. Elles s’appliquent à tous les niveaux (individuel, collectif, organisationnel, voire même inter-organisationnel, mais aussi au niveau fonctionnel, opérationnel et culturel, notamment lors des coopérations…) dans différents domaines sans pour autant que ces connaissances soient spécifiques à une technologie, à une activité ou à une composante quelconque. En fait, selon Rolland, N. (2001 : 85) les connaissances en management « portent sur l’ensemble de l’organisation et permettent à celle-ci de se structurer et de fonctionner, de déployer de nouvelles ressources et de développer des stratégies adaptées ». Le développement d’une entreprise dans ce sens n’est applicable que si elle possède un capital riche en ressources. De plus, ces mêmes connaissances sont aussi recherchées par les entreprises afin de faire face à une concurrence et des environnements troublants (Mintzberg, H. 1989) mais aussi lors de situations de coopération (Monateri, J.C. & Ruffieux, B. 1996). La revue de littérature montre que si les connaissances technologiques et scientifiques sont fortement privilégiées par les entreprises dans le cadre des coopérations, les connaissances managériales sont aussi importantes. Le recours aux PPP s’inscrit dans la logique de recherche de nouvelles capacités managériales que l’Algérie vient de choisir pour ses entreprises publiques,10 compte tenu de ces projets de partenariats, afin de renforcer leurs capacités managériales. Ces approches sont adaptées dans le cadre de notre thèse car le transfert de ces connaissances ou de savoirs n’est pas issu d’un environnement général mais est le fruit d’un projet de partenariat et plus particulièrement avec leurs homologues étrangers. Par ailleurs, il est à souligner que le coût pour développer des connaissances stratégiques est très élevé pour les entreprises. Ceci explique donc pourquoi ces entreprises s’orientent vers la coopération avec des entreprises possédant des connaissances stratégiques (Badaracco, J.L. 1991) au contact desquelles elles peuvent acquérir et intégrer des connaissances managériales nouvelles et/ou à développer. Il convient toutefois, de préciser que ces connaissances managériales sont intimement liées aux connaissances techniques. C’est pourquoi nous ne pouvons les exclure totalement de notre étude, car elles coexistent avec les connaissances managériales dans les trois projets de PPP étudiés. 4. Démarche vers le terrain : Nous avons souhaité comprendre ce phénomène par le questionnement du « comment se fait » le transfert de connaissances managériales issues d’un projet de PPP. Cela constitue, pour nous, une problématique complexe soulevant des difficultés d’ordre théorique, mais aussi méthodologique. De ce fait, nous tenons à souligner que cette recherche doctorale se focalise uniquement sur la stratégie adoptée par le partenaire public face au besoin d’acquisitions de ces connaissances dans un objectif de fournir un service public de qualité et ainsi avoir une autonomie managériale après l’achèvement du contrat. Le but de ce questionnement, n’est pas uniquement de savoir comment le transfert de connaissances s’opère d’un émetteur vers un récepteur, mais de comprendre comment le récepteur de la connaissance acquiert, intègre et diffuse puis utilise ces connaissances managériales lors de ce processus. De plus, les connaissances managériales sont des connaissances à forte dominante tacite, enracinées dans des routines organisationnelles et dans des schémas de pensées ainsi que dans les organisations et les expériences des individus. Ceci explique à la fois la complexité de leur management et de leur transfert. La difficulté de mesurer la profondeur et l’efficacité de ce transfert de connaissances (du processus initial au processus final) doit également être soulignée en raison des difficultés liées à la récolte des données (notamment la confidentialité des documents internes) et de l’interprétation du discours des acteurs impliqués. Pour simplifier notre travail de recherche, nous avons été amenés à limiter le choix des modalités des PPP, pour nous focaliser sur le phénomène du transfert de connaissances dans les contrats de partenariats de courte durée. Ces formes de contrats sont le support de notre terrain d’étude, comme le contrat de gestion (management) qui se déroule sur une période entre 3 et 5 ans ou encore le contrat d’exploitation, de maintenance et de gestion, qui lui, a une durée de 8 ans. Dans ces types de partenariat, les deux partenaires sont en interaction continue du début à la fin du projet, c’est-à-dire que les cadres expatriés choisis pour mener le projet de PPP occupent souvent le même poste en binôme avec des managers locaux. De plus, les contrats de PPP retenus dans notre étude sont presque arrivés à terme, sauf pour 14 l’entreprise RATP Dz, ce qui nous permettra d’apprécier l’utilisation et l’intégration de connaissances managériales de la part de ces managers locaux au sein de l’organisation. En suivant les propos de Denzin, N.K. & Lincoln, Y.S. (1994 : 2) nous avons déterminé notre sujet d’étude en fonction de : « ce qui est disponible dans le contexte, et ce que le chercheur peut faire dans ce cadre » 11. Ces auteurs considèrent en effet que le positionnement méthodologique et épistémologique d’un travail de recherche ne doit pas être choisi a priori. Pour autant, cette posture est influencée largement par le contexte (le terrain) et les questions étudiées (la problématique, les hypothèses de recherche, etc.) ainsi que le cadre des justifications théoriques mobilisées. Ce positionnement dépend du chercheur et de sa façon de voir le monde, ce qui a forcément un impact et une influence sur le choix et la manière d’interpréter les résultats. Blaug, M. (1982) considère qu’il est rare de faire une interprétation réellement libre des faits, c’est-à-dire dénuée de toute idée préconçue. De plus, nos investigations épistémologiques nous ont aidés à centrer et positionner notre orientation dans une perspective à dominante interpétativiste. Cette perspective vise à connaitre les pratiques et mécanismes de ce processus afin de comprendre les phénomènes en décryptant le sens et les raisons que les acteurs leurs confèrent, et en cherchant à comprendre les motivations et les attentes de ces derniers. Pour cela, la démarche de notre recherche doctorale sera abductive. En effet, cette démarche nous est apparue bien adaptée pour une telle question de recherche12 . Dans son prolongement, la nature de ce travail de recherche, comme nous l’avons cité précédemment, entre dans un cadre davantage exploratoire et dans une logique de découverte de la réalité, où nous établissons certains phénomènes13 à partir de l’observation non participante, et la mise en évidence de faits à partir des discours des acteurs impliqués. Ce raisonnement nous a amenés à prendre pour objet d’analyse la question du comment des entreprises publiques algériennes de service public se sont engagées dans des projets de partenariat avec leurs homologues étrangères. En effet, notre motivation de compréhension de ce phénomène et la nature de notre question centrale, nous oriente à choisir une démarche méthodologique qualitative. Cette méthode est basée sur des cas-multiples afin de mettre en valeur la prise en compte de ce processus de transfert de connaissances. En effet, l’étude de cas-multiples nous aide à choisir un cas pilote et l’analyser avec les divers cas choisis. Cette pluralité d’études et d’analyses des cas, nous permet d’apporter plus d’éclairage sur les 11 “What is available in the context, and the researcher can do in that setting”. Traduction libre. 12 Nous donnons plus de détails sur la démarche abductive dans le troisième chapitre. 13 Ces phénomènes à découvrir (comme conclusion de cette recherche) sont réfutables en comparant avec des lois universelles. 15 principaux résultats et conclusions. Le point fort de cette méthode se résume dans l’application d’une logique de reproduction des résultats concernant notre problématique de recherche.
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