Le partage des éléments en traces dans l’olivine

Le partage des éléments en traces dans l’olivine

L’olivine est un silicate de fer et de magnésium de formule chimique (Mg, Fe)2SiO4. Elle compose plus de 50 % des péridotites du manteau supérieur et disparait aux alentours de 410 km de profondeur au profit de la wadsleyite, un polymorphe de plus haute pression. Elle est aussi la première phase minérale à cristalliser lors du refroidissement progressif de la plupart des magmas basiques, composant une partie de la minéralogie des basaltes et des gabbros ou roches cumulatives associées. Elle est enfin un constituant important des chondrites. Dans le cadre de cette thèse l’olivine est la phase minérale très largement dominante des roches étudiées, constituant de 40 à 90 % des harzburgites et wehrlites par exemple et plus de 90 % des dunites.
Une roche est constituée à 99 % d’éléments majeurs, éléments dont les teneurs, exprimées en pourcentage poids d’oxydes, sont supérieures à 1 % du poids de la roche. La composition en éléments majeurs de l’olivine est par exemple dominée par les oxydes de magnésium, de silicium et de fer (pour les olivines de péridotites MgO ~ 48,5 % poids, SiO2 ~ 41 % et FeO ~ 9,5 %). Les éléments mineurs (concentrations comprises entre 0,1 % et 1 %) et les éléments en traces (inférieures à 0,1 % poids) complètent le contenu chimique de l’échantillon géologique. Leurs teneurs sont exprimées en partie par millions (μg.g-1, ou ppm) ou partie par milliards (ng.g-1, ou ppb) selon leur concentration* . De par leur comportement chimique et malgré leur faible concentration, les éléments en traces sont des témoins potentiels des évènements qui ont amené à la formation de la roche et notamment des processus magmatiques mis en jeu (fusion partielle, cristallisation fractionnée, assimilation/contamination par exemple) ou des phénomènes métasomatiques, d’hydrothermalisme ou d’altération.
La distribution d’un élément en trace X entre une phase solide – un minéral – et une phase liquide – par exemple un magma – à l’équilibre chimique résulte de l’affinité plus ou moins importante de cet élément avec ces deux phases. Le coefficient de partage Kp permet de décrire de façon simple son comportement ; c’est le rapport des concentrations de X dans le solide et dans le liquide lorsque ces deux phases sont à l’équilibre : Kp (X) = [X]solide / [X]liquide.
Un élément dit compatible est un élément qui incorpore facilement le réseau cristallin (Kp > 1). Au cours de la fusion partielle d’une roche, l’élément compatible restera préférentiellement dans la phase résiduelle plutôt que d’intégrer le magma généré. Au contraire, au cours de la cristallisation fractionnée d’un magma, ce même élément incorporera le minéral cristallisé au lieu de se concentrer dans le liquide résiduel. Par analogie un élément dit incompatible est un élément qui va ou reste préférentiellement dans la phase liquide (Kp < 1) ; on parle aussi d’élément hygromagmatophile (Kp << 1). Le coefficient de partage d’un élément peut être très variable d’une espèce minérale à l’autre, cet élément pouvant être compatible dans l’une des phases et incompatible dans l’autre. Les paramètres géologiques qui influent sur le coefficient de partage sont la température et la pression, la composition chimique du liquide, de celle de la phase solide ainsi que sa cristallochimie, géométrie de son réseau cristallin. La compatibilité d’un élément et donc la possibilité de substitution d’un élément par un autre dépendent de son rayon ionique et de sa valence. Goldschmidt introduit en 1925-1926 trois règles empiriques pour expliquer la distribution des éléments lors de la formation des minéraux (Goldschmidt et al., 1926) :
Deux ions de même valence et de rayon ionique identique se substituent facilement et forment une solution solide, tels le magnésium et le fer dans l’olivine.
Si deux ions de même charge ont un rayon ionique proche, le plus petit sera préférentiellement intégré à la phase solide. Lors d’une substitution par échange chimique entre une phase fluide et une phase solide, la différence de rayon ionique des deux ions qui se substituent l’un l’autre ne doit pas dépasser 15 %. De 15 % à 30 % la substitution est possible mais partielle.
iSi deux ions ont un rayon ionique identique mais une différence de valence, l’ion à la charge la plus élevée intègrera préférentiellement la phase minérale. Lors d’interactions fluides/roche, une différence d’une unité de charge ionique des deux ions rend la substitution possible uniquement s’il y a un couple de remplacement pour compenser l’excès ou le déficit de charge. iv) Ringwood introduit en 1955 une quatrième règle mettant en avant l’importance de l’électronégativité, capacité d’un élément à attirer à lui des électrons lors de la formation d‘une liaison chimique avec un autre élément. Deux ions au rayon ionique proche et à la charge identique peuvent avoir des difficultés à se substituer si leur électronégativité diffère trop ; l’un formera facilement des liaisons (celui à l’électronégativité la plus faible) et intègrera la phase minérale, l’autre se substituera plus difficilement.
Le concept de potentiel ionique, définit comme le rapport entre la charge d’un élément et son rayon ionique (Z/r) (Cartledge, 1928), a amené à la distinction de deux principaux groupes d’éléments incompatibles (Goldschmidt, 1937) :
Les LILE (Large-Ion Lithophile Elements : K+ , Rb+ , Cs+ , Sr2+, Ba2+, Pb2+, Eu2+), éléments lithophiles au faible potentiel ionique, de faible charge mais que le trop grand rayon ionique rend incompatibles dans la plupart des phases minérales (Figure 3.1). Les ions au faible rayon ionique intègrent en effet plus facilement le réseau cristallin. Les phases minérales riches en potassium telles que les feldspaths potassiques, les micas et les amphiboles ont cependant des teneurs relativement fortes en ces éléments. Les éléments au fort potentiel ionique ou fort effet de champ (HFSE ; High Field Strength Elements), dont le potentiel ionique est supérieur à 2 (Figure 3.1). Ce groupe comprend Zr4+, Hf4+, Nb5+, Ta5+, Th4+, U4+ et U6+ ainsi que les lanthanides, également appelées terres rares (REE ; Rare Earth Elements) : La, Ce (Ce3+ ou Ce4+), Pr, Nd, Pm, Sm, Eu (Eu3+), Gd, Tb, Dy, Ho, Er, Tm, Yb, Lu. Le Sc3+ et surtout l’Y3+ présentent également un caractère géochimique similaire aux terres rares. L’europium présente deux états de valence, le trivalent Eu3+ au comportement de HFSE et le divalent Eu2+ au comportement davantage proche de celui des LILE.
Les sites cationiques de l’olivine occupés par Mg2+ et Fe2+ sont trop petits pour piéger en quantité la plupart des éléments en traces incompatibles. Le Ni ou le Co sont compatibles dans l’olivine du fait d’un comportement chimique proche du fer et du magnésium : une charge 2+ commune et un rayon ionique proche (riMg 2+ = 0,65 Å** < riNi 2+ < riCo 2+ < riFe 2+ = 0,76 Å ; riLa 3+ = 1,15 Å). Les terres rares, HFSE, LILE et la plupart des métaux de transition s’y concentrent au contraire en très faibles quantités. Leur coefficient de partage pour une olivine en équilibre avec un magma basaltique est très faible, bien inférieur à 1 pour les REE par exemple (Figure 3.2). Les autres minéraux constitutifs du manteau terrestre – orthopyroxène, clinopyroxène, plagioclase, spinelle – concentrent ces éléments en plus grande proportion mais les coefficients restent inférieurs à 1, à l’exception des terres rares lourdes (HREE – Heavy Rare Earth Elements ; Dy, Ho, Er, Tm, Yb, Lu) compatibles dans le grenat ainsi que l’Eu2+ dans le plagioclase (Figure 3.3). Le manteau, principalement constitué d’olivine, est ainsi un réservoir géochimique pauvre en l’ensemble de ces éléments en traces, en particulier le manteau supérieur continuellement appauvris par l’extraction de magma à l’axe des dorsales. Le caractère fortement incompatible de ces éléments amène à leur concentration dans les magmas basaltiques et à la formation d’un résidu de plus en plus réfractaire au fur et à mesure de sa fusion partielle. Le rayon ionique croissant des terres rares lourdes (riLu 3+ = 0,86 Å) vers les légères (riLa 3+ = 1,06 Å) (Figure 3.1) rend les LREE plus incompatibles que les HREE dans les minéraux du manteau à l’exception du plagioclase, c’est notamment le cas dans l’olivine (Figure 3.2 et 3.3).

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Composition en éléments traces de l’olivine

L’extrême incompatibilité des éléments en traces dans l’olivine les a rendus impossible à déterminer jusque récemment. Les premières mesures de la concentration de terres rares dans l’olivine datent de la fin des années 1960 et du début des années 1970 et concernaient des nodules de péridotite (Nagasawa et al., 1968; Philpotts et al., 1972) et des météorites (Schnetzler et Bottino, 1971). Les olivines étaient alors séparées mécaniquement avant d’être dissoutes et travaillées en solution. L’apparition au cours des années 1980 d’un système d’ablation laser couplé à un ICP-MS (Inductively Coupled Plasma – Mass Spectrometer) permit d’obtenir des analyses in-situ des éléments en traces dans les matériaux géologiques (Arrowsmith, 1987; Gray, 1985) et l’essor de cette technique analytique amena aux premières mesures par LA-ICP-MS sur olivine fin 1990-début 2000 (Glaser et al., 1999; Grégoire et al., 2000, 2001; Moine et al., 2001; Neumann et al., 2002). L’abaissement constant des seuils de détection des spectromètres de masses a dès lors permis, à la fois pour les analyses en solution ou par ablation laser, de mesurer des teneurs de plus en plus basses (Figure 4.3). Des concentrations en La inférieures au ng.g-1 sont atteintes en 2009 pour des olivines de péridotites imprégnées (« olivine-rich troctolites ») (Drouin et al., 2009).
Les faibles teneurs en éléments en traces dans l’olivine, illustrées ici à travers l’exemple du La, conditionnent nécessairement les compositions des roches totales de lithologies riches en olivines telles que les péridotites. Les dunites, composées à plus de 90 % d’olivine selon les classifications académiques (Streckeisen, 1976), présentent ainsi des compositions en roche totale particulièrement basses. Ce type d’analyse est rarement proposé dans la littérature et a été recensé dans moins d’une dizaine de travaux : Bouilhol et al. (2009), Friend et al. (2002), Gerbert-Gaillard (2002), Godard et al. (2000, 2008), Hanghøj et al. (2010), Monnier et al. (2006), Niu et Hékininan (1997), Prinzhofer et Allègre (1985), Takazawa et al. (2000).
Dans le cadre de cette thèse, l’étude des processus à l’origine de la formation des dunites de la zone de transition manteau-croûte océanique a été basée sur la combinaison d’analyses in-situ sur minéraux et d’analyses chimiques de roches totales. Cette approche a motivé le développement d’un processus analytique permettant l’analyse d’une gamme d’éléments en traces la plus large possible pour ce type de lithologies. Les différentes étapes de ce protocole sont détaillées au chapitre 4. Les analyses des éléments majeurs des minéraux et roches totales, ainsi que les analyses par ablation laser des éléments en traces dans les minéraux, n’ont pas nécessité un travail de développement particulier. Les informations analytiques relatives à l’acquisition de ces données sont regroupées dans l’annexe 1.
Compilation de données des compositions en La dans les olivines. Ces données ont été obtenues pour des laves – basaltes, picrites, roches volcaniques ultramafiques (kimberlites, komatiites) et principalement des laves alcalines (mélilitites, leucitites, ugandites, basanites, ankaramites, latites, trachybasaltes, trachytes, phonolites, rhyolites peralcalines) – ainsi que quelques gabbros, et des péridotites d’autres part – principalement des lherzolites et harzburgites à spinelle et à grenat, quelques dunites et wehrlites – et quelques pyroxénites (webstérites et clinopyroxénites).

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