Le paradoxe de la propagation des murs face à la globalisation

LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

L’avis de la Cour Internationale de Justice doit être observé à la lumière du conflit historique entre Israël et le Territoire palestinien. Par conséquent, c’est à la suite d’une brève remise en contexte que la légalité du mur en droit international humanitaire sera examinée.

1) Contexte historique de la construction du mur La Palestine était autrefois sous mandat britannique. Alors que le gouvernement anglosaxon annonce son retrait des territoires en 1947 et que l’État d’Israël se crée en 1948, un conflit armé éclate entre les peuples juif et arabe. En conséquence, dans une perspective de paix, la Communauté internationale s’est accordée sur le tracé d’une ligne d’Armistice. Également appelée la « Ligne verte », elle a pour but de séparer le sol en deux Etats indépendants17. En 1967, les forces israéliennes franchissent cette ligne. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies invite alors le gouvernement israélien à quitter les territoires palestiniens18. Malgré cela, Israël poursuit son action jusqu’à l’adoption, en 1980, d’une loi fondamentale reconnaissant Jérusalem comme sa capitale. En outre, de nombreuses colonies israéliennes sont illégalement construites dans le Territoire palestinien19. En mars 1996, l’idée de construction d’une clôture de sécurité israélienne émerge. Dans un premier temps, ce projet ne conciliait pas la gauche avec la droite. Cette dernière craignait en effet l’établissement d’une frontière entre Israël et la Cisjordanie, ce qui aurait été le symbole du renoncement à certaines colonies israéliennes dans les territoires palestiniens. Finalement, le projet prend forme avec l’élection d’Ariel Sharon en février 20012021.

2) « Barrière de sécurité » et dispositifs de contrôle L’érection d’un mur en Cisjordanie et principalement autour de Jérusalem débute alors en juin 2002. Selon les Israéliens, il s’agit d’une mesure de défense temporaire. Ils souhaitent éviter le passage de terroristes palestiniens en Israël22. Ils parlent ainsi de « gader bitahon »23, autrement dit de « barrière de sécurité ». Cette barrière se révèle être un système complexe. Elle est composée tantôt de rouleaux de barbelés, d’une clôture d’une hauteur de trois mètres et de divers éléments tels que des bancs de sables et des routes de patrouille24 tantôt d’un mur bétonné d’une hauteur de huit mètres25. Elle s’étend sur 710 kilomètres, au total, selon l’ONG israélienne B’Tselem26. De même, elle s’écarte de la ligne verte à plusieurs endroits, s’enfonçant dans les territoires occupés. Ainsi, selon le rapport de décembre 2003 du Secrétaire général des Nations Unies, 16,6% de la Cisjordanie se trouverait entre la ligne verte et le mur27. En sus de l’obstacle matériel que constitue le mur, un large dispositif juridique de contrôle est dressé par le gouvernement israélien : postes de contrôle, bouclages, couvrefeux… Depuis la Première Intifada, un régime de limitation des déplacements est instauré dans les territoires occupés28. Par la suite, quatre ordonnances émises par les autorités israéliennes en 2003 aménagent le territoire compris entre la ligne verte et le mur en zone militaire dite « fermée ». Un système de permis pour demeurer, se déplacer ou encore attester la propriété des terres est instauré29. Les critères d’octroi ou de refus du permis sont arbitraires et totalement aléatoires.

3) Examen de l’avis de la Cour Internationale de Justice La Résolution ES-10/14 adoptée par l’Assemblée générale le 8 décembre 2003 demande à la Cour internationale de Justice de rendre un avis consultatif30 sur la question suivante : « Quelles sont, en droit, les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans les Territoires palestiniens occupés, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du secrétaire général, compte tenu des règles et des principes de droit international, notamment la quatrième Convention de Genève de 1949 et les Résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ? »31. La Cour, témoignant d’une inhabituelle célérité, a rendu son avis le 9 juillet 2004. Elle conclut à l’illégalité des parties du mur construites au-delà de la ligne verte, c’est-à-dire dans les Territoires palestiniens. Les conséquences juridiques qu’elle invoque incombent non seulement à l’Etat d’Israël mais également à l’Organisation des Nations Unies et à tous les Etats membres. Brièvement, concernant les conséquences juridiques, l’Etat d’Israël doit tout d’abord mettre un terme aux violations dont il est reconnu coupable et ainsi procéder au démantèlement immédiat des portions du mur dans le Territoire palestinien. En outre, il est tenu de réparer tous les dommages causés par l’édification de ce mur. Ensuite, des obligations erga omnes incombent aux Etats tiers. Ils sont contraints de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur et celle de faire respecter le droit international humanitaire par Israël. Et finalement, la Cour incombe à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité d’examiner les nouvelles mesures qui devront être prises afin de mettre fin à la situation illicite32.

La légitime défense

L’article 51 de la Charte des Nations Unies ainsi que les Résolutions 1368 et 1373 du Conseil de sécurité reconnaissent aux États membres un droit naturel à la légitime défense en cas d’agression armée. Cette notion est strictement encadrée. Il s’agit du droit reconnu à un Etat de recourir à la force armée de manière nécessaire et proportionnée afin de lutter contre une agression armée étatique. Israël s’appuie sur cette disposition pour justifier l’édification du mur et la mise en place du régime associé. Cependant, la Cour rejette ce moyen sur la base de deux arguments : l’absence d’agression armée étatique et le contrôle du territoire par Israël. Concernant le premier argument, une incertitude existait quant à savoir si la notion d’agression armée pouvait être étendue aux acteurs non étatiques, entendons les terroristes. Il est regrettable que la Cour ne se soit pas penchée davantage sur la notion de légitime défense et sur son imbrication avec le terrorisme. De la sorte, elle fait fi des conflits armés modernes. Quant au second argument, Israël n’a pas suffisamment démontré que les agressions provenaient d’un territoire dont il n’avait pas le contrôle. Ainsi, les attaques n’impliquaient pas la paix et la sécurité internationale et l’application de l’article 51 n’était par ailleurs pas pertinente. Il est tout autant décevant que la Cour n’évoque pas directement52 le principe de proportionnalité dans son avis53.

Cet argument aurait été d’une efficacité remarquable pour rejeter la justification fournie par l’Etat d’Israël54, dans le cas où le mur aurait été jugé nécessaire pour protéger les droits légitimes des citoyens israéliens. En effet, même si l’érection du mur est un moyen trouvé par les autorités israéliennes pour empêcher les infiltrations de groupes terroristes en Israël, il s’agit, selon nous, de la solution la plus extrême et la plus préjudiciable pour la population locale. Dans son arrêt Bayt Surik du 30 juin 2004, la Cour suprême israélienne affirme que le tracé du mur porte atteinte de manière disproportionnée aux droits des habitants palestiniens de huit villages en ce qu’ils se trouvent séparés de leurs terres et vergers. Ainsi, quand bien même elle considère l’érection du mur conforme au droit international humanitaire en ce qu’il correspond aux impératifs de sécurité55, les autorités israéliennes sont invitées à réétudier le tracé afin de diminuer les dommages causés aux Palestiniens. En effet, conformément aux articles 46 du Règlement de La Haye et 27 de la quatrième Convention de Genève, la prise de possession de terres par le commandement militaire ne doit en aucun cas nuire à la population locale. En conséquence, la Cour suprême annule les ordres d’expropriation donnés par les autorités israéliennes56.

Illusion d’efficacité Actuellement, la barrière n’est toujours pas achevée61. En effet, 56,6 km sont en cours de construction et les travaux n’ont pas encore débuté sur plus de 211 km62. En outre, depuis 2007, les autorités israéliennes reportent progressivement le budget affecté à la barrière à d’autres projets de sorte que la construction du mur ne semble plus être une priorité63. Pourtant, son efficacité est communément admise en Israël. En décembre 2003, « Fence is proving effective » est clamé par le ministère de la Défense israélien64. L’effectivité de la barrière est alors démontrée dans un contexte précis. En juin 2004, la majorité des Israéliens soutient l’utilité de la barrière (78%) et estime qu’elle a accru le sentiment de sécurité (62%)65. La barrière de sécurité, prémisse de la diminution du nombre d’attentats-suicides palestiniens, semble opportunément porter son nom. En termes de statistiques, 420 Israéliens ont été tués dans des attentats en 2002. En 2003, quelque temps après le début de la construction du mur, le nombre de victimes israéliennes chute à 185 contre 108 en 2004.

Et le bilan ne cesse de s’améliorer : 50 Israéliens perdent la vie en 2005, 24 en 2006, 13 en 2007,…66 Toutefois, cette corrélation entre la barrière et la diminution d’agressions vantée par les représentants politiques et communément admise par le peuple israélien peut aisément être remise en cause67. Dans un premier temps, les statistiques ne sont, par nature, pas suffisamment fiables. En effet, outre les fluctuations imputables aux divers intérêts des organisations qui les traitent, les chiffres ne permettent pas de savoir si la barrière est la principale raison de la diminution des attentats terroristes68. Dans un second temps, le dispositif sous-jacent à la barrière est davantage convaincant dans l’explication de la diminution statistique du nombre d’agressions69. En parallèle à la construction du mur, le gouvernement d’Israël a déployé de nombreux mécanismes de contrôle des Palestiniens. A partir de 2002, des couvre-feux sont imposés au sein des territoires occupés. Par la suite, de nombreux checkpoints ont été mis en place, limitant constamment les déplacements de la population. Les services de renseignements sont également mobilisés par les autorités israéliennes70. Ainsi, des opérations anti-terroristes ciblées peuvent avoir lieu. Nous pouvons donc constater que les forces israéliennes sont présentes en permanence de chaque côté du mur, parées à agir sur-le-champ contre tout suspect. En définitive, la diminution du nombre d’attentats ne serait donc certainement pas envisageable sans les nombreux moyens déployés par le gouvernement au-delà du mur71.

Table des matières

INTRODUCTION
I.- LE « MUR » EN DROIT INTERNATIONAL
A.- Examen des concepts
1) Logique de mur
2) De la frontière mobile aux murs frontaliers
3) Typologie des « murs »
B.- Le paradoxe de la propagation des murs face à la globalisation
II.- EXAMEN DE LA LEGALITE
A.- Le droit international humanitaire
1) Contexte historique de la construction du mur
2) « Barrière de sécurité » et dispositifs de contrôle
3) Examen de l’avis de la Cour Internationale de Justice
B.- Le droit international des droits de l’Homme
1) Exposé des violations potentielles en cas de construction de barrière
2) Justifications
3) Une réponse inadéquate
4) Conclusion
C.- Le droit international des étrangers
1) Le principe de non-refoulement en vertu du droit international des étrangers
2) Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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