Le paradigme interprétatif comme posture épistémologique
La posture épistémologique qui constitue le « filtre philosophique » par lequel on accède à la connaissance, détermine à la fois la démarche générale de la recherche et les choix méthodologiques. Sans rentrer dans la complexité de tous les paradigmes qui existent pour justifier la production de la connaissance, nous adhérerons à la posture épistémologique interprétative qui paraît plus propice à expliquer des phénomènes sociaux que la posture positiviste qui relève le plus souvent des « sciences dures », comme les mathématiques et la physique. Notre recherche n’a pas l’ambition d’expérimenter la réalité et de formaliser des lois universelles mais de chercher à comprendre et à interpréter des phénomènes observés en tentant d’en extraire le sens profond : « Énoncés de (probabilistes, provisoires) possibilités, types idéaux (caricatures de la réalité) ; on ne peut pas établir de lois, on peut essayer d’avoir une certaine abstraction. Cette généralisation se fait par les énoncés de possibilités et des « types idéaux » c’est-à-dire une sorte de caricature de la réalité ou l’on fait ressortir les traits essentiels. »
De plus, nous n’avons pas le souci de rechercher l’objectivité absolue dans la mesure où le phénomène social que nous proposons d’appréhender relève d’une réalité sociale construite, à laquelle chacun des acteurs qui y a contribué, apporte sa propre signification. Enfin, comme il n’y a pas de séparation entre le chercheur et la recherche, les résultats sont par essence subjectifs. L’objectif de cette recherche est la compréhension de l’architecture scolaire participative et de ce fait elle s’inscrit dans une démarche compréhensive et mobilise des méthodes d’enquête qualitatives : l’importance de la dimension humaine, symbolique, affective dans l’architecture scolaire et la production des espaces a orienté notre choix vers ces méthodes. Nous avons donc envisagé des méthodes de recherche qualitatives telles que la recherche documentaire, l’observation directe (parfois participante) et les entretiens semi directifs qui entrent directement en résonnance avec la sociologie de l’interactionnisme symbolique. En effet, le paradigme interactionniste postule que tout acteur social condense en lui une vision, plus ou moins probante de la réalité sociale et des phénomènes sociaux, qui est à la fois fonction de sa position stratégique par rapport au phénomène étudié, dans notre cas l’indicateur sera la participation au projet (non participant, participant actif, participant passif), elle-même interdépendante des autres statuts (comme celui de parent ou non, d’usagers ou pas, …), et fonction de son capital social et de nombreux autres paramètres qui peuvent être d’ordres psychologiques, sociaux, culturels, religieux. Tout phénomène peut donc être appréhendé comme le résultat d’actions, de croyances, et de comportements individuels. C’est pourquoi l’entrelacement de ces multiples attributs qui forgent la personnalité de l’individu ou son « identité personnelle », pour reprendre l’appellationinteractionniste, fait que chaque acteur cristallise une pièce du puzzle de la réalité sociale que nous proposons de reconstituer à la lumière de leurs discours.
La démarche générale de la recherche
La démarche générale de la recherche appelée communément démarche scientifique est un moyen pour accéder à la connaissance scientifique. La méthode de recherche est une mise en forme particulière de la démarche et la méthode permet de vérifier des théories déjà existantes ou de créer de nouvelles hypothèses à tester. Il s’agit donc d’un système d’évaluation et de vérification du savoir produit.
Un design protocolaire inductif
Le fait que nous n’ayons pas pu définir une problématique à l’issue des recherches littéraires et la perspective de travailler sur des processus sociaux, nous a conduit à adopter une position inductive. Dans cette perspective, le chercheur ne dispose pas d’hypothèses préexistantes au terrain qu’il doit valider ou invalider mais au contraire, il doit effectuer d’emblée un travail exploratoire à la quête de nouvelles hypothèses. Les hypothèses formulées a posteriori sont ensuite soumises à l’épreuve de ce terrain. C’est en effet, au sortir d’une phase de travail de terrain exploratoire conséquente avec un retour à la littérature que nous avons fait émerger notre question de recherche, la problématique et les hypothèses. Ce « design protocolaire de recherche » inductif correspondant à la trame qui rend intelligible la cohérence des différentes étapes de la recherche ; il est beaucoup moins figé qu’un protocole hypothético-déductif puisqu’il induit un cheminement où la problématique et les données peuvent évoluer par des itérations terrain-théories.
L’étude de cas comme stratégie d’accès à la connaissance
Compte tenu de la nature processuelle de notre objet de recherche, de son caractère exploratoire dans le monde scolaire, de l’importance de la composante temporelle et contextuelle, nous avons axé notre stratégie d’accès à la connaissance, à distinguer du mode de recueil des données, sur l’étude de cas, 604dont L’« objectif final est une élaboration théorique à partir d’une description. C’est une stratégie de recherche dynamique qui évolue en cours de route pour s’adapter aux particularités du terrain. Les objectifs intermédiaires des études de cas sont les suivants : comprendre une situation et en donner une représentation, permettre une analyse processuelle, mettre en évidence des causalités. La recherche par étude de cas permet de prendre en considération la composante temporelle, les aspects processuels et sont liées à un contexte particulier ».
Par ailleurs, le modèle de l’étude de cas permet de réaliser des analyses comparatives de plusieurs terrains d’investigation. En l’occurrence, la mise en miroir de l’étude de cas de Trébédan avec celle de Saint Ganton nous est parue d’autant plus intéressante que ces deux communes recouvrent des profils sociologiques très proches comme nous le verrons en détail dans la partie suivante.
Principes méthodologiques
L’exposé des méthodes adoptées pour recueillir du « matériau » est important dans la mesure où elles influent directement sur le contenu et inversement la méthode s’adapte en fonction de ce que l’on recherche. « La méthodologie est « l’étude des méthodes permettant de constituer des connaissances » (Avenier & Gavard-Perret, 2008). Ainsi chaque chercheur est appelé, en cohérence avec son positionnement épistémologique, à mobiliser un certain nombre de méthodes d’accès au « réel ». »
Des méthodes de recherches qualitatives
Nos recherches littéraires, notamment l’état de l’art scientifique de l’architecture scolaire en lien avec la pédagogie et le cadre législatif de l’école nous ont permis de cheminer vers une conception de l’espace scolaire comme environnement systémique et dynamique, qui plus est, où la dimension anthropologique est fondamentale. Même si ces investigations n’ont pas favorisé l’émergence et la définition d’une problématique précise au départ, elles nous ont révélées l’importance de la dimension humaine, symbolique, affective dans l’architecture scolaire et la production des espaces. Elles ont par ailleurs mis en relief la nécessité d’introduire les usagers dans le modus operandi de l’architecture scolaire. Elles ont de ce fait orienté notre choix méthodologique. Compte tenu de la nature processuelle de notre objet de recherche, de son caractère exploratoire dans le monde scolaire, de l’importance de la composante temporelle et contextuelle, nous avons axé notre stratégie d’accès à la connaissance, à distinguer du mode de recueil des données, sur l’étude de cas : « Il s’agit d’ « une démarche discursive de reformulation, d’explicitation ou de, d’explicitation ou de théorisation d’un témoignage, d’une expérience ou d’un phénomène».
Les postulats de cette méthodologie confortent notre choix : l’approche qualitative est holistique et globale dans la mesure elle appréhende des phénomènes de nature complexe, qui agissent dans un environnement à plusieurs dimensions : « Les faits humains sont des totalités qui ne peuvent pas être étudiés en séparant chaque composante d’où le caractère holistique de l’approche. De plus, l’étude de ces phénomènes doit prendre en considération l’ensemble des dimensions. Les variables étant multiples et en interaction il est difficile de leur définir un poids relatif, l’approche doit être globale pour accéder aux dimensions notionnelles, normatives, expérientielles et affectives. » 608
Ainsi l’analyse qualitative permet également de saisir les dynamiques de transformation sociale ou culturelle et de repérer l’émergence de nouveaux phénomènes.
Méthode d’analyse des données
L’analyse des données a pour objectif de déconstruire le phénomène social étudié de manière à en extraire les éléments constitutifs. Cette décomposition d’un phénomène global en plus petits éléments, permet de rendre intelligible les liens qu’entretiennent ces éléments entre eux afin de mieux comprendre le phénomène dans sa globalité. Avant de commencer l’analyse des données, il est incontournable d’en déterminer la méthode c’est-à-dire d’expliquer la manière dont nous allons procéder pour « faire parler » nos données. Ainsi, à la suite des premiers entretiens exploratoires que nous avons retranscrits intégralement609 , nous avons procédé à une analyse de contenu par lecture flottante du verbatim recueilli. Les différentes lectures ainsi que les retranscriptions nous ont permises de nous approprier du matériau à notre disposition et de procéder à ce qui est communément appelée l’analyse inductive générale des données qualitatives. Cette démarche, décrite par différents auteurs comme Miles et Huberman610, ou bien encore Paillé et Mucchielli611 , vise à donner du sens aux données brutes recueillies. Elle se réalise généralement en trois étapes : la réduction des données, la condensation et la présentation de ces données que Paillé et Mucchielli612 nomment respectivement : phases de transcription-traduction, de transpositionréarrangement et de reconstitution-narration.
La première phase de l’analyse consiste en un processus inductif de codification menant à la réduction des données autour de thèmes évocateurs. Ce processus de réduction des données s’apparente à un ensemble de procédures visant à « donner un sens » à un corpus de données brutes mais complexes, dans le but de faire émerger des catégories, soit des vocables soit de courtes expressions capables de servir d’étiquettes ou d’unités de sens à un ensemble d’extraits, favorisant la production de nouvelles connaissances. Cette première phase d’analyse exploratoire fut d’ailleurs féconde puisque qu’elle nous a permis d’obtenir une première vue d’ensemble des données à analyser et un ensemble d’informations contextuelles. Des thématiques récurrentes et similaires développées dans les discours de nos interlocuteurs nous ont permis de faire émerger des catégories et des pistes de recherche que nous avons pu mettre en miroir avec les recherches littéraires que nous avions effectuées auparavant sur l’architecture participative et l’urbanisme.
Ainsi nous avons d’abord effectué une analyse purement inductive, de nos entretiens exploratoires sans grille de balisage c’est-à-dire sans que nous ne disposions ni d’un cadre théorique défini, ni de questions, d’hypothèses ou d’objectifs de recherche de départ. Le seul élément à notre portée était notre objet de recherche, l’architecture scolaire et l’idée que la participation des usagers à la programmation d’une école pouvait être un avantage non négligeable au regard de nos lectures. Très vite la question du développement social et local se dessine. La rhétorique faisant référence au développement social, à des pratiques solidaires ou à des remèdes contre l’exclusion et la désertification des campagnes, ou bien encore à la participation des usagers et des citoyens à des projets collectifs, est prégnante dans les entretiens ainsi que dans les documents institutionnels sur les projets que nous avons recueillis. La mise en relief de ces catégories, ainsi que des allers-retours itératifs à la littérature ont donné naissance à un questionnement, des hypothèses de recherche et des cadres théoriques qui sont apparus comme des balises pour interroger le corpus des entretiens. Ces balises nous permettent en effet de disposer d’une grille d’analyse susceptible de nous aider à vérifier nos hypothèses.