Le Jardin des Deux Rives : présentation du terrain d’étude
La naissance du projet
Michel Krieger, artiste peintre et conseiller municipal de la ville de Strasbourg en tant que personnalité issue de la société civile, est le précurseur de l’idée du Jardin des Deux Rives. Il adresse en effet le 29 mars 1995 une note au maire de Strasbourg, Mme Catherine Trautmann, dans laquelle il propose la création d’un jardin transfrontalier, visant à « émanciper le fleuve de la notion de frontière » et qui serait le moyen d’esquisser les prémices d’un développement urbain transfrontalier, là où auparavant se situaient les postes de douane française et allemande. L’idée revêt un grand sens symbolique, il s’agissait de représenter de façon concrète l’amitié franco-allemande entre deux villes, voire deux pays, opposés régulièrement par le passé. L’idée de Michel Krieger trouve écho à la municipalité de Kehl, où l’on souhaitait organiser une « Landesgartenschau », un évènement traditionnel plébiscité en Allemagne, bien moins connu en France, qui s’apparente à un festival de l’art du paysage. L’aménagement devient prétexte à l’évènement ; la création du jardin et l’organisation de la Landesgartenschau, Festival des Deux Rives en version française, sont votées en 1997. Un groupe de réflexion mené par Michel Krieger et composé d’un anthropologue, d’une urbaniste, d’un géographe, d’un philosophe, d’un jardinier/paysagiste et d’un critique d’art amorcent une réflexion sur les composantes d’un tel projet : le territoire, singularisé par le passage en son sein d’une frontière, vise à « magnifier les deux rives » [M.Krieger, entretien du 19/04/2010] en réalisant une cohésion visuelle parfaite autour de la notion de paysage. Ils définissent par la même occasion les bases du cahier des charges relatif au concours d’idées engageant la réalisation du Jardin des Deux Rives. 1.2 La place du Jardin des Deux Rives dans son contexte urbanistique Dès la signature attestant de la réalisation future du Jardin des Deux Rives, le projet est intégré aux programmes d’urbanisme des deux villes. Une Commission transfrontalière Strasbourg-Kehl est instaurée en 1998 afin de renforcer la coopération transfrontalière dans le domaine de l’aménagement et du développement urbain. Elle se compose de la Ville de Strasbourg, de la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS) et 34 de la Ville de Kehl. De plus, pour décider conjointement des orientations liées au plan directeur transfrontalier, un Comité politique de pilotage franco-allemand formé d’élus, de fonctionnaires et de techniciens se met en place. Il représente la maîtrise d’ouvrage du projet Jardin des Deux Rives.
Le noyau d’un projet d’urbanisation transfrontalière en cours
La coopération entre Strasbourg et Kehl en matière d’aménagement du territoire n’est pas nouvelle lorsque l’idée d’un jardin commun est émise en 1998. Dès 1990, les deux villes se rapprochent pour réaliser un concours d’urbanisation, dont l’objet était le développement d’un axe transfrontalier ouest-est, l’axe Strasbourg-Kehl, qui s’étend depuis la place de l’Etoile au centre de Strasbourg jusqu’au pont de la Kinzig à Kehl. L’aménagement du Jardin des Deux Rives s’inscrit dans une logique de valorisation de l’axe transfrontalier, le territoire à urbaniser concernant d’anciennes friches industrielles et militaires, la zone portuaire, le quartier du Port du Rhin, des installations douanières devenues obsolètes depuis le début des années 1990. Jusqu’à présent, la partie orientale de Strasbourg, en bordure du Rhin s’apparentait à un ‘no man’s land’, espace en friche dénué d’activités et de fréquentation, tandis qu’une promenade le long du Rhin existait déjà sur la rive allemande du fleuve. Pour Strasbourg, ce projet est l’occasion de se déployer vers l’Est et d’accroître son rayonnement outre-Rhin. A Kehl, il s’agit d’un vecteur de renouveau urbain visant à remplacer une zone d’installations militaires et douanières désaffectées, afin de revoir l’entrée de la ville par l’ouest. La liaison des deux rives par un aménagement paysager concerté figure parmi les grandes lignes du programme urbanistique transfrontalier. Le programme d’aménagement du jardin se focalise entre autres sur la reconquête d’un paysage rhénan disparu et sur l’articulation de ses faisceaux d’eau avec le territoire urbanisé, garantie de la valorisation du projet Strasbourg-Kehl. « En devenant l’élément réunificateur, le Rhin et son paysage ramèneraient les Strasbourgeois et les Kehlois à vivre ensemble avec le fleuve » [Cahier des charges « Le Jardin des Deux Rives-Zweiufergarten & Landesgartenschau 2004-Festival de l’art du paysage 2004, Etat des lieux et programme d’aménagement, tome 3, août 1998]. Le projet du Jardin des Deux Rives revêt en outre une importance particulière, susceptible de donner une impulsion à d’autres travaux d’urbanisation dans la zone frontalière et au développement de l’axe Strasbourg-Kehl, compris comme une unité. J2 R Carte 4 : le plan directeur du développement urbain de l’axe Strasbourg-Kehl, 1998 ; J2R = Jardin des Deux Rives. (Source: Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Agglomération Strasbourgeoise (ADEUS)) 35 Onze ans après ces préconisations, six ans après l’ouverture du jardin, les réflexions ont progressé et les attentes quant à l’aménagement urbain de ce secteur sont plus ambitieuses : l’urbanisation du Front du Rhin, tel qu’a été nommé le secteur bordant le Rhin au nord du jardin, devrait réduire l’écart entre celui-ci et le centre-ville de Strasbourg, le quartier englobant le Jardin des Deux Rives devenant « un autre centre » [E. Vallens, entretien du 12/04/2010], celui de l’axe Strasbourg-Kehl, désormais qualifiée d’« agglomération transfrontalière » [op.cit.]. Un nouveau schéma directeur transfrontalier actuellement à l’étude déterminera dans une « vision urbanistique partagée » [op.cit.] la fonctionnalité et le style architectural attribués aux constructions du Front du Rhin. L’idée d’y implanter l’Opéra du Rhin est exposée. Le Jardin des Deux Rives se veut donc l’épine dorsale de l’ensemble transfrontalier Strasbourg-Kehl, faisant des rives du Rhin l’un de ses lieux les plus attractifs, contrastant avec les perceptions négatives dont elles souffraient. A cet égard, il est opportun de souligner l’enjeu important que représente la population, garante de la vitalité de cet espace public. La convivialité des aménagements du jardin devient alors, dans le programme d’aménagement, un critère de composition : « Il s’agit de mettre la population en interactivité avec le projet afin de l’inciter à s’approprier progressivement ce site » [Cahier des charges « Le Jardin des Deux Rives-Zweiufergarten & Landesgartenschau 2004-Festival de l’art du paysage 2004, Etat des lieux et programme d’aménagement, tome 3, août 1998].
Un facteur d’intégration du quartier du Port du Rhin
Le développement industriel des ports a généré de multiples réseaux de circulation qui ont subdivisé le territoire du concours en secteurs fonctionnels indépendants : le port, l’habitat, le paysage fluvial. L’enjeu du concours est de réaliser une couture de ces secteurs, afin de rétablir une continuité urbanistique et paysagère. Un des objectifs est, dans cette visée, de faire pénétrer des éléments paysagers à l’intérieur des quartiers frontaliers existants, à Kehl comme à Strasbourg. Parallèlement aux orientations d’aménagement, le souci de l’intégration de la population habitant le quartier n’est pas négligé : si le Jardin des Deux Rives s’adresse à tout un chacun, il vise localement un public de proximité, déjà acquis à Kehl, restant à conquérir sur la rive française. L’ouverture du quartier du Port du Rhin vers le parc du Rhin (parc public précédant le Jardin des Deux Rives sur la rive française) le fleuve et ses berges, et le port est d’ores et déjà en 1998 un objectif du projet de développement urbain de l’axe transfrontalier ; Le schéma de composition à l’attention des candidats au concours d’idées (cf. annexe 2), met en exergue les quartiers d’habitat à intégrer. Il s’agit du quartier du Port du Rhin sur la rive française et de l’ilôt appelé ‘Insel’ sur la rive kehloise. L’entreprise s’annonce moins complexe concernant la population kehloise, Carte 5 : Etat d’avancement des projets urbains de l’axe Strasbourg-Kehl, août 2009. (Source : ADEUS) 36 déjà utilisatrice de la rive allemande. Côté français, le quartier du Port du Rhin, composé à 90% d’habitat social, et abritant une population à faibles revenus, doit être rattaché au site. Conscience est prise de cet enjeu dans le programme d’aménagement, qui stipule que les équipements de loisirs doivent être accessibles à des populations peu aisées : « Tout le succès repose sur la capacité à répondre aux besoins des nombreuses classes modestes. Ce sont d’abord elles qui occupent ces lieux et qui les rendent animés ». [Cahier des charges « Le Jardin des Deux Rives-Zweiufergarten & Landesgartenschau 2004-Festival de l’art du paysage 2004, Etat des lieux et programme d’aménagement, tome 3, août 1998]
Les intentions des concepteurs quant à la création d’un nouvel espace public de plein air : quelles vocations du Jardin des Deux Rives ?
Au-delà du rôle attribué au Jardin des Deux Rives dans les projets d’urbanisme de Strasbourg et de Kehl, il semble intéressant pour répondre à notre problématique, de dégager les intentions associées au projet à l’échelle de l’aménagement.
Le Jardin des Deux Rives comme concrétisation de l’amitié franco-allemande
Le Jardin des Deux Rives est un projet qui se veut refléter l’amitié franco-allemande. Tel qu’il est dépeint dans les déclaratifs politiques, le Jardin des Deux Rives, en tant que premier parc public transfrontalier entre la France et l’Allemagne, traduit la réconciliation franco-allemande. Il vient se substituer à un « glacis militaire », où s’élevaient des bunkers il y a encore quelques décennies, pour devenir « une aire de paix » . Il doit également fournir un symbole ostentatoire de la coopération franco-allemande, faisant fi d’une frontière physique, culturelle et politique de vingt siècles : « sa vocation à l’origine est de faire un « tout » et de montrer qu’il y a là un ensemble paysager qui unit Kehl et Strasbourg, par la passerelle de manière formelle, et par des aménagements » [R. Grossmann, entretien du 12/04/2010]. Outre sa portée dans les représentations, le Jardin des Deux Rives doit trouver d’après le concepteur d’origine une valeur plus concrète, qui naît de l’usage du lieu : « ce jardin sera un lieu de rencontre, un lieu où l’on pourra prendre le temps de découvrir l’autre, de penser « et l’autre et soi-même » » [Krieger, Michel. Le Jardin des Deux Rives, la genèse du projet transfrontalier entre Kehl et Strasbourg. Bischheim, 2004.] L’altruisme est donc au cœur des intentions de Michel Krieger quant à la vocation à donner à ce jardin et suppose l’émergence d’interactions entre usagers provenant de part et d’autre du Rhin. Répondant à l’hypothèse de Fredrik Barth, faisant de la frontière l’élément clé de la distinction des groupes ethniques, Michel Krieger voit dans la Passerelle des Deux Rives, qui franchit le fleuve-frontière, un « lieu de mélange des nationalités, où l’on ne sait plus qui est allemand, qui est français » [M. Krieger, entretien du 19/04/2010] et où déambulent des promeneurs qu’il imagine portés par la même envie : profiter d’un paysage unique qui se compose autour du fleuve.