Le Nouvel Esprit Scientifique

Le Nouvel Esprit Scientifique

Se questionner sur le statut épistémologique de la nutrition, entre le début du XXème siècle et aujourd’hui, c’est tenter de « saisir la pensée scientifique contemporaine dans sa dialectique et en montrer ainsi la nouveauté essentielle »1. Nous avons montré jusqu’ici que l’histoire de la nutrition était étroitement liée à l’histoire des sciences biologiques et à la médicine. Il s’agit maintenant de définir l’unité de la nutrition, ses méthodes et ses outils conceptuels.  Il convient de reprendre ici la définition de « concept » formulée par Canguilhem dans La formation du concept de réflexe. Le concept renvoie à une nomination ou à un nom, utilisé dans des terrains différents et qui prend des sens différents sans que sa vérité première soit altérée2. Notre thèse est que la nutrition comme science s’est constituée au cours du XXème siècle à partir de la définition biochimique du concept de nutriment et des diverses interactions avec les sciences comme la génétique, l’immunologie, la sociologie et la pharmacologie. Nous pensons aussi que cela a permis le développement de disciplines scientifiques autonomes dans le domaine professionnel, donnant ainsi naissance au diététicien. L’idée conceptuelle première du nutriment, nous l’avons identifiée dans la biologie d’Aristote. En effet, pour Aristote il existe une substance extraite des aliments qui après être devenue sang, pourrait se transformer en un tout, composant de l’organisme. Il a fallu attendre la Révolution chimique au XVIIIème siècle pour avoir une idée plus claire de cette substance. En effet, le mot « nutriment » du latin « nutrimentum » ou nourriture a été défini en 1854 par le médecin Lucien Corvisart comme :

« L’aliment n’est qu’une substance brute, d’une qualité toute inférieure ; par lui-même, il n’a aucune propriété pour entretenir la vie, il laisse périr d’inanition celui qui ne digère point ; l’aliment brut par la digestion acquiert tout à coup une aptitude à nourrir, ou si l’on veut, à faire vivre. Lorsqu’il a acquis cette propriété élevée, je l’appelle nutriment. Le nutriment a, par lui-même, la propriété de la B12, en 19385. L’importance de cette période est due aussi à la structuration du métabolisme intermédiaire en cycles, (en particulier le cycle de l’urée et de l’acide citrique par Krebs) et à la découverte des acides aminés essentiels et en général à la notion de « nutriment essentiel »6. Il est important de souligner la place des protéines comme nutriment principal dans la construction de la nutrition comme science d’après les travaux du chimiste allemand Von Liebig. Il saisit l’importance de ce nutriment, en tant que composé chimique qui accélère le début de la croissance des plantes, des animaux et des humains. En conséquence, les systèmes alimentaires européens dominants ont été conçus Connaissant le régime adéquat de la population, la nutrition devient du même coup un instrument politique. Le rôle de l’Etat est d’assurer la sécurité alimentaire. On considère que la moitié de la croissance économique au Royaume-Uni et d’autres pays d’Europe occidentale entre 1790 et 1980 est attribuée à l’amélioration de la nutrition de la Etats Unis en 1917, avec la création de l’Association Américaine de Diététique (ADA, American Diététique Association), en Grande Bretagne en 1924, puis en France en 1945.

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Aux Etats Unis, la mission de l’ADA était d’aider le gouvernement à mieux alimenter les troupes sous la Première Guerre mondiale. En France, la première école de diététique a été ouverte à Paris en 1951 par des biochimistes, physiologistes et médecins. Parmi eux le Professeur Jean Trémolière qui considérait en 1964 la nutrition humaine comme la science qui sert à : L’intérêt de ce concept biochimique et physiologique de nutriment, au cours du XXème siècle est qu’il s’applique à de nouvelles sciences, en particulier, à l’immunologie, la pharmacologie, la génétique et à des sciences humaines comme la sociologie et l’anthropologie. L’importation de la notion de nutriment dans ces champs différents permet d’élargir le champ d’application de la nutrition, mais aussi de caractériser et de limiter le domaine propre de cette science. Autrement dit, le développement des connaissances scientifiques sur les nutriments a entraîné l’exploration de nouveaux domaines et la construction de nouvelles méthodes. Cela a eu également pour effet de fixer des limites et de définir la nutrition comme science et de réorganiser différentes disciplines à l’intérieur de cette science. Il convient donc de retenir que le nutriment est un élément unificateur de la science de la nutrition.

 

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