Le mouvement de concentration des assureurs en complémentaire santé
Contexte des organismes complémentaires d’assurance maladie
« Aide-toi, l’Etat ne t’aidera pas. » Auguste Detœuf
La boutade d’Auguste Detoeuf ne doit pas, ici, être prise au pied de la lettre. Toutefois, force est de constater que les organismes complémentaires d’assurance maladie opèrent dans un environnement particulièrement évolutif, pour ne pas dire instable et bousculé, qui semble sans cesse compliquer leur tâche. L’ACPR évoque d’ailleurs de façon récurrente une « complexification du métier d’assureur complémentaire » (par exemple [ACP, 2010, p.44] et [ACP, 2011, p.54]). Cette complexification est décrite abondamment dans la littérature. Nous évoquerons une partie de cette littérature dans le I.3. Nous nous bornons à rappeler dans ce paragraphe,sans chercher à être exhaustif et sans les détailler, quelques-unes des évolutions principales. Nous nous attarderons en revanche un peu plus longuement sur la réforme dite « Solvabilité II ».
Complémentaire santé : un environnement instable, fortement encadré et fiscalisé Des modèles d’affaires déstabilisés
Les mutuelles s’étaient installées, en complémentaire santé, majoritairement dans l’individuel mais aussi en partie sur le collectif avec des logiques souvent très affinitaires, d’entreprises ou encore territoriales. Leurs « modèles d’affaire », si l’on peut parler de la sorte, se sont trouvés bousculés par la mise en concurrence généralisée qui s’est accélérée dans les années 80. Le rapport Lambert [1998] évoquait la nécessaire préparation à la montée en puissance du marché européen et de ses règles. Sous l’impulsion de ce celles-ci un certain nombre de réformes structurantes clarifient et bousculent les conditions dans lesquelles l’Etat ou les collectivités territoriales peuvent subventionner la protection sociale de leurs agents, mais impacte également les dispositifs issus de la négociation collective ([ADICEO, 2018], [Lefèvre, 2011]). Le marché de la complémentaire santé est finalement fortement transformé, principalement par :
– les évolutions du dispositif de participation de l’Etat : les « référencements » voire les « multi référencements » ;
– celles relatives à la participation des collectivités territoriales à la protection complémentaire de leurs agents (dispositifs de « convention de participation » et de « labellisation » ) ;
– la généralisation du contrat collectif pour les salariés avec participation employeur qui entraîne un progressif déplacement du marché de l’individuel vers le collectif ;
– la fin des « clauses de désignation » remplacées par des « clauses de recommandation » pour les accords de branche.
Philippe Dulbecco [Dulbecco, 2001, al.9] indique notamment à ce propos pour l’ensemble des assureurs : « Et même si la question de la réorientation stratégique ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes selon qu’il s’agit d’une grande compagnie généraliste ou d’une entreprise de taille plus réduite et présente sur un petit nombre de segments de marché, il apparaît que la totalité des acteurs est au bout du compte confrontée à une même contrainte de gestion du changement économique sur des marchés instables. ».
Une fiscalisation forte et croissante des contrats
Les recettes fiscales finançant le fonds CMU-C ont considérablement évolué, alourdissant régulièrement la fiscalité des contrats de complémentaire santé.
Aujourd’hui les personnes qui contractent une complémentaire santé sont donc fortement taxées, ce qui, en réalité, augmente de facto le reste à charge. Elles sont en quelque sorte « dissuadées » fiscalement de recourir à un système assurantiel et donc à une mutualisation des risques. En effet, elles ne payent pas cette taxe si elles décident de s’auto-assurer. On pourrait le voir comme une incitation à ne pas se couvrir.
Pourtant, de ce point de vue la tendance paraît bien inverse : contrats collectifs obligatoires dans les entreprises, logique du 100% santé et CMU-C ne semblent pas plaider pour l’idée qu’une complémentaire santé soit un luxe ou que sa contractualisation ne soit pas recommandée. On ne peut donc pas avancer l’idée que c’est une logique de « ticket modérateur » dissuasif pour éviter l’aléa moral envers l’assurance maladie.
En définitive, et cela a maintes fois été souligné et dénoncé par la Mutualité Française notamment, ce dispositif fiscal manque cruellement de cohérence et de lisibilité . Injuste , il finit néanmoins par frapper presque tout le monde, et ce d’autant plus que l’on veut mieux couvrir, par mutualisation, son reste à charge, lequel peut rester très élevé pour ce qui constitue de vrais risques [Bazzocchi, 2018].
L’encadrement des contrats
Les contrats sont encadrés avec notamment la définition de :
– « contrats responsables » : il doivent respecter un cahier des charges (planchers et plafonds de prise en charge, selon les postes de dépenses). Ils doivent également encourager les assurés à consulter leur médecin traitant avant tout spécialiste ; la TSA est majorée s’ils ne respectent pas ces conditions ;
– « contratssolidaires » : pas de sélection médicale et pas de majoration en fonction de l’état de santé.
Par ailleurs le gouvernement semble tenté d’imposer des « contrat-types », ce qui supprimerait la possibilité de définir les garanties librement et démocratiquement au sein des mutuelles. [Jacoud, Payen, 2019] ou [Beaudet, Pierron, 2019, p. 89] évoquent ce projet qui conduirait à la standardisation de l’offre. L’innovation et la différenciation en matière de contrats de complémentaire santé apparaissent ainsi de plus en plus difficiles pour ne pas dire quasiment impossibles.
Le « 100% santé »
Le gouvernement a mis en place une politique visant à obtenir un reste à charge nul sur certains postes de soins (optique, dentaire, audioprothèse) pour éviter le renoncement aux soins. Elle a nécessité de définir des paniers de soins « 100% santé » dans les trois domaines avec l’objectif d’une bonne qualité et de prix maîtrisés. Le gouvernement a souhaité obtenir par la négociation la mise en place d’une logique de cofinancement entre l’assurance maladie et les complémentaires santé, tout en exigeant de ces dernières que les tarifs n’augmentent pas.
La résiliation infra annuelle
La négociation difficile sur le 100% santé à peine conclue, dans un contexte où le gouvernement souhaitait aussi la maîtrise des cotisations des complémentaires, celui-ci fait voter une loi déstabilisant la gestion des contrats. La possibilité va être donnée aux adhérents de résilier les contrats de façon infra-annuelle. Il est anticipé de la part des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) que cela pourrait augmenter à nouveau les frais de gestion et compliquer la gestion du tiers payant. Cette réforme a été fortement critiquée par la mutualité française . Le tempo et l’ordre de mise en place de ces deux réformes, 100% santé et résiliation infra annuelle, étonnent. Un accord est d’abord trouvé, puis un élément bouscule les conditions d’exercice des OCAM.
Autres évolutions
Jaouen [2019] évoque aussi l’évolution du risque santé du point de vue des assureurs, avec une tendance à évoluer d’un « risque court » vers un risque plus long. Les raisons avancées sont d’ordre technique (développement de produit assurant des risques propres au vieillissement comme l’assurance dépendance pluriannuelle) mais aussi d’ordre réglementaire (règles relatives à la portabilité des contrats collectifs issues de la loi Evin).
Introduction |