Le modèle de programmation mathématique avec buts
La version initiale du «Goal Programming» (GP) a été développée par Charnes et al. (1955) et Charnes et Cooper (1961). Depuis, ce modèle est devenu l’un des modèles les plus connus et les plus utilisés de la programmation mathématique à objectifs multiples (Romero, 1991). Il a connu un essor fort impressionnant à en juger le nombre d’articles, d’ouvrages et même de conférences qui lui sont dédiés. Pour une revue de la littérature du sujet, le lecteur peut se référer à Charnes et Cooper (1961, 1977), Lee (1972), Kornbluth (1973), Lin (1980), Ignizio (1976, 1982-a), Romero (1991), Min et Storbeck (1991), Tamiz et al. (1995) et Aouni et Kettani (2001). Le modèle du GP est un outil d’aide à la décision qui s’applique, en général, aux contextes décisionnels où plusieurs objectifs doivent être pris simultanément en considération. Ces différents objectifs étant généralement conflictuels, il est difficile de les optimiser simultanément. À titre d’exemple, pour le choix d’un portefeuille d’actifs financiers, un investisseur aura vraisemblablement à considérer deux objectifs conflictuels, à savoir : maximiser le rendement espéré et minimiser le risque. Pour faire ce choix, l’investisseur aura ainsi à faire un compromis entre le degré de risque qu’il est prêt à assumer et le rendement qu’il espère obtenir. Ainsi, une décision relative à une situation donnée peut être considérée comme étant, généralement, le résultat d’un compromis à faire entre différents objectifs, la réalisation de certains ne pouvant se faire qu’aux dépens des autres objectifs. Pour aider les décideurs devant faire ce type de choix, le modèle du GP s’est révélé être un modèle d’une grande utilité. En l’occurrence, ce modèle est basé sur une philosophie de satisfaction qui a pour rôle d’assister le décideur, voulant satisfaire simultanément différents objectifs, à évoluer vers une solution de compromis qu’il juge la plus satisfaisante (Ignizio, 1982-b; Aouni, 1998; Ogryczak, 2001-a). Généralement, il s’avère nécessaire dans la formulation du modèle du GP d’introduire une information relative aux préférences du décideur. Cette information peut varier d’une situation décisionnelle à une autre. Elle peut être également introduite par le biais de divers paramètres pouvant être sous forme de coefficients d’importance relative, d’un certain ordre à titre d’exemple. De plus, plusieurs concepts ont été développés afin de modéliser ces préférences telles que les fonctions de pénalité, les fonctions de satisfaction et celles d’utilité (Romero, 2004). Certaines critiques ont été formulées vis-à-vis du modèle du GP. En plus des problèmes d’agrégation généralement rencontrés en aide multicritère à la décision et, en particulier, dans la programmation mathématique à objectifs multiples, il lui est reproché la quasiabsence du décideur dans le processus décisionnel (Aouni, 1988, 1998; Hannan, 1985; Ignizio, 1983; Martel et Aouni, 1990; Zeleny, 1982). Ceci est particulièrement justifié pour le GP dans sa version standard. Cette lacune peut représenter un inconvénient majeur d’autant plus que, dans une perspective d’aide à la décision, le décideur est appelé à jouer un rôle significatif tout au long du processus décisionnel. Ainsi, il est important de représenter le plus fidèlement possible les préférences du décideur dans le modèle mathématique. Toutefois, il est à noter que Romero (1991) a démontré que, le plus souvent, les difficultés que pose le modèle du GP trouvent leurs origines dans de mauvaises pratiques de modélisation et non pas au niveau des caractéristiques intrinsèques du modèle. Néanmoins, étant un modèle flexible et attractif (Ignizio, 1983), les divers développements théoriques qu’a connu le modèle du GP ont amené au développement de multiples variantes. Ces dernières permettent de modéliser différents types de situations décisionnelles et introduisent l’information relative aux préférences du décideur en utilisant différents paramètres. Par ailleurs, les variantes du GP les plus utilisées sont le GP pondéré et celle du GP lexicographique (Romero, 1991; Tamiz et al., 1995). La modélisation des préférences du décideur est une étape essentielle dans le modèle du GP ainsi que ses variantes. L’objet du présent chapitre est ainsi de faire ressortir les éléments les plus saillants de la modélisation des préférences du décideur dans les principales variantes du modèle du GP. Cette analyse a pour objectif de caractériser ces variantes selon le moment d’introduction des préférences du décideur dans le modèle considéré et le(s) paramètre(s) utilisé(s) pour les représenter. Dans la section 2, le modèle du GP est présenté dans sa version standard. Bien que toutes les variantes énoncées après cette section constituent en fait les principales variantes du GP, nous avons choisi de regrouper cinq variantes du GP, dont trois sont les plus 52 utilisées, dans la section 3. Ces variantes ont généralement été développées à l’origine pour des contextes où les valeurs des buts sont considérées comme des valeurs précises. Dans la section 4, nous avons regroupé les variantes généralement utilisées dans les contextes décisionnels imprécis. Cependant, il est à préciser que le GP incluant des fonctions de satisfaction peut être aussi appliqué à ce type de contexte. Enfin, nous présentons le modèle du GP interactif dans une section à part car le GP ainsi que plusieurs de ses variantes ont été développé à l’origine en tant que méthodes introduisant a priori l’information relative aux préférences du décideur.
Le Goal Programming standard
La formulation du modèle du GP consiste généralement à déterminer en premier lieu un ensemble de buts (Romero, 1991; Pongpeng et Liston, 2003). Ces derniers représentent des valeurs attribuées à un certain nombre d’objectifs retenus pour une situation décisionnelle donnée. Les buts ainsi définis reflètent les degrés d’aspiration que le décideur attribue à chaque objectif. Le modèle du GP se propose de minimiser les déviations qui constituent les écarts enregistrés entre les degrés d’aspiration (buts) préalablement fixés par le décideur et les degrés de réalisation des objectifs. Romero (1985) considère le modèle du GP comme étant un cas particulier du «Distance Function Model» (DFM). Dans ce dernier, la solution la plus satisfaisante est établie de manière à ce que la somme totale des déviations pondérées et amplifiées soit minimisée. La forme générale du DFM se présente comme suit : Programme 2.1 : 1/ X 1 Minimiser ( ) r r p i i i x i w g f x ∈ = − ∑ où : X : désigne l’ensemble des solutions réalisables; wi : le coefficient de pondération de l’objectif i ; i g : le degré d’aspiration (le but) relatif à l’objectif i ; 53 ( ) i f x : le degré de réalisation de l’objectif i ; r : représente le paramètre qui définit la famille des fonctions distance; ( ) i i g f x − : désigne la déviation absolue entre le niveau d’aspiration et celui de réalisation de l’objectif i . Le programme 2.1 est non-linéaire. La forme linéaire équivalente a été présentée par l’expression de Charnes et al. (1955) et Charnes et Cooper (1961) sous la forme suivante : Programme 2.2 : Minimiser ( ) 1 Z P i i i δ δ + − = = + ∑ Sujet aux contraintes : i i i i ( x g ) δ δ − + ƒ + − = (pour i = 1, 2,…, p); x∈X ; i δ − et 0 i δ + ≥ (pour i = 1, 2,…, p); où : i δ − et i δ + : indiquent respectivement les déviations négatives et positives relatives au ième but. Ainsi, le programme mathématique 3.2 correspond au modèle du DFM (programme 2.1) lorsque le paramètre r =1, les coefficients de pondération 1 wi = et les fonctions ( ) i f x sont linéaires. En outre, le programme mathématique 2.2 est la formulation du modèle du GP standard où les écarts entre les degrés de réalisation et d’aspiration sont à minimiser. Dans ce modèle, le décideur est principalement appelé à fixer les buts relatifs aux objectifs retenus. Son implication dans le processus décisionnel s’arrête généralement à ce stade. Ainsi, les préférences du décideur ne sont pas explicitement prises en compte (Aouni 1988; 1998; Martel et Aouni, 1990). Ceci constitue probablement l’une des raisons pour lesquelles Hannan (1985) a considéré le modèle du GP comme étant une méthode qui se situe entre la non-articulation et l’articulation a priori des préférences du décideur. Cependant, ce modèle est généralement considéré comme appartenant à la catégorie des méthodes de la PMOM avec une articulation a priori des préférences du décideur (Hwang et al., 1980; Evans, 1984; Pongpeng et Liston, 2003). Par ailleurs, González-Pachón et Romero (2004) considèrent que la mise en œuvre du modèle du GP nécessite la détermination de quatre ensembles, à savoir : a) l’ensemble des objectifs pertinents à une situation décisionnelle, b) l’ensemble des buts que le décideur attribue aux objectifs, c) l’ensemble des déviations correspondant à chaque objectif, et enfin, d) l’ensemble des déviations indésirables au décideur. Ils caractérisent ainsi les principes sous-tendant ce modèle par les trois axiomes suivants : l’axiome d’allocation, l’axiome de classification et l’axiome de choix. Le premier axiome présuppose que le décideur peut attribuer à chaque objectif un but satisfaisant. Le deuxième axiome implique que le décideur a la possibilité de caractériser chaque objectif selon l’une des trois relations suivantes : a) au moins autant que le but déterminé, b) au maximum comme le but déterminé, et, c) égal au but spécifié. Cet axiome équivaut à déterminer le type de déviations indésirables pour chaque but; il peut s’agir ainsi de minimiser la déviation négative, ou la déviation positive, ou la somme des déviations négative et positive. Le troisième axiome, selon González-Pachón et Romero (2004), stipule que le décideur choisit pour chaque objectif l’une des trois relations citées cidessus comme représentant sa relation de préférence pour cet objectif. Cette relation implique d’une part, dans le GP la minimisation d’une certaine fonction des déviations; et d’autre part, que les solutions qui se rapprochent le plus du but spécifié sont préférées à celles qui s’en éloignent (González-Pachón et Romero, 2004). Le modèle du GP ne se limite pas à sa version standard. D’autres formes ont été développées et correspondent, en fait, aux différentes variantes du modèle du GP (Romero, 1991). Chaque variante correspond à une manière particulière et différente d’introduire l’information relative aux préférences du décideur. Par conséquent, il s’avère possible, comme l’ont souligné Aouni et Kettani (2001), d’appliquer les classifications d’Evans (1984) et de Hwang et al. (1980) relatives aux méthodes de la PMOM, selon le 55 moment d’introduction des préférences du décideur, au modèle du GP pour ses différentes variantes. De plus, Pongpeng et Liston (2003) considèrent que les préférences du décideur («subjective inputs» selon eux) peuvent être formulées par le biais de plusieurs éléments : un ensemble de buts, des coefficients de pondération et une fonction d’utilité. Les principales variantes du modèle du GP qui s’avèrent être les plus utilisées (Romero, 1991, 2004; Tamiz et al., 1995) sont le GP pondéré et le GP lexicographique. Il existe, cependant, d’autres variantes qui semblent être toutes aussi pertinentes et qui devraient être vraisemblablement plus utilisées. Dans la section suivante, nous nous intéressons, sans être exhaustif, à différentes variantes du modèle du GP généralement utilisées dans des situations décisionnelles caractérisées par un environnement certain.
Les principales variantes du modèle du GP
De nos jours, dans un environnement complexe et multiforme, les décideurs doivent faire face à une multitude de situations décisionnelles aussi diverses les unes que les autres. Par conséquent, l’information disponible relative à ces différentes situations va différer selon les cas. Plusieurs variantes du modèle du GP, pouvant être utiles à la modélisation des différents types d’information disponible, ont été développées. Dans la présente section, nous allons présenter certaines de ces variantes, parmi lesquelles nous retrouvons les plus utilisées, les versions dites pondérée et lexicographique. Ces dernières seront illustrées à l’aide d’un exemple numérique.
Le modèle du GP pondéré
Le GP standard, à l’instar des autres modèles de la PMOM, pose certains problèmes en termes, par exemple, d’incommensurabilité des unités de mesure et de représentation inadéquate des préférences du décideur. Le GP pondéré (GPP) tente de pallier à certaines de ces insuffisances. La particularité de cette variante consiste en l’introduction dans le 56 GP standard des coefficients d’importance wi . Le GPP se présente ainsi sous la forme suivante : Programme 2.3 : Minimiser ( ) 1 Z P i i i i i w w δ δ + + − − = = + ∑ Sujet aux contraintes : i i i i ( x g ) δ δ − + ƒ + − = (pour i = 1, 2,…, p); x∈X ; i δ − et 0 i δ + ≥ (pour i = 1, 2,…, p); où : wi + , wi − : représentent les coefficients d’importance relative attribués aux déviations positives et négatives respectivement. Pour mieux illustrer la formulation du GPP, nous utilisons l’exemple (tiré d’Anderson et al., 2005) suivant : Exemple 2.1 : Le département marketing d’un constructeur de voitures voudrait, dans le cadre du lancement d’un nouveau modèle de luxe, envoyer des invitations pour tester ce modèle à deux groupes cibles de clients, à savoir : a) les propriétaires de ce type de véhicule que produit le dit constructeur (clients établis), et, b) les propriétaires de voitures de luxe produites par les concurrents (nouveaux clients potentiels). Le coût d’envoi d’une invitation personnalisée est estimé à 1$ par lettre. L’entreprise estime que 25% des clients établis et 10% des nouveaux clients potentiels contactés vont tester le nouveau modèle.