Le modèle culturel contemporain
«Aux États Unis, le sociologue R Castel1 montre comment dans une société où domine un discours justificateur de la réussite sociale et de la richesse, la pauvreté et la marginalité sont quelque chose d’exotique. Dénégation qui n’est pas seulement un effet de discours: la pauvreté dans une société d’abondance ne saurait exister; il n’existe que des pauvres à assister. Cette dénégation est l’effet dans le discours de l’ensemble des pratiques sociales qui dénient au pauvre un statut social. La misère n’est pas une conséquence structurale de l’organisation sociale; elle est la masse critique atteinte par une sommation d’individus dont chacun porte en lui la raison de sa déchéance. Elle est bien «Sociale» en ce sens qu’à partir d’un seuil critique les problèmes qu’elle pose doivent 2tre gérés par la société mais elle n’est pas sociale dans sa signification puisqu’elle ne renvoie qu’à un sujet qui la porte. Ainsi la politique de l’assistance est, et n’est que, la gestion des déficiences individuelles.» Cette citation a pour but de rappeler où se situe l’objet de notre recherche. Celle-ci veut évaluer les effets d’une formation par l’intermédiaire de ses agents; effets vis à vis des inégalités éducatives. Comme dans l’extrait, le regard porté s’effectue sous un angle social. Le premier chapitre positionnait notre étude face aux inégalités dans des contextes. Le second avait pour but de cerner une formation particulière et ses propositions. Nous ne pouvons à ce stade faire l’économie de porter un regard vers ce vis à vis de quoi les acteurs ont eux-mêmes à se positionner. Quand il est fait usage de la notion de changement et précisément de changement social, incluant une interrogation sur les inégalités telles que brièvement décrites, il convient de s’attarder sur le modèle culturel auquel tout un chacun est convié à participer. Ceux qui croient que la recherche se développe mieux quand ellen ‘est pas g2née par des idées trop générales s’apercevront vite que leur position, trop peu ambitieuse, ne peut mener qu’à un affaiblissement de la recherche et à sa soumission aux intér2ts réels ou supposés des puissanrsl. Un encart publicitaire délimitera ce qui peut être proposé comme objectif personnel d’études. Il nous intéresse dans la mesure où il peut être enraciné dans l’inconscient individuel à un degré variable. Un bref passage dans ce qui peut être prôné en développement organisationnel servira à situer où certaines logiques peuvent s’inscrire et ce à quoi elles invitent.
L’objectif des études
En période de récession, le conjoncturel frappe au hasard aveuglément; naturellement! Au point de vue égalité devant la crise, tout le monde est sur le même pied. Il n’existe, évidemment, aucune différence entre l’employeur qui ferme son entreprise suite à une pénurie de commandes et la femme d’ouvrage qui perd son emploi suite à cette fermeture. S’y arrêter, a-t-il une quelconque importance puisque, de toutes façons, la récession ne sera que transitoire et le système scolaire pourvoira à permettre à un chacun de saisirl’opportunité d’effacer les handicaps résiduels, si du moins ille souhaite. Égalité, donc, devant l’économique; égalité devant le droit; égalité devant le monde éducatif. A quoi peut-il servir de formuler le terme d’inégalité puisque l’essentiel fonctionne selon un registre égalitaire formel? Pourtant, le slogan :«<l faut que cela change» revient de façon lancinante avec recours à Copernic s’ille faut. Ce qui doit changer, c’est l’individu. Celui-ci n’est ni libre ni autonome. Le changement perpétuel, c’est que l’autre change; qu’il prenne conscience de son aliénation, de son inédit possible, de tout excepté du fonctionnement d’un système de valeurs et de son adhésion personnelle à celui-ci suite à une inculcation ancrée dans l’enfance. Dès l’école, avec cotations alphabétiques ou numériques, tout un chacun apprend le moins et le plus de la conjugaison comparative avec les autres. Au plus méritant, au meilleur, l’octroi du A et des cachets valorisés; le moins méritant reçoit sonE et son étampe d’encouragement-commisération. C’est le départ de l’égalité sociale des chances pour l’ascension de la pyramide vertico-valorisée de la hiérarchie occupationnelle. Hiéros signifie sacré; un tel sens gravé dans l’inconscient offre de sérieuses garanties à la stabilité de tout un système.
La logique économique
Il existe en psychologie sociale comme en développement organisationnel un courant axé sur la modification du comportement, d’autrui de préférence, qui ramène tout changement à un aspect économique. Les propos qui vont suivre illustrent l’acceptation inconditionnelle d’un ordre établi et la logique d’intervention qui devra en découler. De départ, la perspective présentée consiste à comprendre l’organisation pour la développer. D’intrigué, on devient stupéfait à la lecture des premiers propos. La recherche porte essentiellement sur des phénomènes organisationnels ou sociaux et non .Pas sur leur aspect moral. Cette dernière vision que nous pouvons qualifier de normative, ne relève pas de la recherche scientifique mais plut6t de la philosophie. La plupart des organisations font un effort réel pour déterminer la rentabilité des investissements au niveau des divers départements. Un service de recherche et d’intervention en gestion des ressources humaines et en développement représente un investissement financier … Là réside la justification fondamentale de l’existence de tout département ou service. Cette dernière citation s’inscrit dans un paragraphe intitulé «Valeur et utilité de la recherche et de l’intervention.»La valeur d’une recherche en sciences humaines dans une organisation quelqu’en soit le type procède d’une taxonomie unique: la diminution des coûts et en corollaire l’augmentation de la marge bénéficiaire. Le contrôle financier chapeaute tout. Peut-on trouver explicitation plus tangible de la crainte de voir des changements organisationnels mis en place pour mieux encore et toujours «changer» les individus, cela à leur corps défendant s’il le faut et dans le respect inconditionnel à l’ordre institué. Que de tels propos soient formulés du haut d’une chaire universitaire laisse présager qu’une perspective de changement organisationnel, y compris dans le milieu éducatif, peut aisément être entrevue comme devant permettre au système de fonctionner sans dépassement de celui-ci à un niveau supérieur. La lecture qu’a effectué présentement un auteur à propos des changements organisationnels si elle s’inscrit dans une logique courante ne doit pas occulter que d’autres chercheurs émettent en ce domaine des préoccupations fondamentalement différentes : Les temps ne sont peut-~tre pas loin où l’étude des processus sociaux de la reconnaissance individuelle, c’est-à-dire en fin de compte de la santé mentale, deviendra centrale à la compréhension des effets de l’entreprise sur son propre dynamisme d’une part et sur celui des zones régionales et locales d’autre part, là où l’individu se trouve en situation concrète d’investissements relationnels simultanés4 •