Art du prêt en dernier ressort et crédibilité de la menace de sanction vs risque moral
La théorie classique – moderne – du prêt en dernier ressort est attribuée à Bagehot (1873), qui reprend, et prolonge, les travaux de Thornton (1802). Il préconise, afin de prévenir les paniques, d’afficher explicitement cette disposition ex ante, et de prêter librement, sans limites, à taux élevé (supérieur aux taux de marché avant la crise), contre un bon collatéral. Son succès, notamment dû à celui de la Bank of England dans l’évitement des crises (Redish, 2001), n’exclut pas certains aménagements, comme en témoignent les débats relatifs au PDR.
La sélection des emprunteurs dans l’exercice du prêt en dernier ressort
Le type d’intervention : prêt au marché vs prêt aux institutions
Face au risque d’instabilité financière, on peut envisager plusieurs Institutions (supranationales) dont la portée est limitée à de grands blocs régionaux, axées, d’une part, sur l’accumulation de réserves en devises, d’autre part, sur la création d’un fonds d’auto-assurance (prêt en dernier ressort international, pour endiguer des runs systémiques sur dépôts en devises, sans PIDR) associé à des facilités de crédit contingentes (Corrado, 2005, op. cit.). Jeanne & Wyplosz (op. cit.) montrent en quoi la mission liée à la liquidité sur les marchés doit être dissociée du renflouement de systèmes bancaires domestiques en proie à des difficultés, pour lesquelles un fonds bancaire international (sans pouvoir de création monétaire) impliqué dans la supervision des systèmes bancaires est effectivement plus adapté.
Le rapport proposé par l’Institute of International Finance en juillet 2008 préconise de différencier les crises globales, de marché, des crises liées aux chocs individuels, à travers une clarification des dispositions (des Banques centrales) dans chacun des deux cas, pour plus de rapidité, sans que leur latitude ne s’en voit réduite. Le premier cas est illustré par la crise des subprimes, où les Banques centrales se sont justement adressées à tout le marché, au moyen de facilités qu’il faut dissocier d’un prêt en dernier ressort63. Concernant les crises individuelles, il est important d’éviter la stigmatisation (p.73 du rapport) associée à l’usage de certaines facilités, de s’entraîner à cet usage avec la Banque centrale en période calme et de définir au mieux son cadre légal ; en outre, « clarity should be provided insofar as possible as to the requirements that a firm should be prepared to meet to have access to lender-of-last resort facilities, but not necessarily the terms or conditions under which the lender of last resort would be available »64.
L’efficacité des interventions et la coordinationdes créanciers
Dans leur modèle de crise de liquidité en économie ouverte, Goldfajn et Valdès (1999) montrent que l’aléa moral peut être appréhendé comme le résultat d’un arbitrage intertemporel : un sauvetage financier complet réduit, dans un premier temps, le risque de run ; à long terme, il l’augmente, via le changement de comportement des opérateurs privés (quant à la solution d’un sauvetage partiel, ils recommandent de s’en écarter, et d’utiliser les devises concernées pour lisser d’autres chocs externes).
Le dilemme rencontré par le PDR face aux crises est illustré par le principe d’ambiguïté constructive (Goodhart & Huang, 1999, op. cit.), selon lequel les Banques centrales laissent ex ante planer le doute quant à leur intervention éventuelle (afin de contenir le risque moral) pour ne la dévoiler qu’ex post (quand elles l’estiment utile pour restaurer la confiance). Appliqué au niveau international, ce principe se heurte à deux limites.
La première tient à l’action de Banques centrales agissant de façon non coordonnée, qui entre en contradiction avec l’art nécessaire pour restaurer la confiance des marchés (Sachs, 1999, op. cit. ; Gilles, 2004, 276-7), i.e. en contradiction avec l’aspect constructif.
La seconde limite renvoie à la récurrence des crises à dimension (potentiellement) systémique, qui privilégie les anticipations de renflouement, alors que le caractère aléatoire (pour les petites banques) du renflouement devrait les partager. Il n’est plus question de la capacité d’un PIDR à répondre aux échecs de marché, mais de maintenir l’ambiguïté.
La conditionnalité et l’information disponible
Au niveau international, et pour les crises d’illiquidité, le Rapport Meltzer (Meltzer & al., 2000) préconise de ne prêter qu’aux pays menant de bonnes politiques, à des maturités courtes, moyennant un taux d’intérêt élevé, et contre un bon collatéral (i.e. via la CCL). Appuyés sur les cas de l’Argentine et de la Turquie, ses auteurs décrivent le FMI comme un PIDR qui intervient systématiquement (FMI, 2001a), au lieu de laisser sombrer les pays gaspilleurs, de sorte que les prêteurs supportent leurs pertes (cf. encadré J).
D’où la nécessité d’établir une conditionnalité ex ante, incluant la robustesse financière (assortie de contraintes ex post) : si les renflouements sont ciblés sur des pays menant de bonnes politiques, le risque moral est contenu, et le coût financier pour les contribuables (la communauté internationale) est minime (Jeanne & Zettelmeyer, 2001).
Articulation institutionnelle et coopération vs risque d’aléa moral
La limitation du risque d’aléa moral peut être contrecarrée par des dysfonctionnements d’ordre institutionnel. Des conflits d’intérêt dans le système de régulation, ou des dysfonctionnements dans l’échange d’informations, peuvent pervertir et décrédibiliser le dispositif.
Les détracteurs du PIDR ne nient pas systématiquement l’existence de market failures, mais observent que les Institutions présentent des risques de dysfonctionnements plus importants. Non seulement l’incitation (liée à la menace de sortie) est moindre dans un système public, mais en plus les agents y sont victimes de conflits d’intérêt (Pop, op. cit.). En outre, il n’y a pas de raison de penser qu’un PIDR puisse être mieux informé que le marché, perçu comme un mécanisme d’information efficient même en présence de banques insolvables. De même, au niveau de la réglementation et de la supervision des banques, Barth & al. (2004) préconisent une autonomisation du secteur privé, appuyée sur des exigences informationnelles renforcées, en raison de dysfonctionnements dans l’action directe des gouvernements.
Ce raisonnement conduit Schwartz (1998) à recommander l’abolition du FMI, et Bordo & Schwartz (2002) à juger inopportune l’institutionnalisation d’un PIDR, au motif du risque d’aléa moral qu’elle engendrerait. Calomiris (op. cit.) défend l’idée qu’un PIDR, en l’occurrence le FMI, diminue les avantages de la déréglementation des marchés et de la concurrence, notamment les incitations des investisseurs à optimiser l’affectation de leurs capitaux.
Cependant, en l’absence d’un cadre multilatéral clair, les bienfaits de la concurrence semblent limités par des comportements stratégiques sous optimaux, comme en témoigne la progression des changements de réglementations nationales, instaurant plus de protectionnisme envers les investisseurs étrangers. Selon nous, si le débat sur le PIDR n’est pas clos (ou jamais ; Eichengreen, 1996), c’est aussi parce qu’il reste à définir ce cadre global, compatible avec une réduction de l’instabilité financière, via une fonction de production d’incitations renouant avec la prévention des crises. Morin (2006) s’essaie à définir un tel cadre. Dans le prolongement des thèses de Mc Luhan 75 , il soutient que le parachèvement de la globalisation implique une refonte institutionnelle radicale, et non, comme avec la taxe Tobin, des réformes ponctuelles. Face à une perte d’influence des Banques centrales, il propose la création d’un régulateur global (Comité global de régulation) en prise à tous les compartiments de la terafinance, via trois types d’Autorités. Un régulateur des marchés monétaires a vocation à coordonner l’action des Banquiers centraux, en vue d’obtenir la coopération des grandes banques internationales en cas de crise de liquidité ou de change76, moyennant la possibilité d’intervenir en tant que PIDR. Un régulateur des marchés financiers repère les risques systémiques, en focalisant son action sur le développement de la liquidité financière. Enfin, un régulateur prudentiel, chargé de la réglementation (i.e. relative à la protection des investisseurs), assure aussi le contrôle microprudentiel, en particulier des groupes bancaires, grâce à la possibilité de se procurer l’information nécessaire de la pertinence de la frontière tracée entre gestion des crises financières et surveillance des risques systémiques. Les raisonnements ci-après tendent à conforter l’idée d’une structure duale : d’une part, le gestionnaire des crises, d’autre part, les fonctions de supervision et de contrôle micro (et macro) prudentiels, partageant leurs informations (i.e. sur le respect de la réglementation en capital : Repullo, 2005, op. cit.).
Spécificités domestiques et centralisation de l’information
Cette section, consacrée au traçage des contours d’une maquette institutionnelle cohérente, observe les dispositifs prudentiels nationaux sous l’angle de leur nécessaire évaluation, donc comparabilité (Bliss & Kaufman, 2007), avant de mettre l’accent sur l’articulation des entités constitutives de ces dispositifs, condition à une minimisation des dysfonctionnements d’ordre institutionnel et, partant, à une meilleure circulation de l’information, elle-même déterminant directement la qualité des interventions.
La comparabilité des dispositifs prudentiels nationaux
Les dispositifs de protection financière, nationaux ou régionaux, réalisent des performances différentes en terme de bonnes pratiques (cf. encadré L), et, partant, définissent des équilibres différents entre aléa moral et stabilité financière (Helfer, 1999).
Evaluation et centralisation de l’information domestique
Une difficulté relative à l’homogénéisation des dispositifs de supervision, tient à l’existence d’agences (nationales) unifiées de supervision, destinées à éviter des conflits d’intérêts (Artus & Wyplosz, 2002) : « Dans le monde industrialisé, les instances de réglementation financière séparent de plus en plus la supervision bancaire de la politique monétaire. Elles délèguent la première à une agence indépendante de la Banque centrale, de préférence une agence unique, afin de faciliter la centralisation de l’information portant sur les différentes institutions financières reliées entre elles par le marché interbancaire » (Eichengreen [2008], op. cit., p.27). Cette centralisation peut néanmoins s’accompagner, au départ, d’une perte d’information, à rapprocher du gain en termes de conflit d’intérêts et de limitation du risque moral (voire de dysfonctionnements d’ordre bureaucratique) ; l’intérêt de l’unification dépend donc de la qualité de la gouvernance au sein du secteur public (Masciandaro, op. cit.).
Dès lors que les banques ne sont pas les seules institutions à intervenir dans le système des paiements et à remplir des fonctions d’intermédiation, comme le soulignent Abrams & Taylor (2000), les institutions financières que sont les assureurs et les sociétés de valeurs mobilières sont parfois surveillées au sein d’une même agence, interne à la Banque centrale (i.e. Chili, Afrique du Sud), ou externe (i.e. Norvège, Danemark, Suède, République de Corée…) 79 . Cela permet la réalisation d’économies d’échelle, de synergies, voire de combler des vides juridiques, une clarification favorable aux marchés, et une plus grande souplesse face aux changements structurels, mais induit aussi des risques : moindre réglementation (perte de personnel compétent), synergies limitées (risques bancaires plutôt localisés au passif, risques assurantiels à l’actif), etc.