Le ministre des Affaires étrangères sous la République révolutionnaire
Loin de libérer le ministre des Affaires étrangères, l’éviction du Roi inaugure, pour la diplomatie française, une période d’obscurantisme qui ne prendra fin qu’à l’avènement du Directoire. Entre 1792 et 1795, la fonction ministérielle va ainsi connaître nombre d’avatars au fur et à mesure que s’affirme l’idéologie révolutionnaire, allant même jusqu’à disparaître est ouvertement mis à l’index par Louis Claude BIGOT DE SAINTE-CROIX1003, dernier ministre royaliste des Affaires étrangères: « La Convention ne fut imaginée que comme un supplément infaillible au complot d’un meurtre probable. Destinée à être le corps de réserve des assassins du 10 Août [1792], elle est devenue l’asile de ceux du 2 septembre (…) »1004. Les propos très durs du successeur du marquis de CHAMBONAS traduisent son indéfectible loyauté envers Louis XVI, en même temps qu’ils réfléchissent l’antagonisme exacerbé qui a caractérisé les relations du Département avec l’Assemblée durant son court ministère. Sa rancune peut sembler, même, légitime quand on se rapporte aux circonstances de son départ des Affaires, ordonné le jour même où fut prononcée la déchéance de la royauté. Il avait, alors, accompagné Louis XVI et sa famille jusqu’à l’Assemblée. Sur le vote d’une motion du député BRISSOT, la confiance de la Nation avait été retirée à l’ensemble des ministres en similitudes avec la structure de l’ancien Conseil du Roi mais, dans les faits, l’autorité politique de ses membres ne tarde pas à pâtir des velléités hégémoniques de la Convention nationale instituée le 22 septembre 1792. La maîtrise du département des Affaires étrangères compte, notamment, parmi ses priorités car elle prévoit d’en faire un instrument privilégié de sa propagande idéologique. Pour se faire, elle s’attaque à l’âme qui anime l’appareil diplomatique, à savoir son responsable en titre. Exercé sous le contrôle direct de la Convention nationale, le pouvoir de direction du chef du Département s’amoindrit progressivement pour ne plus être que symbolique à partir de 1793, date de l’instauration du premier Comité de Salut Public. Jusqu’en 1795, cette ramification de la Convention nationale s’impose comme le centre d’impulsion de l’action extérieure, au détriment du monopole de principe que le ministre des Affaires étrangères a hérité de l’Ancien Régime. De fait, si nous avions jugée relativement précaire sa fonction entre 1789 et 1792, à partir de la Conventionnelle elle est proprement sursitaire.
Jusqu’à l’avènement du Directoire, la perte de la représentativité du ministre des Affaires étrangères au sein de l’organisation gouvernementale rend difficile tant la détermination de ses fonctions que l’amplitude de son action exécutive (A), ce qui ne manque pas, en pratique, d’affaiblir son autorité à l’égard de son personnel, en particulier, à l’égard de celui en poste à l’étranger. Sous couvert de défendre les valeurs de la République hors des frontières nationales, la Convention accroît l’autonomie des diplomates les faisant passer du rang de simples observateurs à celui de véritables agents de propagande politique. Peu apprécié des Cours européennes, ce mélange des genres va, considérablement, accentuer l’isolement de la France sur la scène internationale. Dans le contexte de ce qui s’apparente de plus en plus à une diplomatie d’assemblée, il ne faut pas s’étonner du déclin relatif que connaît alors le concept bodinien de la souveraineté de l’État et plus encore, de celui qui, depuis l’éviction de la Royauté, a la responsabilité de la défendre au Dehors (B).
La dilution du pouvoir directionnel du ministre des Affaires étrangères au sein du Comité exécutif provisoire
Après le 10 août 1792, la radicalisation du mouvement républicain ne pouvait manquer d’affecter la place assignée au ministre des Affaires étrangères au sein de la nouvelle gouvernance révolutionnaire. En effet, jusqu’alors le lien hiérarchique qui l’unissait à la Royauté faisait peser sur l’action ministérielle – même patriotique – une présomption de bonne foi qui tombait rapidement sous les accusations des factions révolutionnaires1006. Mais, à présent que la monarchie est supplantée par la République, plus aucun obstacle politique ne se dresse entre les militants de la Révolution et la conduite gouvernementale de la politique extérieure. Dans les faits, le recrutement des candidats au poste de ministre des Affaires étrangères a cessé d’être un casse-tête pour l’Assemblée. Toutefois, une problématique de taille demeure au plan juridique : à quel titre le ministre assurerait-il la gestion de son département ? De qui tiendrait-il ses pouvoirs ? A quelle(s) fin(s) les assigner ? La rupture avec la tradition monarchique emporterait-elle une plus grande autonomie d’action pour lui ? A moins que la politique étrangère ne prenne désormais sa source en dehors du Pouvoir exécutif ? Telles sont les principales problématiques que soulève, à l’aube de la Première République française, la perte du chef de l’État français.