Le métier d’entrepreneur : un savoir-faire qui s’apprend
On retiendra la diversité de cette sélection de commentaires, lesquels portent sur un grand nombre de rôles qui ont trait tant au fait d’en-treprendre que de diriger une entreprise. Il ressort clairement de cela que le fait d’être entrepreneur implique l’exercice d’un métier dont le cœur consiste à initier, à développer et à mettre en œuvre des choses nouvelles qui apportent une valeur ajoutée. C’est ce qu’on appelle innover.
L’entrepreneuriat, c’est le plus souvent un métier qui vient se super-poser à un métier de base. Lorsque l’entreprise est lancée, c’est le métier de stratège et de dirigeant qui s’ajoute. Ce métier d’entrepreneur s’ap-prend le plus souvent au contact d’autres entrepreneurs ou en le prati-quant. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », « c’est en entreprenant qu’on devient entrepreneur. »
Ce métier d’entrepreneur s’apprend plus facilement si on sait s’en-tourer d’un mentor, d’un coach et, si possible, éventuellement d’un comité consultatif composé de quelques personnes d’expérience. Il implique l’intégration d’une culture qui génère une façon de penser tant positive que créative, à la fois intuitive et imaginative.
Quelques repères pour mieux comprendre la nature et les composantes de la pratique entrepreneuriale
Avec le temps, les nombreuses entrevues à des fins de recherche et le nombre croissant de contacts avec des dizaines d’entrepreneurs qui ont construit des entreprises de toutes dimensions dans une grande variété de secteurs, on comprend de mieux en mieux la pratique entrepreneuriale.
Cette pratique comporte des façons particulières de penser et de faire qui s’apprennent. Cet apprentissage commence par la connais-sance de soi. La pratique entrepreneuriale est un domaine éminemment subjectif où tout commence par la prise de conscience de ses particu-larités suivie par la force de caractère de les exprimer. Ce sont les valeurs et les champs d’intérêt d’une personne qui influencent éven-tuellement ses choix de s’engager dans un secteur d’activité, puis les motivations à apprendre sur le secteur concerné pour passer éventuel-lement à l’action afin d’y apporter quelque chose de nouveau.
Le métier d’entrepreneur implique la réflexion et l’apprentissage afin de passer à l’action. L’entrepreneur est curieux. Il est un explora-teur toujours en train de fouiner et de prospecter dans le but de faire quelque chose de nouveau. Il aime bricoler. Il aime agir. Il apprend en faisant. Comme c’est le cas de tout métier et de toute profession, c’est en les pratiquant qu’on développe ses talents, ses expertises et ses com-pétences. Bien des entrepreneurs suivront un cheminement qui s’ap-parente à celui de l’inventeur et développeront une véritable passion pour ce qu’ils font. Comme dans tous les métiers, certaines personnes présentent davantage d’aptitudes et de motivations que d’autres pour en apprendre les rudiments et en maîtriser la pratique. Ce livre se veut un ouvrage d’initiation à ce que sont des démarches entrepreneu-riales choisies, lesquelles pourront stimuler l’intérêt à s’initier à ce métier, à l’apprendre et à l’exercer.
La figure à la p. 22 illustre les dimensions les plus courantes de ce qui constitue l’expression entrepreneuriale. Ce sont là les composantes de base de l’exercice du métier d’entrepreneur1 les plus fréquemment évoquées. Le lecteur retrouvera plusieurs de ces composantes dans la trame de base sous-jacente à l’histoire des études de cas présentées dans ce livre.
Nous avons cru longtemps que la pratique entrepreneuriale était innée et destinée à quelques-uns, que c’était une expression rare réser-vée à des déviants ou à quelques personnes aux fortes personnalités qui n’avaient pas peur d’oser se lancer dans des projets audacieux sou-vent à contre-courant de ce qui existe.
Mais avec le temps et après l’étude attentive des modèles d’activité d’entrepreneurs dans plusieurs pays, nous avons compris que cela était accessible et exercé par un nombre toujours plus grand de personnes, des personnes qui ont confiance en elles, qui croient en elles-mêmes et osent passer à l’action.
Certains hésiteront longtemps avant de passer à l’action, tandis que d’autres brûleront d’envie de le faire. D’autres n’arriveront jamais à se décider à se lancer. Le choix du moment propice, le synchronisme pour passer à l’action n’est pas toujours évident. Il faut souvent plonger dans une eau qui sera plus froide que ce que nous avions anticipé.
L’environnement duquel est issu un entrepreneur, ses valeurs fami-liales, le milieu dans lequel il évolue et le contexte d’apprentissage auront beaucoup d’influence sur sa façon de se définir, de penser, de passer à l’action. Les appuis de ses proches pourront être utiles lors de la création de la circonstance favorable au projet innovant et de sa défi-nition. Le plus souvent, une dynamique entrepreneuriale vibrante jail-lit d’un milieu qui aura été propice à une telle expression.
Impulsion versus facilitation
Être entrepreneur, c’est avoir le cran d’exprimer ce que l’on est, sa sub-jectivité, ses différences. Au cours des années 1980, lorsque les chercheurs ont commencé à faire des études sur le sujet, la grande mode consistait à établir des grilles des divers types d’entrepreneurs, et à essayer de les classer et de les faire tous entrer dans l’un ou l’autre de ces types.
Avec les années, plus j’ai étudié et rencontré d’entrepreneurs, plus j’ai compris que chacun représente un modèle différent. Un modèle qui reflète ce qu’il est, un modèle qui, pour certains, ne cesse de se redéfinir en fonction des défis relevés et des activités réalisées. En somme, un modèle qui n’est pas toujours facile à classifier, puisqu’il change selon les divers contextes et les cycles dans lesquels évoluent plusieurs entrepreneurs.
Nous remarquons néanmoins des dimensions structurelles dans les rôles joués par les entrepreneurs. La majorité d’entre eux créent une entreprise qui demeure petite. Toutefois, les impulseurs, ceux qui créent des entreprises qui connaissent de fortes croissances, constituent 5 % à 7 % des entrepreneurs, selon les cycles et les secteurs.
Ils sont très axés sur l’innovation liée à la conception et au dévelop-pement de leurs produits et services. Ils apprennent à s’entourer rapide-ment de personnes créatives qui travaillent sur des innovations tant de produits que de processus de toute nature – marketing, finances, opé-rations, production, développement et autres – pour leur permettre de progresser. Ces personnes qui entourent les entrepreneurs jouent des rôles de complicité et de facilitation : ils comprennent la vision et uti-lisent tant leur expertise que leur créativité pour en faciliter la réalisation.
Celles et ceux qui connaissent de la croissance ont appris à mieux approfondir et à structurer leur vision. En conséquence, ils s’en servent comme critère pour décider, en particulier en ce qui a trait à l’utilisa-tion de leur principale ressource qui est le temps, mais aussi pour mieux sélectionner les personnes dont ils vont s’entourer.
En somme, nous avons appris que l’entrepreneuriat est un phéno-mène autant individuel que collectif. Les entrepreneurs qui connaissent la croissance ont appris à constituer des équipes. La création d’entre-prises par des équipes est en progression partout dans le monde, qu’il s’agisse de collaborateurs ou de partenaires. D’ailleurs, de nos jours, plus de 75 % des nouvelles entreprises en Amérique du Nord sont créées par des équipes. Le Québec ne fait pas exception.
Nous pouvons aussi observer de plus en plus d’équipes qui se for-ment autour d’un entrepreneur d’expérience et d’un jeune entrepreneur initiateur du projet. Par exemple, c’est souvent ce qui se produit lors-qu’un entrepreneur d’expérience accepte de financer des projets qui lui sont présentés par de jeunes entrepreneurs. On le voit dans un nombre toujours plus élevé de contextes, comme celui de l’émission Les Dragons2.
Nous observons que l’entrepreneur leader enclenche un mouve-ment, qu’il crée d’abord un produit, ensuite une entreprise. Cet entre-preneur impulseur exprime une intuition axée vers la création de produits. Il crée un système social innovant à partir des ressources humaines recrutées dans son écosystème. Sa capacité de communiquer et d’entraîner son équipe dans son projet, ses façons de penser le projet et l’arrimage des talents pour le réaliser feront toute la différence. En plus de faire appel à des collaborateurs et à des facilitateurs internes, les entrepreneurs impulseurs auront recours à des collaborateurs externes, à leur réseau, par exemple en ayant recours à un mentor, à un coach ou même en créant un comité consultatif.
La première partie de cet ouvrage présente divers modèles d’entre-preneurs impulseurs qui ont créé un mouvement autour d’eux pour mettre sur pied leur entreprise. La deuxième partie montre des exemples de facilitateurs internes, alors que la troisième partie illustre des exemples d’appuis, de collaboration et même de facilitation externe. Chacune des trois parties du livre est précédée d’une brève introduc-tion qui permet au lecteur de mieux se situer et de comprendre plus clairement ce qui est présenté dans les études de cas.
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.
L’entrepreneur impulseur
Une intuition tournée vers l’innovation de produits et de services
Cette première partie présente l’évolution de huit entrepreneurs, lea-ders de l’innovation dans leurs secteurs respectifs. Cinq d’entre eux ont créé une entreprise, tandis que trois autres en ont repris une.
Les créateurs d’entreprises
D’abord animatrice vedette à la télévision, Lise Watier a commencé sa carrière entrepreneuriale dans les services en créant son Institut, puis a évolué vers la conception de cosmétiques. Elle est la seule femme qui a fondé une entreprise d’une telle envergure dans ce secteur au Canada. Son conjoint, Serge Rocheleau, est devenu son partenaire d’affaires et principal facilitateur, assumant la direction de l’entreprise, alors que Lise a préféré se concentrer sur le développement de produits. Après avoir vendu l’entreprise, le couple Watier-Rocheleau s’est engagé dans le domaine des spiritueux en lançant la Vodka Quartz, en partenariat avec un dirigeant expérimenté dans l’industrie du cidre.
Luc Maurice a créé une entreprise dans le domaine des services. Dès le début, il a mis en place une équipe de facilitateurs dans laquelle Marie Michèle Del Balso1 a joué et continue de jouer un rôle majeur en ce qui a trait au développement. Le Groupe Maurice compte plus d’une vingtaine de résidences-complexes pour personnes âgées et emploie plus de 1500 personnes. Ce groupe est généralement considéré comme le leader de l’innovation dans son secteur au Québec. Luc Maurice juge qu’il ne crée pas des résidences pour personnes âgées, mais plutôt des « villages » où des résidents du troisième âge peuvent se reconstituer une vie sociale dans un milieu convivial. Julie Sansregret a créé un centre de formation pour améliorer la relation entre l’humain et son chien. Son entreprise, Guides canins, offre une panoplie de cours de dressage et un service de pension pour les chiens. Elle travaille avec la complicité de son conjoint et facilita-teur, Martin Hogue2, lui-même entrepreneur et partenaire associé d’une firme d’ingénierie dans un domaine spécialisé de la construction. Julie est considérée comme l’une des entrepreneures les plus dynamiques et innovantes au Québec dans le domaine émergent des formations canines, en particulier dans celui de l’agilité canine. Cette étude de cas et celle de Martin Hogue dans la partie qui suit présentent un modèle de plus en plus fréquent de couple en affaires, comme ce fut aussi le cas du couple Watier-Rocheleau.
Nicolas Duvernois a commencé sa carrière d’entrepreneur dans les services, en s’associant à trois partenaires pour créer un restaurant. Il a ensuite fait le saut dans le domaine des spiritueux, en créant PUR Vodka, puis romeo’s gin. Il s’est associé à un partenaire pour gérer cette entre-prise : une belle relation entrepreneur-facilitateur. Son histoire montre la ténacité peu commune d’une personne qui a lavé les planchers la nuit dans un hôpital pendant des années afin de pouvoir vivre son rêve d’en-trepreneur. Ce cas illustre aussi un ensemble de soutiens familiaux remarquables. Nicolas est devenu une vedette médiatique en plus d’être très engagé dans la promotion de l’entrepreneuriat chez les jeunes, en particulier par ses présences quasi quotidiennes dans des écoles. Il est l’initiateur du projet « Adopte-inc.com », qui offre du parrainage, du coaching et même un salaire annuel à des entrepreneurs naissants.
Nancy Neamtan, une animatrice sociale fortement engagée, est devenue, sans le savoir, une entrepreneure sociale qui a jeté les bases d’une activité exceptionnelle tant par son ampleur que par son origi-nalité dans le domaine de l’économie sociale, ce qui lui a valu une renommée internationale.
Les repreneurs
Jean Coutu a d’abord travaillé en partenariat avec un cousin pendant des années avant d’acquérir une petite pharmacie dans l’est de Montréal. C’est à partir de cette toute petite entreprise qu’il a révolu-tionné son secteur. Il a développé, avec le temps et un partenaire faci-litateur, une entreprise axée sur la vente à escompte d’une grande variété de produits et qui a connu une croissance exceptionnelle à par-tir d’un système de franchises. Son entreprise emploie plus de 20 000 personnes.
Repreneur en série, Bernard Bélanger a passé sa vie à acquérir des entreprises et à les développer. Actif dans de nombreux secteurs dans sa région du Bas-Saint-Laurent, c’est en intégrant plusieurs acquisitions du domaine de la tourbe de mousse de sphaigne qu’il a mis sur pied Premier Tech.
Le métier d’entrepreneur est en pleine mutation. On nous présente souvent les entrepreneurs, ces personnes innovantes, comme des héros qui travaillent en solitaire. Pourtant, comme ce livre le démontre, celui qui réussit à faire croître son entreprise est un passionné qui a su bien s’entourer. Il impulse un mouvement à une équipe à laquelle il confère une énergie créatrice qui vient multiplier de façon exponentielle sa ca-pacité à créer et à innover. Les collaborateurs et les facilitateurs dont il s’entoure sont fortement motivés à se dépasser et contribuent à réaliser sa vision. Les modèles inspirants présentés dans ce livre montrent clai-rement que la réussite entrepreneuriale est celle d’un leader créatif et imaginatif qui a su réunir autour de son projet les bonnes per-sonnes. La mise en place d’un écosystème entrepreneurial fait sur mesure permet à ces équipes de continuer à innover, à progresser, à conquérir des marchés, à aller toujours plus loin.