Le métier de CPE à l’épreuve d’une division du travail éducatif

Le métier de CPE à l’épreuve d’une division du travail éducatif

Avec la diversification des besoins des élèves dans le système éducatif, tout se passe comme si le C.P.E., avec son équipe de vie scolaire, devenait le personnage central dans l’établissement pour faire œuvre d’éducation en traitant les problèmes sociaux et affectifs, tandis qu’à l’intérieur des salles de classe, il s’agirait essentiellement de parvenir à enseigner des savoirs. 

D’une fonction normative attendue dans l’établissement 

Dans les faits, le C.P.E. œuvre pour donner à la vie scolaire des élèves une dimension relationnelle qui touche au réel de leur existence, contribuant à ce que « l’établissement éduque » (Pain, 2002, p.125). Au cœur des rapports sociaux entre personnels, élèves et parents, il est amené à connaître les modalités d’existence de l’élève dans et hors les murs de la classe. Par le travail mené en collaboration avec les enseignants, l’analyse de l’assiduité et du comportement scolaires des élèves, les échanges d’informations et le suivi de la vie de classe, il apporte son soutien aux professeurs dans leur travail d’enseignement, agissant La place du C.P.E. au sein de la communauté éducative dans un contexte de cloisonnement des tâches éducatives et pédagogiques 51 comme un garant de leur action pédagogique (Warzee, 2008, p.2). Cependant, en prenant en charge cette dimension normative de la vie scolaire et en assumant en particulier la responsabilité de la formation citoyenne des élèves, le C.P.E. contribue malgré lui à entretenir le cloisonnement qu’il déplore entre l’éducatif et le pédagogique. Pour Condette (2013, p.22), le métier de C.P.E. symbolise ce clivage encore présent entre instruction et éducation dans le second degré et contribue à entretenir la division du travail éducatif dans l’établissement (Payet, 1997, p.21 ; Monin, 2007, pp.6-7 ; Tardif et LeVasseur, 2010, p.184). La dichotomie historique qui s’est opérée au lycée entre la logique de l’organisation et celle de la profession enseignante s’est accentuée dès lors que les effets de la massification sur les problèmes de discipline n’ont pas été corrigés par un élargissement des missions des professeurs, mais par une augmentation des personnels spécialisés pour contrôler les comportements des élèves et exercer une forme de moralisation à leur égard (Kherroubi et Van Zanten, 2000, p.67 ; Kherroubi, 2008, p.592). La prise en charge des différentes formes de déviance scolaire revient ainsi au C.P.E. capable d’une véritable « allégeance » (Monin, 2007, p. 2) à l’institution en tenant son rôle d’urgentiste pour assurer la continuité du service, et ce jusqu’à la périphérie de l’établissement lorsqu’il déploie son activité auprès des familles et des partenaires extérieurs du domaine sanitaire, social et juridique. Dans les établissements dits « difficiles », où se concentrent des publics dont les caractéristiques s’éloignent de l’élève idéal (Kherroubi et Van Zanten, 2000, p.66), les enseignants accordent cependant une place grandissante à l’action éducative et tentent de construire une relation pédagogique différente avec les élèves pour gérer l’ordre dans la classe. Mais les recherches menées sur la problématique de prise en charge des élèves perturbateurs par l’équipe des enseignants et C.P.E. (Grimault-Leprince, 2014 ; Kherroubi et Van Zanten, 2000 ; Monin, 2007 ; Payet, 1997) montrent une fragilité de la complémentarité des rôles éducatifs entre ces différents personnels, qui résulte davantage de négociations locales visant à conserver l’autonomie de chaque catégorie professionnelle que d’une construction pérenne de processus collaboratifs fondés sur des objectifs communs. Les C.P.E. constituent donc « une force d’appui » (Kherroubi, 2003, p.331) à distance des pratiques disciplinaires de leurs collègues enseignants, en structurant de l’extérieur de la classe leur autorité pédagogique. Ils tendraient alors à se placer comme interlocuteurs privilégiés des élèves par leur aptitude à l’écoute et à la compréhension de leurs difficultés éprouvées face aux enseignants, et mettraient ainsi à profit leur travail administratif de contrôle et de 52 recensement des manquements au règlement intérieur pour engager le dialogue avec les élèves fautifs.

Au rôle de pédagogue auprès des élèves

 Qu’il favorise les apprentissages par la dimension organisationnelle de son action dans l’établissement, ou par l’aspect psychosocial de ses interventions auprès des élèves, le C.P.E. fait littéralement un bout de chemin avec les adolescents durant leur vie scolaire. Son référentiel de compétences (2013) le reconnaît officiellement dans son aptitude à accompagner le parcours de l’élève, tant sur le plan pédagogique qu’éducatif. Ce rôle est d’une certaine manière conforme à l’étymologie grecque du terme : le pédagogue est l’accompagnateur des apprentissages, chargé d’accueillir l’élève, de recueillir ses confidences pour lui permettre de passer de son milieu naturel de vie à celui de l’apprentissage et de l’émancipation (Pain, 2002, p.118). Le paidagōgos, « celui qui conduit l’enfant à l’école » , était en effet l’esclave chargé du transport de l’enfant, de la mère vers le lieu de l’enseignement. Il facilitait l’accès à l’enseignement, rendait possible le travail avec le didaskalos, « celui qui enseigne » (Larousse, 1866-1879, t.VI, p.766). Sans le pédagogue qui se chargeait de l’éducation morale de l’enfant et de sa protection contre les dangers de la rue, il était impossible à ce dernier d’entendre l’enseignement ni d’atteindre le savoir. Le pédagogue est donc celui qui accueille la parole de l’ « enseigné » (Pain, 2002, p.119), recueille ses confidences et ses possibles angoisses pour l’accompagner vers l’accès au savoir. Aujourd’hui la contribution effective du C.P.E. à la prise en charge pédagogique des élèves ne va pas de soi et n’est pas toujours légitime aux yeux de ses collaborateurs institutionnels. La parole est au centre de la relation C.P.E. – élève, elle en est la « respiration » (Pain, 2011, p.38). Mais cette place laissée à la parole de l’élève ne risque-t-elle pas d’affaiblir l’autorité des adultes qui attendent l’intervention d’un « représentant de la loi », ou d’un « juge de paix » (Obin, 1997, pp.7-8) capable de préserver l’intégrité de l’espace scolaire et des relations humaines qui s’y nouent? Dans le cadre du suivi de la scolarité des élèves assuré en collaboration avec les enseignants, et en particulier pour ce qui concerne l’assiduité et le comportement, le C.P.E. pratique régulièrement l’entretien individuel pour faire le point sur leur scolarité. Il est reconnu dans l’établissement pour ses compétences en la matière, de par sa formation sur la psychologie de l’adolescent et son expertise dans la gestion des conflits et des sanctions. Cette démarche d’entretien, qui constitue un moment important du développement de la fonction éducative du C.P.E., est pourtant mal connue et parfois perçue comme une activité secondaire accusée de consommer un temps précieux qui pourrait être exploité à meilleur escient dans le maintien de l’ordre et de la paix sociale dans l’établissement (Cadet et al., 2007). 

Un décalage des représentations

 La vision du métier de C.P.E. et les attentes des acteurs de l’établissement à son égard sont davantage tournées vers son action organisationnelle et normative, comme le montrent les travaux de recherche qui analysent l’activité du C.P.E. à partir de sa place dans l’établissement et de son positionnement vis-à-vis de ses partenaires (Barthélémy, 2000 ; 2004 ; 2005, 2014). Alors que l’institution engage aujourd’hui l’ensemble des acteurs de la communauté éducative à s’investir dans le champ de la vie scolaire, des tensions émergent sur le terrain pour en envisager le pilotage autour du C.P.E., ce qui rend son métier particulièrement dépendant des facteurs de contexte d’exercice (Barthélémy, 2014, p.4) dans un système scolaire de moins en moins homogène notamment en termes d’application du règlement intérieur et des sanctions (Politanski et Triby, 2007, p.6). Cette situation particulière d’un professionnel évoluant en perpétuelle relation avec les différents acteurs de l’établissement a justement permis au C.P.E. d’adapter ses compétences aux différentes situations qu’il rencontre, tout en conservant une certaine autonomie pour innover dans un style de travail qui lui est propre (Barthélémy, 2014, p.7 ). Dans une étude menée sur treize lycées de l’académie de Grenoble, Barthélémy (2004, pp.1-9 ; 2005, pp.117-127) a mis en évidence deux types de décalages : – celui des représentations du CPE entre les différents acteurs de l’établissement ; – celui entre les attentes des prescriptions et les pratiques réelles des CPE sur le terrain. Les CPE considèrent en majorité qu’ils appartiennent à l’équipe pédagogique alors qu’ils sont perçus par la moitié des personnels de direction comme membres de l’équipe administrative. Cependant, les chefs d’établissement attribuent en majorité le suivi de l’élève au domaine de responsabilité du C.P.E. relatif au fonctionnement de l’établissement. Quant aux enseignants, ils perçoivent davantage la collaboration avec les C.P.E. autour des problèmes d’absence et de violence, qu’au sujet du suivi de leur scolarité ou de l’aide à la mise en place de projets.

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