L’enseignement de la grammaire d’une L2 a pour objectifs de permettre aux élèves d’acquérir ses règles pour l’écrire et la parler correctement et de réfléchir sur le fonctionnement de cette langue. Il permet aussi aux enseignants d’avoir une attitude moins ethnocentrique par rapport à la langue qu’ils enseignent afin de faire réfléchir les élèves, d’une part, sur le fonctionnement de la langue qu’ils apprennent et, d’autre part, sur celui de la leur. La mise en contact de la L1 et de la L2 est l’occasion pour les uns comme pour les autres de réfléchir sur le rapport qui pourrait exister entre ces deux langues – si éloignées soient-elles -, et ce en vue de faciliter l’apprentissage de leurs deux grammaires.
Or, enseigner-apprendre une grammaire requiert, forcément, l’usage d’un vocabulaire plus ou moins spécialisé : le métalangage grammatical qui englobe la terminologie spécialisée, les termes qui servent à définir, à expliquer ou à décrire un fait linguistique et qu’on retrouve dans les formules et tableaux de synthèses. Nous avons déjà entamé un travail sur cette question dans le cadre de notre mémoire de DEA intitulé «Le métalangage grammatical dans les classes pour analphabètes. » Notre recherche portait sur l’enseignement du français tel que pratiqué à l’Institut Bourguiba des Langues Vivantes et qui s’adresse à un public d’« analphabètes ». Elle interrogeait, plus particulièrement, l’intérêt qu’il y avait à inculquer dans les classes pour « analphabètes » un savoir grammatical et à soumettre ces derniers à un métalangage grammatical qu’ils se doivent d’acquérir pour réussir les examens de passage au cycle de perfectionnement, et donc, leur « insertion » en milieu estudiantin. Dans cette institution où nous exercions, en effet, la grammaire n’est pas occultée, bien au contraire, elle y apparaît comme substantielle à l’apprentissage du français pour un public qui n’a pas été grammaticalisé dans sa propre langue.
Par ailleurs, l’institut voit affluer, depuis quelques années, un grand nombre d’élèves du collège et du secondaire pour des cours de remise à niveau ou de perfectionnement en langue française. De plus en plus, les tests de placement orientent un grand nombre d’entre eux vers e niveau 2, initialement conçu pour les «semi-analphabètes». Les résultats des tests permettent de constater que les élèves parviennent rarement à aller au-delà de la troisième ou de la quatrième question du test. Les raisons invoquées sont généralement imputées aux consignes que la pluaprt ne comprenaient pas. Il serait par exemple plus facile pour eux de répondre à des questions qui indiquent les mots à employer (le, les, lui, leur, qui, que, etc) que celles qui les désignent par leur nature grammaticale (artcicle, pronom personnel, relatif…). Nous en avons conclu que le métalangage grammatical posait problème dans le cadre scolaire, également. Aussi avons-nous envisagé d’approfondir notre réflexion sur la question pour aborder la problématique du métalangage dans les écoles tunisiennes.
Dans le système éducatif tunisien où depuis la période post-coloniale, l’arabe est entré en vigueur dans les écoles, l’enseignement de la grammaire du français est confronté à une difficulté de taille : les élèves sont très tôt exposés à deux langues, donc à deux grammaires qu’ils se doivent d’acquérir presque simultanément. Or, dans cette sphère linguistique, la difficulté vient du fait que les langues de scolarisation en contact ont un statut assez ambigu : l’arabe considéré comme langue nationale n’est pas, proprement dit, la langue maternelle des élèves ni le français, plus ou moins selon les milieux et les époques, ne leur est totalement étranger. Il est à juste titre appelé « français langue seconde », désormais FLS ou L2, ce qui interpelle la problématique du contact des grammaires et des métalangages.
Notre recherche vise donc à interroger ce contexte de scolarisation où se côtoient indissolublement deux grammaires et deux métalangages éloignés. Ces co ou bigrammaires et co ou bimétalangages qui fondent les classes de français et d’arabe tunisiennes permettent d’élargir notre problématique du « métalangage grammatical du français dans les classes pour analphabètes », au métalangage dans les classes du collège et du lycée.
Le décret Berthoin (1959), et par la suite, celui de Capelle-Fouchet modifient, non seulement les fonctions de l’école élémentaire, mais aussi les apprentissages, notamment celui de la grammaire, avec le même arrière-fond traditionnel des décennies précédentes qui va des propositions à la phrase et aux groupes fonctionnels organisés autour du verbe. Les auteurs de la progression préconisent un apprentissage par cœur des règles, des définitions, des exemples et de « toutes les notions indispensables à l’analyse. (Toraille, 1973) Mais, la nouvelle progression établie pour le CE et le CM est jugée modeste par rapport aux programmes précédents plus ambitieux. C’est l’époque où la grammaire devait subir les influences des approches structuraliste et communicative et les programmes s’adapter à la nouvelle réalité de la classe pour placer l’élève au cœur des apprentissages.4 Ainsi, la rénovation de 1965 (Projet : 60) fait de l’enseignement de la grammaire plutôt une observation de la langue orale qu’une application des règles. On préconise, donc, un apprentissage par imprégnation du français, pour les régions de France et les immigrés de milieux défavorisés.
Cette période de « latence au point de vue psychopédagogique » s’ouvre, en 1966, sur la mise en place de démarches intuitives qui développeraient leur intelligence et prendraient compte de « [leur] déjà là ». (Ueberschla, 1971) Il faut diversifier les démarches d’apprentissage en individualisant les tâches, en tenant compte surtout du déjà-là de chacun, en replaçant l’élève au cœur des apprentissages, en ne perdant pas de vue l’enfant qui habite l’élève et qui parfois ne peut oublier le poids de son acculturation familiale. (David-Chevalier, 2007) .
Selon Bishop (2010), le « Projet d’instruction Rouchette » voudra, au fait, écarter un enseignement obsolète de la grammaire au profit d’une nouvelle qui s’exerce «[…]par l’imprégnation intuitive […] par la lecture et la récitation. Dans cette perspective, l’enseignement grammatical devra être conçu, dans son objet et dans sa méthode, comme un moyen de favoriser cette imprégnation en la systématisant. (Ueberschla, 1971) .
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