Le massif des Beni Bou Ifrour et ses minéralisations ferrifères
Le massif des Beni Bou Ifrour fait partie de ces fenêtres qui émergent des plaines dans le Rif oriental. Bien que de dimensions limitées (environ 7 km sur 10), il constitue une anomalie topographique haute allongée en NE-SW qui jaillit au cœur des plaines environnantes – Gareb au Sud, Nador à l’Est, Kert à l’Ouest – faisant face à l’imposant stratovolcan mio-pliocène du Gourougou. Son point haut, Jbel Ouiksane, culmine à 696 m. Ce chapitre résume les principaux traits géologiques et structuraux du massif des Beni Bou Ifrour en s’appuyant essentiellement sur le travail de KERCHAOUI (1985, 1994). En effet, les études au niveau du massif se sont davantage concentrées sur les gisements de fer qu’il encaisse, et qui représentent les minéralisations ferrifères les plus importantes du Maroc. Un bilan des recherches menées à ce jour sur ces minéralisations sera donc proposé dans un deuxième temps.
Etudes géologiques et structurales du massif des Beni Bou Ifrour
Bien que le Nord de la péninsule de Melilla-Nador ait été très étudié pour sa plateforme carbonatée et la volcanologie du Gourougou , le massif des Beni Bou Ifrour a échappé à cette effervescence. En effet, si KERCHAOUI (1985, 1994) s’y est intéressé de façon extensive d’un point de vue stratigraphique et structural, aucun travail récent ne s’y est consacré alors que le massif présente plusieurs atouts capables d’apporter de nouvelles contraintes géologiques, notamment sur la déformation du Rif.
Les formations sédimentaires des Beni Bou Ifrour
Le massif des Beni Bou Ifrour (Figure 3.1) présente une série mésozoïque apparemment continue du Lias jusqu’au Crétacé inférieur, recouverte par une formation détritique du Miocène moyen (Figure 3.2). On y trouve au Sud également du Trias gypsohalin au niveau du Jbel Harcha, ainsi qu’à la limite méridionale du massif. Les unités lithologiques et leurs caractères structuraux permettent d’établir une division du massif des Beni Bou Ifrour en plusieurs sous-domaines. L
Stratigraphie
Les formations les plus anciennes du massif des Beni Bou Ifrour se situent au Sud, exhumées au cœur des anticlinaux du Jbel Harcha et du Jbel Ibaroudiene. Ce sont des calcaires micritiques massifs du Lias inférieur à moyen, disloqués en grabens comblés par les formations marno-calcaires à bélemnites du Lias moyen à supérieur. De rares ammonites y ont été datées du Domérien supérieur au Toarcien (cf. carte géologique au 1/50000 de Zeghanghane). Suivent les marnes et calcaires à ammonites pyriteuses du Jurassique moyen (Dogger), puis une séquence flyschoïde désignée sous le nom de « Ferryschs » par WILDI (1981), et datant du Jurassique supérieur. Dans la partie nord du massif, le Jurassique supérieur est représenté par des calcaires divers : karstiques, dolomitiques, conglomératiques à entroques… Les schistes du Crétacé inférieur forment une large partie des formations mésozoïques du massif des Beni Bou Ifrour. Au Sud, ce sont des marnes et des niveaux de pélites à passées calcareuses ou gréseuses très fossilifères (ammonites et bélemnites). Ces schistes néocomiens dits « argentés » tirent leur nom de leur couleur vert-argent attribuée à la chlorite. Ils dessinent un antiforme intégrant les anticlinaux du Jbel Harcha et du Jbel Ibaroudiene, l’anticlinorium du Jbel Bouzerib. Leur équivalent au Nord est une formation plus détritique, environ cinq fois plus épaisse, et constituée de pélites intercalées avec des bancs lités de quarzite, voire de lits de calcaires fins. Elles sont considérées comme étant de type flysch (JEANNETTE & HAMEL, 1961 ; RHODEN & ERENO, 1962) et supportent une importante barre calcaire qui forme le point haut du massif (Jbel Ouiksane). Par ailleurs, la présence d’une série volcanosédimentaire attribuée au Berriasien supérieur (sans certitude) est révélée par DUFLOT et al. (1984) : il s’agit de tuffites finement rubanées intercalées avec les niveaux schisto-gréseux du Crétacé inférieur. Le Miocène moyen n’est présent qu’au SE du massif. Il est formé à la base de molasses de calcaires conglomératiques, puis par une série schisto-gréseuse incluant des olistolithes (gypse, éléments schisteux, cipolins…) dont la source est attribuée au domaine des nappes rifaines (JEANNETTE & HAMEL, 1961 ; KERCHAOUI, 1985, 1994). Malgré une lacune importante des dépôts depuis le Crétacé supérieur, ces sédiments sont en concordance sur les faciès néocomiens. Les sédiments post-nappes (Messinien), enfin, forment un dépôt transgressif et discordant sur les flancs du massif. L’ensemble des formations sédimentaires non-carbonatées des Beni Bou Ifrour est regroupé sous l’appellation de schistes. Ces roches ont subi une compaction lors des phases de plissement ; la schistosité est partout bien marquée, les bancs calcaires peu déformés et le métamorphisme général se traduit par un boudinage qui affecte l’ensemble de la série jurassico-crétacée (VILAND, 1977).
Eléments structuraux
L’agencement tectonique du massif des Beni Bou Ifrour résulte de la succession de plusieurs étapes de déformation regroupant plis et failles. Les formations mésozoïques y sont plissées avant le charriage des nappes rifaines, qui passent au- dessus du massif en abandonnant des lambeaux, représentés par les olistolithes du Miocène moyen (JEANNETTE & HAMEL, 1961). Les plis majeurs comptent les anticlinaux déjà mentionnés du Jbel Harcha et du Jbel Ibaroudiene. Le premier est un pli droit dont la courbure de la charnière, globalement EW, est attribuée à un évènement post-plissement. Le second, d’axe EW également, est déversé vers le Sud d’environ 30° ; son axe plonge de 20 à 30° vers l’ENE, et son flanc nord est de polarité normale tandis que son flanc sud est de polarité inverse. Plus au Nord du massif, le pli dit de Axara présente une surface axiale orientée N110, 30 N portant une linéation d’étirement orientée N25° E, et avec un plongement de 25° environ vers le NNE. Il est interprété comme basculé vers le Sud. Comme pour l’anticlinal du Jbel Ibaroudiene, son flanc nord est de polarité normale et son flanc sud est de polarité inverse. La partie NE du massif présente une série de plis-écailles d’axe NS et de pendage 45° vers l’Est en moyenne, déversé régulièrement vers l’Ouest et présentant des ondulations locales dues à une phase de plissement ultérieure. L’accident majeur présent au sein du massif est la faille de l’oued Tlat, longue de 4 km et de forme arquée. Cette faille est interprétée par KERCHAOUI (1985, 1994) comme un chevauchement majeur dont les derniers mouvements sont postérieurs aux dépôts du Miocène moyen, pris en écharpe au niveau de l’oued Bourdim. Le long de la faille, les calcaires conglomératiques à entroques présentent les caractéristiques d’une mylonite marquant une linéation d’étirement pénétrative orientée NS. On trouve associée à cette déformation ductile une composante cassante s’exprimant par des failles inverses NE-SW à vergence sud-ouest. La faille de l’oued Tlat est plissée par la formation de l’anticlinorium de Jbel Bouzerib et décalée par la faille méridienne dite de l’oued Ouiksane, qui sépare en deux sur plus de 4 km la partie nord du massif. Cette faille représente en fait un couloir de failles parallèles et en relais sur 100 à 200 m de largeur. Les marqueurs cinématiques de cette faille sont interprétés de plusieurs façons : (1) pour RHODEN & ERENO (1962), il s’agit d’une faille subverticale décrochante sénestre, dont la faille d’Aït-Rhanem à l’Ouest est le pendant ; (2) pour KERCHAOUI (1994), elle indique un mouvement coulissant dextre avec un rejet local de 500 m ; il en fait une faille de déchirure au front du chevauchement de l’oued Tlat. Il existe d’autres failles normales sénestres NS à NE-SW, de pendage 35° W à SW. La plus importante de celles-ci est la faille de Ouiksane, décrite comme responsable de la mise en place d’un corps plutonique, appelé Intrusion Centrale par les mineurs de l’exploitation de Ouiksane, auquel la minéralisation la plus importante du massif est associée (RHODEN & ERENO, 1962). Il existe également un important réseau de failles EW à NW-SE subverticales à pendage nord, probablement responsables de la mise en place d’une deuxième génération de dykes intrusifs. Au NE du massif, l’allure isoclinale des plissements cache une structure en failles plates à peine visible en surface, dévoilée grâce aux travaux miniers réalisés lors de l’exploitation du fer (RHODEN & ERENO, 1962). Listriques à vergence ouest, on en dénombre trois majeures : (1) la plus large et profonde (jusqu’au niveau de la mer) est la faille de Cherif, qui s’étend sur 1600 m, (2) la faille d’Iberkanen de 1000 m, jusqu’à 200 m de profondeur, et (3) la faille d’Axara, de 500 m de longueur. Au Sud, les failles de l’oued Ibouhardain occupent la zone charnière entre les anticlinaux du Jbel Ibaroudiene et du Jbel Harcha. Ces failles, globalement orientées EW, sont des failles inverses à vergence sud marquant des mouvements du Nord vers le Sud. Par ailleurs, on retrouve dans la partie sud du massif le réseau de failles NS à NE-SW qui hâche le Domaine Nord, en plus discret toutefois. Chapitre 3 – Le massif des Beni Bou Ifrour et ses minéralisations ferrifères
Subdivision du massif
Sur la base d’arguments stratigraphiques et structuraux, KERCHAOUI (1985, 1994) subdivise le massif des Beni Bou Ifrour en deux unités, séparées par le contact tectonique majeur de l’oued Tlat : (1) un Domaine Nord, ou unité de Ouiksane, et (2) un Domaine Sud, ou unité du Jbel Harcha (Figure 3.3). Le Domaine Nord est constitué des secteurs occidental (Jbel Ouiksane) et oriental (Jbel Tazeka Azrou), délimités par une ligne méridienne définie par la faille de l’oued Ouiksane. De part et d’autre de cette ligne, les séries stratigraphiques sont analogues à quelques variantes près. Les schistes du secteur occidental remontent ainsi jusqu’au Jurassique supérieur, tandis que ceux du secteur oriental sont considérés comme Crétacé inférieur ; ils représentent en fait la partie supérieure de la même série (RHODEN & ERENO, 1962 ; KERCHAOUI, 1985, 1994). En effet, les lentilles de calcaires se trouvent au sommet de la séquence du secteur occidental, tandis que dans le secteur oriental elles sont présentes à la base de la même série. La principale différence entre les deux secteurs réside dans l’orientation des strates de part et d’autre de l’oued Ouiksane : celles-ci présentent une structure monoclinale de direction EW à pendage nord (35° en moyenne) à l’Ouest, et NS à pendage est (35° en moyenne) à l’Est. D’après FAURE-MURET (in JABRANE, 1993), l’orthogonalité des structures serait due à une rotation horaire de 90° du secteur nord-oriental. C’est en effet le seul secteur qui ne respecte pas la disposition régionale des massifs avoisinants. Le Domaine Sud est lui-aussi divisé en deux par la vallée de l’oued Ibourhardain : les secteurs du Jbel Ibaroudiene et du Jbel Harcha, qui correspondent aux anticlinaux du même nom.