L’espace dans la pensée économique :
Chaque discipline à sa vision propre de l’espace, qu’elle traduit dans ses conceptualisations, ses formalisations et ses modes de représentation. Mais l’économie se sépare ici des autres sciences sociales en ce qu’elle a souvent cherché à nier ou à minimiser le rôle du facteur spatial. « L’homme a toujours su qu’il vivait dans l’espace, l’économiste a fait semblant parfois de l’ignorer »1. ( Derycke 1994 ). C’est qu’en effet, l’espace est une variable « trouble- fête » qui modifie radicalement les perspectives et les conclusions de l’analyse a- spatiale Le temps est présent des l’origine de l’économie politique, qu’il s’agisse de l’équilibre de court terme sur les différents marchés ou de l’évolution en longue période du système économique dans son ensemble. Au contraire, l’espace n’a été intégré que très progressivement, selon un processus qui reste encore inachevé aujourd’hui.
a- L’espace chez les mercantilises : Se sont les mercantilistes qui les premiers, ont développé une réflexion originale sur l’espace. Bodin (1530-1596) et Monchrestien (1576-1621) se sont intéressés au pouvoir des nations naissantes sur leur espace à travers le commerce international et le controle des voies maritimes. Vision doublement réductrice puisque l’espace économique est assimilé au territoire de la nation (éventuellement prolongé par la maitrise de mer) et que la nation a son tour est personnifiée par le souverain. C’est chez Petty (1623-1687) et Cantillon (1680- 1734) que l’analyse se perfectionne. Petty a étudié la croissance de Londres et a fait l’apologie de la concentration urbaine dans son essai d’arithmétique politique. Plus tard, Cantillon montre dans son « Essai sur la nature du commerce en général » (1725) que les échanges économiques et sociaux sont sous la dépendance de l’organisation de l’espace en bourgs ruraux, villes, métropoles régionales et capitale nationale. Il précise les conditions de l’équilibre des échanges entre villes et campagnes et entrevoit même le concept très moderne de multiplicateur des flux monétaires dans l’espace.
b- L’occultation de l’espace dans la pensée classique : Quant aux classiques, ils ont évacué presque totalement l’espace de leurs analyses. C’est à peine s’ils prononcent le mot de ville ou de région. S’ils le font, c’est à propos de la rente foncière ou de la localisation des entreprises. Le riche message du mercantilisme semble oublié, sauf dans la théorie du commerce international ou l’espace national est considéré comme un bloc de facteurs expliquant les spécialisations et les avantages comparatifs. Même évacuation de l’espace chez Marx, hormis quelques considérations assez banales sur les antagonismes villes-compagnes qui renforcent ceux existants entre les classes sociales, l’espace est absent. Une exception toutefois avec les saint simoniens durant la seconde moitié du XIXe siècle. La couverture du territoire par le chemin de fer en France, le percement des esthimes de suez et de panama illustrent bien les transformations concrètes de l’espace, mais la réflexion théorique de l’époque n’en a retenu que l’impact conjoncturel et macro économique en minimisant le rôle du facteur spatial dans l’aménagement et le développement. A la fin des années 50, les deux économistes : l’américain ARROW et le français DEBREU proposent une double intégration de l’espace et du temps dans la théorie économique par la prise en considération de « marchés généralisés ».
La même marchandise, considérée à deux moments différents du temps, ou en deux lieux distincts dans l’espace, constituerait en réalité deux biens différents. Analogie boiteuse car il est impossible d’exprimer la valeur locale d’une marchandise éloignée à l’aide d’un taux de change qui serait à l’espace, ce qu’est le taux d’escompte au temps. Une autre manière, plus insidieuse peut être, d’introduire l’espace dans l’analyse économique consiste à prêter à l’espace neutre un certain nombre de propriétés d’homogénéité, d’isotropie et de continuité. Un argument fort, consiste à remarquer que les agents économiques occupent dans l’espace des positions mutuellement exclusives : Un producteur localisé en tel lieu empêche un concurrent potentiel de s’installer. Les stratégies sont nécessairement interdépendantes, dès lors que l’espace est pris en considération et la formulation d’un équilibre spatial général exige beaucoup de précautions. Les analyses actuelles, à l’origine d’une vague de recherche, portent sur des questions plus vastes, à savoir le rôle des villes dans les processus d’échange et de croissance. Pour Lucas, comme pour Jacobs, la ville constitue le lieu privilégié de la circulation de l’information, de l’accumulation du capital humain et de la diffusion des idées nouvelles. Ce sont de tels avantages qui expliquent que les agents économique soient disposés à payer des loyers élevés pour résider prés des centres des grandes métropoles ou les phénomènes de création et de diffusion atteignent leur intensité maximale. Pour le spatialiste, la question soulevée par Lucas est capital : pourquoi existe-il des agglomérations à forte densité humaine et subsidiairement, des villes et des centres-villes ? Dés lors, cette nouvelle tentative est susceptible d’avoir un impact plus profond que les précédentes car elle renvoie aux causes premières de la division du travail et du développement économique. On retrouve de nouveau le parallélisme observé entre développement de l’économie géographique et de la croissance endogènes discuté précédemment.
Christaler et Losch : l’organisation spatiale des réseaux et des territoires
Christaller (1933) analyse la formation et la hiérarchie des réseaux urbains dans l’Allemagne du sud. Il démontre la correspondance entre la population des villes, l’étendue de leur zone d’influence et le rang qu’elles occupent dans la hiérarchie urbaine. Son apport influencera tout le courant de la géographique théorique quantitative. Losch (1940) étend l’approche géographique de Christaller à la genèse des paysages économiques qui s’organisent en régions puis en réseaux de région. Ponsard (1988) écrit à ce propos : « cette architecture pose des problèmes mathématiques délicats et soulève d’innombrables questions d’ordre économique qui assurent leur pérennité aux travaux de Christaller et de Losch, qu’il s’agisse des discussions sur la forme optimale des surfaces de marché, les effets de l’entrée de nouveaux concurrents, les distorsions du modèle initial dues a la non uniformité de l’environnement, les conditions de la concurrence spatial, la forme des courbes de demande dans l’espace, la politique des prix des firmes, etc.1 La localisation idéale de l’entreprise dépend du profit net. Les lieux de profits maximum ne coïncident pas avec ceux des plus faibles coûts de transport que si les recettes sont fixées. Mais chez Lösch, à la différence de chez Weber, la demande et les prix ne sont pas constants. Il y a interdépendance étroite entre prix, demande et localisation. Lösch se heurte ici à une difficulté : il ne peut déterminer exactement la localisation idéale. Impliquant plus de trois variables spatiales, la méthode rend impossible une solution géométrique. Il en conclut qu’aucun facteur singulier ne suffit à indiquer la localisation optimale. L’équilibre général des localisations résulte donc des phénomènes d’interdépendance. Ces quatre modèles de base ou paradigmes fondateurs présupposent au départ un espace neutre mais aboutissent souvent à la condition que l’espace n’est jamais neutre, ni économiquement, ni politiquement ni socialement. Les modèles économiques d’organisation spatiale, se limitent pour l’essentiel à une, prise en compte des coûts de transport. Pourtant les facteurs économiques ne se réduisent pas à cela. Von Böventer cite par ordre d’importance quatre facteurs économiques qui interviennent dans la différenciation spatiale :
– les économies internes et externes
– les coûts de transport
– et enfin la signification du facteur de production « sol » comparé aux autres facteurs de production.
Si les coûts de transports sont la plupart du temps pris en compte ainsi que les facteurs de différenciation du sol, il n’est pas de même pour les économies externes. Or, elles seraient pour l’essentiel à l’origine des différenciations spatiales définies comme la réduction des coûts de production et de commercialisation, soit grâce à l’existence de plusieurs usines d’une même branche au même endroit, soit grâce à la présence de plusieurs usines de branches diverses au même point. Ces tentatives nombreuses et variées témoignent de ce que l’intégration de l’espace dans les différents champs de l’analyse et de la théorie économique est encore largement à venir1.
Remerciements |