Les pratiques parentales et les styles parentaux
Deux perspectives sont majoritairement adoptées dans le domaine des pratiques parentales : l’ approche dimensionnelle et l’approche catégorielle (Baumrind, 1966 ; Pinquart, 2017). L’approche dimensionnelle conceptualise les pratiques ou attitudes parentales à partir de deux dimensions, soit le contrôle comportemental et la sensibilité émotionnelle (Darling & Steinberg, 1993 ; Rothbaum & Weisz, 1994). La dimension de 14 contrôle implique à la fois les comportements proactifs et réactifs des parents, telles la guidance, la supervision, la discipline, la protection, la résolution de problèmes et la communication. La dimension émotionnelle quant à elle comprend l’ensemble des attitudes permettant à l’enfant de s’épanouir sur le plan émotif. À travers ses interactions avec l’ enfant, le parent démontre de la sensibilité face à l’état émotionnel de l’enfant et à ses besoins. Il reconnait les signaux émis par l’ enfant, leur accorde une signification juste, les accepte et y répond de façon appropriée et empreinte d’ affection, le tout dans un délai raisonnable (Ainsworth, Blehar, Waters, & Wall, 1978). À partir de ces dimensions, Baumrind (1966), Maccoby et Martin (1983) catégorisent quatre styles parentaux: le style autoritaire (contrôlant et peu sensible), le style permissif (peu contrôlant et sensible), le style désengagé (peu contrôlant et peu sensible) et le style démocratique (contrôlant et sensible). En soi, cette catégorisation permet d’être à l’affût des patterns, mais ne constitue pas une cible d’ intervention. L’ intervenant cherche plutôt à identifier plus spécifiquement les difficultés comportementales et émotionnelles qu’ éprouvent le parent et l’enfant lors de leurs interactions. En effet, l’aide d’un professionnel est parfois nécessaire, puisque l’expérience de la parentalité est gratifiante, mais n’en est pas moins un réel défi parsemé d’embuches et de facteurs de stress. Ceci est encore plus vrai pour les parents d’enfants vivant avec un trouble développemental (Plant & Sanders, 2007).
Les défis additionnels: l’enfant problématique
Bien que le développement de problèmes comportementaux ne soit pas nécessairement tributaire d’un trouble psychiatrique et/ou neurodéveloppemental, les enfants qui en souffrent sont plus à risque (Baker et al., 2003). Ces problèmes sont habituellement catégorisés en deux types: intemalisés et extemalisés. Des exemples de comportements intemalisés sont l’anxiété, la dépression et le retrait social, alors que la dimension extemalisée inclut la surréactivité, l’ impulsivité, la défiance et l’agression (Achenbach & Edelbrock, 1981). Ces comportements ont des répercussions sur l’enfant, comme des conflits avec l’ autorité, du rejet par les pairs, des difficultés relationnelles et scolaires, mais également sur la dynamique familiale (Connor, Steeber, & McBumett, 2010 ; Nijmeijer et al., 2008). Pour les parents, la gestion de ces comportements constitue un réel défi (McIntyre & Hennessy, 2012). Pendant que la plupart des parents s’adaptent aux défis quotidiens d’élever un enfant, ceux vivant avec un enfant en difficulté vivent davantage leur parentalité comme un fardeau (Sawyer et al., 2011). En effet, ils doivent jongler avec le système scolaire et de santé pour obtenir des services, ils doivent faire face aux commentaires désobligeants de leur enfant et doivent affronter J’embarras que Jeur cause les conflits en public avec celui-ci, le tout sans perdre espoir et sans intérioriser l’ idée qu’ ils sont de mauvais parents (Modesto-Lowe et al., 2014). Plus épuisés, ils ont tendance à expérimenter des symptômes dépressifs et anxieux (Barlow, Cullen-Powell & Cheshire, 2006 ; Lach et al., 2009). Ils sont aussi plus susceptibles de rencontrer des problèmes de santé physique (AlIik, Larsson, & Smedje, 2006). Cependant, les enfants ne sont pas les seuls responsables de la dynamique familiale conflictuelle. En effet, les attitudes parentales peuvent aussi prédire, maintenir ou envenimer les problèmes relationnels.
Les transactions entre les comportements de l’enfant et ceux des parents Originalement proposé en 1975 et repris en 2003, Sameroff et Mackenzie évoquent que le développement de problèmes comportementaux chez l’ enfant résulte des transactions bidirectionnelles entre l’ enfant et son contexte social ou son environnement. À cet effet, l’environnement de l’enfant (p.ex. ses parents) influence la façon dont il se comporte et les changements observés chez ce dernier influencent son environnement en retour (p.ex. les comportements de ses parents). Ce modèle transactionnel est cohérent avec le modèle écologique de Bronfenbrenner (1986), voulant que le développement de l’ enfant se construise à travers ses expériences, dans un contexte donné et où les différents systèmes interagissent entre eux de façon bidirectionnelle. À partir de ces modèles, plusieurs travaux ont cherché à comprendre plus exactement en quoi l’ apparition de comportements problématiques chez l’enfant était fonction de ses transactions avec ses parents. Nombreux ont pu démontrer l’ influence de la qualité des interactions parentenfant sur le développement cognitif, émotionnel et social des enfants (Brooks, 2005 ; Landry, Smith, & Swank, 2003 ; Maccoby & Martin, 1983). Les pratiques et attitudes parentales « négatives »2 seraient d’ importants facteurs de risques à considérer dans l’évolution des comportements problématiques chez l’enfant.
Au contraire, son développement social, psychologique et cognitif serait « protégé » par les attitudes parentales dites « positives »3 (Stewart-Brown, 2008). Se penchant sur les causes de l’ adoption de telles pratiques parentales plutôt que sur leurs conséquences, certaines études ont ciblé le stress parental comme déterminant; lui-même fonction des demandes en termes de gestion des comportements de l’ enfant et des ressources du parent (contrôle perçu et sentiment de compétence) (Deater-Deckard, 1988; Neece et al., 2012). Le stress parental est en effet associé à l’adoption de pratiques parentales punitives (WebsterStratton, 1990), réactives (Chi & Hinshaw, 2002) et contrôlantes (Putnick et al., 2008), ainsi qu’à l’apparition de tension familiale (Jonhston & Mash, 2001). Outre le stress parental, une autre approche en littérature s’est intéressée aux habiletés réflexives des parents, aussi appelées « mentalisation », comme un facteur contribuant aux attitudes parentales positives et négatives (Camoirano, 2017). La mentalisation est cette capacité à interpréter et percevoir l’intention de ses comportements à partir du regard porté sur ses états mentaux (sentiments, désirs, besoins, motivations, etc.) et à réfléchir à ce même processus chez autrui en concevant qu’ils possèdent eux aussi leur propre monde interne.
Appliqué à la parentalité, la mentalisation est ainsi conçue comme la capacité du parent à comprendre les comportements de son enfant au regard de son vécu subjectif et à réfléchir sur sa propre expérience dans la relation (Slade, 2005). En situation de stress toutefois, l’accès à la mentalisation peut être compromise. À cet effet, l’étude de Smeets, Dziobek et Wolf (2009) démontrait que sous l’effet du cortisol (hormone du stress) les femmes faisaient davantage d’ erreurs relatives aux cognitions sociales (capacité liée à la mentalisation) que lorsqu’elles étaient calmes. Ainsi, la capacité de mentalisation n’est pas une aptitude statique. Elle est amenée à changer, et ce, principalement dans des contextes de stress typiquement associé à des relations d’attachement spécifiques (Bateman & Luyten, 2012). L’enfant qui ressent une tension dans la relation est susceptible de répondre à celle-ci de façon peu régulée et immature, soit en accentuant ses comportements internalisés ou externalisés. Cette façon de répondre au stress relationnel peut être apprise par le biais de modelage (Des landes, 1999), mais peut aussi être transmis intergénérationnellement via les capacités autorégulatoires des parents. Ce deuxième segment vise à documenter le lien existant entre les capacités d’autorégulation du parent et le développement de celles-ci chez l’enfant. L’attention est portée à l’ autorégulation parentale, vu son impact sur la transmission intergénérationnelle de la parentalité dite « négative ». Elle sera également présentée comme un objectif thérapeutique à considérer dans les programmes d’ aide à la parentalité et même comme une avenue prometteuse face aux limites des programmes éducatifs offerts aux parents d’enfants présentant des difficultés comportementales. Pour ce faire, il sera avant tout nécessaire d’ explorer les différentes composantes de l’ autorégulation.
Les modèles explicatifs des processus duaux
Selon ces modèles, l’autorégulation est une combinaison de boucles neurocognitives réciproques et successives impliquant un pôle délibéré (processus « top-down », régulation) et un pôle automatique (processus « bottom-up », réactivité). Plus spécifiquement, la régulation « top-down » permet de répondre à une représentation mentale interne (comme un but ou une règle) de façon consciente et volontaire, alors que la réactivité « bottom-up » répond à des stimuli (sensations) externes de façon automatique (Bridgett et al., 2015 ; Nigg, 2017). Le premier processus fait intervenir principalement la portion inférieure du cortex frontal droit (Hart, Radua, Nakao, Mataix-Cols, & Rubia, 2013; Simmonds, Pekar, & Mostofsky, 2008), la portion dorsolatérale du cortex préfrontal, le cortex cingulaire antérieur et la portion ventrale du cortex préfrontal (Borst et al., 2014; Criaud & Boulinguez, 2013; Hart et al., 2013). Le deuxième processus quant à lui implique des circuits inverses partant des régions sous-corticales aux zones corticales (Nigg, 2017). Les structures en question sont entre autres l’amygdale et l’hippocampe (Beaton et al., 2008 ; Kennis, Rademaker, & Geuze, 2013 ; Oler et al., 2010).
Ce processus ne fait pas partie en soi des stratégies d’ autorégulation consciente, puisqu’ il concerne d’une certaine façon le pôle opposé de celle-ci. Il fonctionne à l’aide d’ automatismes innés ou sur-appris de façon à traiter rapidement l’ information et à y répondre dans un bref délai (Norman & Shallice, 1986). Bien qu’ utile lors de situations environnementales dangereuses, il peut gêner la réponse à des situations nécessitant un certain contrôle, comme la résolution de conflits (Shiffrin & Schneider, 1977). C’est pourquoi les individus étant à cette extrémité du continuum sont réactifs sur le plan comportemental et émotionnel. Le contrôle excessif de l’ activité amygdalienne et hippocampique sur l’ activité corticale tend à leur faire adopter des comportements de fuite en vue de faire diminuer l’ anxiété par exemple (Beaton et al., 2008 ; Clauss & Blackford, 2012). Ces personnes peuvent également adopter des comportements impulsifs et désinhibés en raison d’un contrôle insuffisant des zones corticales frontales sur les régions souscorticales tels les noyaux caudés et accumbens, le putamen, l’ aire tegmentale ventrale et la substance noire (Bridgett et al., 2015). Puisqu’ il est question de régulation et non de réactivité dans le cadre de cet essai, il est intéressant de s’ attarder plus spécifiquement aux composantes du processus « top-down » pouvant être mesurées.
Introduction |